LIVRE DE SADIO CAMARA : CHAPITRE VI : A LA FRONTIERE DU MALI SUR LES RIVES DE LA RIVIERE KOHAKABE, UN AFFLUENT DE LA FALEME
SUR LES RIVES DE LA RIVIERE KOHAKABE, UN AFