A propos du 50e anniversaire de «l’indépendance» du Sénégal. Pourquoi les guillemets ? Invitons l’histoire à la fête
Nous republions les textes du camarade militant révolutionnaire Alla Kane, pleins d'enseignements pour les différentes générations de combattants anti impérialistes sénégalais, africains et internationalistes.
Le Samedi 13 février 2010, il a été procédé au lancement des cérémonies devant accompagner la célébration, sur toute l’année, du 50e anniversaire de «l’indépendance» du Sénégal intervenue le 4 Avril 1960. Officiellement il a été annoncé la mise en place d’un budget de 1 milliard 500 millions pour le financement de ces cérémonies.
Cette première sortie a déçu plus d’un en raison de l’importance historique de l’évènement à célébrer. Il a été fait appel plus au folklore qu’à la dignité qui devrait être réservée à l’évènement. Va-t-on continuer sur le même rythme durant toute l’année et gaspiller ainsi un milliard cinq cent millions de francs prélevés sur le budget national alimenté par l’argent du contribuable ? N’y a-t-il pas une autre approche à privilégier pour donner, par un contenu dynamique, un autre sens au cinquantième anniversaire que nous célébrons ? N’avons-nous pas l’obligation d’instaurer un large et profond débat autour de l’ « indépendance » telle qu’elle a été octroyée et mise en œuvre pour arriver aux résultats que nous savons, cinquante ans après ? Le moment est-il au folklore et au gaspillage de nos faibles ressources quand on sait que : le Sénégal est inscrit à l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés), à l’initiative IADM (allégement de dette multilatérale), dans le groupe des PMA (pays moins avancés), dans le dernier peloton du classement IDH (Indice de Développement Humain) ?
Le moment est-il au folklore et au gaspillage quand 56% des sénégalais sont prêts à s’exiler, plus de 50% de la population est au dessous du seuil de pauvreté, des dizaines de milliers de ses jeunes empruntent des pirogues de fortune à l’assaut de l’Océan atlantique ou le désert du Sahara pour aller tenter leur chance en Europe ?
Le moment est-il au folklore et au gaspillage quand 59% des personnes qui travaillent sont en milieu rural ; sur 400000 demandeurs d’emploi qui arrivent dans le marché chaque année, seuls 100000 parviennent à trouver du travail ; qu’en milieu urbain le secteur informel pourvoie la majorité des emplois (95%) ?
Le moment est-il au folklore et au gaspillage quand toute l’activité des pouvoirs publics s’organise autour de la DSRP (Document de stratégie de réduction de la pauvreté), les hôpitaux sont devenus des mouroirs faute de moyens adéquats et asphyxiés par le retard du règlement des dettes dues par l’Etat ?
Le moment est-il au folklore et au gaspillage quand les paysans qui constituent plus de 60% de la population sont toujours exclus de la propriété de la terre, qui est l’outil de base de leur activité et que pour la campagne agricole en cours seuls 300.000T sont subventionnés sur une production estimée à 1.150.000T d’arachides ?
La réponse à toutes ces questions et à bien d’autres encore est évidemment non. Pour tous ceux que le devenir de notre pays préoccupe au plus haut point la célébration de ce cinquantenaire doit être plus sereine en allant au fond des choses au lieu de ne rester qu’à leur surface.
Mais cette approche festive et folklorique ne doit guère surprendre de la part de ceux qui ont la charge de la conduite des cérémonies programmées. Pour la plupart d’entre eux le 4 Avril 1960 ne suscite aucun souvenir, et ne revêt aucune signification.
Si on procède à une division en deux groupes distincts les membres du Gouvernement, de l’Assemblée nationale, du Sénat, du Conseil économique et social et tous ceux qui gravitent autour du Président de la République dont l’un serait constitué de ceux qui ont plus de cinquante ans et l’autre de ceux qui ont cinquante ans et moins deux constatations en résulteraient. Le second groupe, constitué de ceux qui ont cinquante ans et moins serait largement majoritaire, et le premier, cinquante ans et plus minoritaire. Le premier groupe, la majorité, n’a été d’aucun apport pour l’avènement du 4 Avril 1960 et le second ne comprendrait que peu d’éléments ayant participé activement à la lutte pour l’indépendance.
De la part de ces gens on ne peut donc s’attendre à une approche autre que celle qu’ils vont imprimer à la conduite des cérémonies. Or, pour bien comprendre l’état désastreux dans lequel se débat notre pays, cinquante ans après la proclamation de son « indépendance », il faut interroger le passé, remonter l’histoire et revisiter le champ des parcours sinueux et pleins d’embûches qui ont mené à cette date du 4 Avril 1960.
Dans la lutte pour l’indépendance nationale deux camps s’affrontaient à l’époque. Ceux qui s’y opposaient avec détermination et ruse et le camp des patriotes qui luttaient avec engagement et se battaient avec fougue et courage pour arracher l’indépendance nationale.
Le premier camp – celui qui s’opposait farouchement à l’indépendance- était composé de la puissance coloniale et de ses alliés autochtones qui œuvraient à l’interne tandis que le second comprenait l’ensemble des filles et des fils du peuple qui avaient pris l’engagement de se battre pour la libération réelle de leur pays.
De 1945 –fin de la 2e guerre mondiale- en 1960, date de l’ « indépendance » les deux camps se sont livré un combat sans merci, chacun avec les moyens dont il disposait pour atteindre ses objectifs.
La puissance coloniale et ses alliés avec comme instrument l’administration coloniale qui mit en branle tout son appareil de répression, de violence, de corruption allié à la ruse, à la subversion et à la division.
Les patriotes, eux, se sont appuyés sur l’organisation de leurs rangs et la formation de leurs cadres.
Comment tout cela s’est-il traduit dans les faits pour arriver au résultat du 4 Avril 1960 ? Date de la signature des accords de transfert de compétences avec le gouvernement français qui a été retenue comme la date officielle de l’ « indépendance » du Sénégal. C’est à cette même date que furent paraphés les accords de coopération qui seront signés le 22 Juin et ratifiés le 6 Juillet 1960.
La volonté de la puissance coloniale s’est exprimée dès la conférence africaine française de Brazzaville tenue en Février 1944 en ces termes : « Les fins de l’œuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’empire, la constitution éventuelle, même historique, de self-gouvernement dans les colonies est à écarter » Elle en donna la preuve concrète, en procédant aux massacres de Thiaroye en décembre 1944, neuf mois seulement après la conférence de Brazzaville . Le but de ces massacres était de décourager ceux qui, parmi les soldats du contingent, pourraient murir le projet d’engager la lutte de libération de leurs peuples une fois de retour chez eux.
Face au mouvement de libération nationale qui s’amplifiait à travers le monde et aux victoires qu’enregistraient les peuples en lutte la puissance coloniale passa à la ruse et aux manœuvres dilatoires en mettant en branle des montages politico-juridiques tendant à habiller la vieille marchandise avec des étiquettes toutes neuves.
Autant d’obstacles conçus pour retarder le plus possible la marche du Sénégal vers sa véritable indépendance. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’adoption et la mise en œuvre de la loi du 23 Juin 1956 portant loi cadre ainsi que l’organisation du référendum du 28 Septembre 1958 pour l’adoption de la constitution du Général De Gaule instituant la Communauté franco- africaine. Ces digues n’ont pas tenu devant l’impétuosité de l’avalanche du mouvement de la lutte anticolonialiste qui se développait à travers le monde. Ce qui a contraint le Général De Gaule en sa qualité de Président de la Communauté franco-africaine à tenir ces propos dans un discours devant l’Assemblée fédérale du Mali le 13 Décembre 1959 : « Oui, dans quelques jours, la France, le Mali et les Etats qui le composent, entameront des négociations pour modifier le statut de leurs rapports… Cet Etat du Mali va prendre ce qu’on appelle la situation d’indépendance, que je préfère appeler celle de la souveraineté internationale. » Entamées à Paris à partir de Janvier 1960, ces négociations aboutirent le 4 Avril 1960 à la signature des accords de transferts de compétences consacrant l’ « indépendance » du Sénégal.
Le camp adverse constitué des partisans de l’indépendance ne fut pas en reste. Par l’organisation, la formation et l’engagement actif sur le terrain, les patriotes menèrent le combat de 1945 à 1960 qui permit de déjouer toutes les manœuvres dilatoires de l’ennemi principal.
Au plan politique ce fut l’engagement dans les rangs du Rassemblement démocratique africain ( RDA) par la création de sa section sénégalaise qu’était l’Union démocratique sénégalaise (UDS), la création du Parti africain de l’indépendance (PAI), l’avènement du PRA/Sénégal qui ont pris en charge la campagne pour le « non » au référendum du 28 Septembre 1958.
Au niveau de la jeunesse, c’est à travers ses associations que les patriotes ont mené avec constance et détermination la lutte de libération nationale. A travers leurs associations comme la FEANF, l’UGEAO, MEPAI, le Conseil de la jeunesse du Sénégal, le Rassemblement des jeunesses démocratiques d’Afrique (RJDA) les jeunes ont livré des batailles héroïques contre le colonialisme pour le droit de leur peuple à disposer de lui-même. On peut l’illustrer par le principe fondamental adopté par la FEANF et incessamment réaffirmé dans ses différents congrès notamment les 8e (1957), 9e (1958) et 10e (1959) proclamant que « l’indépendance doit être conquise, non par une addition de réformes illusoires, mais par une lutte révolutionnaire des masses populaires africaines. »
Aussi à travers des batailles syndicales de grande ampleur les travailleurs ont joué de manière indélébile leur partition dans la lutte pour l’indépendance nationale. De la CGT à l’UGTAN en passant par la CGTA ils ont largement contribué par leurs luttes à l’éveil de la conscience nationale et à la mobilisation de l’avant-garde du peuple dans la lutte anti-impérialiste et anticolonialiste pour la souveraineté internationale.
Par contre, quel a été le rôle joué par les alliés de la France qui évoluaient au sein même du mouvement anticolonial ? De l’intérieur du mouvement anticolonial ils relayaient l’écho de leurs maîtres en manœuvrant pour freiner l’élan de la lutte en vue de retarder au maximum la prise de conscience du peuple dans son combat pour arracher l’indépendance nationale.
Léopold Sédar Senghor et Lamine Gueye étaient les principaux chefs de file de ces infiltrés du mouvement de libération nationale.
Militants de la section sénégalaise de la SFIO ils ont obéi à l’injonction de leur parti de ne pas participer au congrès constitutif du RDA tenu à Bamako du 19 au 21 Octobre 1946. Ce que Senghor lui-même a reconnu en déclarant en janvier 1957 devant le congrès de la Convention africaine : « La faute qu’ont commise les députés sénégalais d’alors en refusant d’aller au congrès de Bamako. J’étais d’avis d’y aller. Mon tort a été d’obéir aux ordres qui m’ont étaient imposés de l’extérieur. » Pourtant, en 1950, suite à la rupture des relations entre le RDA et le PCF, il a exprimé son soulagement en déclarant « Il est de notre devoir d’aider le RDA à changer de politique dans l’intérêt de la France. »
Ils militaient dans la fédération SFIO, parti qui, sous la direction de Guy Mollet réprimait durement les forces qui s’étaient soulevées pour sortir leur pays du bloc de "l’empire français". Avec Marius Moutet ministre de la France d’Outre-mer, dans la guerre contre le Vietnam et les massacres de Madagascar ; Paul Bêchard gouverneur général de l’AOF, dans la lutte contre le RDA et la répression en Côte d’Ivoire ; Lacoste dans la "pacification" de l’l’Algérie. Ce qui est en droite ligne de la Profession de foi pour les élections générales du 21 Octobre 1945 qu’ils avaient signée et conclue en ces termes : « Quant à nous, enfants du Sénégal, totalement dévoués aux destins de ces vieilles terres françaises, notre seule ambition est de servir avec le maximum d’efficacité dans le cadre d’une république qui saura donnée un peu de réalité à sa belle devise Liberté Egalité Fraternité. »
Senghor siégeait au gouvernement d’Edgar Faure lorsque ce dernier prononçait la dissolution de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) en Mai 1955.
La révision du Titre VIII de la Constitution de la 3e république traitant de l’Union française constituait son programme politique, pour lui, « la véritable solution, c’est le fédéralisme ».Dans cette logique il déclarait en 1950 à Strasbourg : « Mais aujourd’hui que la dernière peuplade de la forêt s’est dépouillée de son complexe d’infériorité, que dans le même temps l’impérialisme a pris , je ne dis pas l’aspect, mais la réalité d’un bloc solide irrésistible au siècle de la polytechnique, de la bombe atomique, le nationalisme apparait dépassé et l’indépendance n’est qu’illusion ».
En mars 1955, alors Secrétaire d’Etat à la Présidence du Conseil, il se montra plus précis en déclarant : « Il faut rebâtir l’Union française. Dans 10 ans, il sera trop tard. Le réveil du nationalisme aura alors tout disloqué. Chez les jeunes africains encadrés par les communistes ce n’est plus de fédéralisme qu’on parle mais d’indépendance. »
Lors des débats suscités par l’adoption de la loi-cadre Senghor a eu à tenir ces mots : « Il s’agissait avec la loi-cadre et la révision du Titre VIII de la Constitution d’en arriver à une innovation qui doit paraître importante, frapper les esprits, ouvrir de nouvelles perspectives aux aspirations autochtones et détourner ainsi de la pure et simple revendication d’indépendance. » Cela traduit bien la position exprimée par son parti le BDS dans la résolution générale de son congrès tenu les 19,20 et 21 Mai 1956 à Kaolack où on peut lire : « Le congrès, en saluant les réformes annoncées par la Loi-cadre dont l’application loyale marquera une étape importante dans l’évolution de nos institutions, réaffirme son attachement à une orientation confédérative des structures de L’Union française, à l’aménagement d’une République fédérale française, où seraient intégrés les territoires d’Outre-mer dotés de l’autonomie interne. »
Le parti de Senghor –La Convention africaine- a participé à la conférence de regroupement des partis politiques africains qui s’était tenue à partir du 15 Février 1958 qui avait prononcé l’expulsion du PAI seul parti à s’être prononcé clairement pour l’indépendance immédiate. Dans le compte rendu détaillé des travaux de cette conférence que fut Ousmane Camara, à l’époque vice-président de la FEANF il a conclu en ces termes : « A côté de son aspect négatif, la conférence présente aussi un aspect positif en ce sens qu’elle a permis de clarifier les positions. D’un côté, il y a ceux qui entendent lutter pour l’indépendance nationale, de l’autre, ceux qui rêvent d’une Communauté franco-africaine qui n’ose pas dire son véritable nom. » Senghor et son parti (la Convention africaine) était de ceux qui rêvaient et œuvraient inlassablement pour une Communauté Franco-africaine contre l’indépendance nationale.
Les thèses sur la fédération et la confédération qui étaient l’essentiel du contenu du rapport qu’il devait présenter au congrès du Parti du Regroupement Africain (PRA) de Cotonou les 25, 26,27 Juillet 1958 furent rejetées par la délégation de son parti, l’UPS, avant même l’ouverture du congrès. Le congrès dans sa résolution de politique générale «adopte le mot d’ordre d’indépendance immédiate, et décide de prendre toutes les mesures nécessaires pour mobiliser les masses africaines autour de ce mot d’ordre et traduire dans les faits cette volonté d’indépendance».
Abdoulaye Ly qui a assisté et pris une part active aux travaux de ce congrès a eu ces mots en en tirant les conclusions : « Le prestige, le talent de Senghor et le soutien sans faille de ses vieux compagnons africains dans la lutte au niveau du parlement français ne suffirent pas pour lui permettre de faire adopter ses thèses sur la fédération et la confédération, reprises dans son rapport de politique générale et qu’il défendit pied à pied, sans parvenir à détourner ou briser la détermination de la masse du gros des 350 délégués représentant douze territoires.»
Malgré le rejet de ses thèses par le congrès il ne désarma guerre. L’aveu qu’il fut à Mamadou Dia à leur rencontre en Normandie, à Gonneville-sur mer, après la houleuse réception du Général De Gaule le 26 Août 1958 à la Place Protêt de Dakar d’avoir promis à ses amis de voter "Oui" au référendum du 28 Septembre 1958 en était la parfaite illustration. Roland Colin a usé de ces mots dans l’appréciation qu’il fit de cette rencontre : « l’entretien fut dramatique. Mamadou Dia découvrait chez son compagnon et ami (Senghor) un aspect de sa personnalité qu’il était à des lieux d’imaginer.»
Ainsi au lieu de « mobiliser les masses sénégalaises autour du mot d’ordre d’indépendance immédiate et de traduire dans les faits cette volonté d’indépendance » dans le respect de la résolution de politique générale du Congrès de Cotonou, il a promis et fait voter Oui au référendum du 28 Septembre. Lors de sa campagne électorale pour le" Oui" à une réunion publique à Louga, Abdoulaye Ly rapporte que Senghor a eu à tenir ces propos : « L’Indépendance, c’est la cacahuète achetée au cours mondial, soit 15 francs le kilo » C’était dans le but d’apeurer les beykatt (paysans).
En ce qui concerne Lamine Gueye, son attitude dans la lutte pour l’indépendance des peuples africains en général, et sénégalais en particulier, est bien traduite par Markovitz quand il dit : « Durant toute sa carrière jusqu’à l’indépendance, Lamine Gueye a attaqué les aspects autocratiques et discriminatoires du système colonial ; mais jamais le système colonial lui-même » Autrement dit, Lamine Gueye ne s’est jamais prononcé en faveur de l’indépendance totale des pays africains. Au cours d’un meeting de son parti au cinéma Rialto, à Dakar, en 1956, il a tenu les propos suivants : « On parle actuellement beaucoup d’indépendance. Je suis pour l’indépendance, mais pour l’indépendance individuelle. » De même ces propos célèbres qu’on lui prête : « Le non n’a de sens que quand on a le droit de dire oui ».
Malgré le contexte caractérisé par l’accession à l’indépendance de nombreux pays africains comme le Ghana, le Libéria, le Maroc, la Tunisie, l’ex Soudan Anglo-égyptien, l’Egypte, la Lybie et l’Ethiopie, Senghor et Lamine Gueye continuaient d’appuyer sur le frein de la marche vers l’indépendance des pays sous domination française.
Ils sont restés sourds au souffle du vent libérateur de la Conférence de Bandoeng.
S’il ne dépendait que d’eux, l’horizon politique n’irait pas au-delà de la révision du Titre VIII qui ne devait se traduire que par un réaménagement interne des institutions du « bloc de l’empire français ». Ce sont les vagues du mouvement impétueux de la lutte anticolonialiste qui les ont poussés sur les rivages de la place de l’indépendance nationale. C’est le cours impétueux de l’histoire, et non leur volonté propre, qui les a poussés –à leur corps défendant- jusqu’aux plus hautes fonctions qu’ils ont fini par occuper : Senghor comme Président de la République Chef de l’Exécutif ; Lamine Gueye comme Président de l’Assemblé nationale. Au plus grand dam du peuple sénégalais. La conduite du destin de notre pays est ainsi tombée entre les mains de ceux qui n’y ont jamais cru. L’indépendance nationale n’ayant jamais été dans l’ordre de leurs préoccupations, ce que en d’autres termes traduit très justement Ibrahima SENE quand il dit: «la France a confié notre destin aux mains de ceux qui ne voulaient pas l’indépendance de notre pays et qui s’étaient mobilisés en 1958 pour le maintien de sa domination coloniale. » Abdoulaye Ly le constate également en ces termes : « Senghor est un produit du système colonial qui était resté presque entièrement au service du système colonial même au sein du mouvement anticolonial. » Le destin qui leur est désormais réservé sera celui de «gérants loyaux » d’un pouvoir qui leur a été offert sur un plateau d’argent. La même mission qu’ils avaient assumée jusque là, ils devaient la continuer sous une nouvelle forme à savoir l’installation, la consolidation et la perpétuation d’un régime nouveau ; le régime néocolonial.
Comment ? Avec qui ? Selon quelles étapes ? Les réponses à ces questions feront l’objet de la prochaine contribution.
La contrainte imposée au colonialisme français l’obligeant à octroyer une indépendance avec des guillemets a été le résultat de la lutte de la gauche sénégalaise. De l’UDS au PAI et au PRA/Sénégal sorti de l’UPS, en passant par le BPS, ce sont bien les militants et les militantes de la gauche –nationaliste et marxiste- qui ont pris en charge la lutte concrète pour la libération nationale de notre peuple. Déjà, en 1955, dans "Nations nègres et culture" Cheikh Anta Diop disait : « Seuls l’existence d’Etats indépendants permettra aux africains de s’épanouir et de donner toute leur mesure dans les différents domaines de la création.» Il incarnait la gauche nationaliste quand Senghor et son camp incarnaient la droite au service du colonialisme et du néocolonialisme français.
Alla Kane
Kane_alla@yahoo.fr
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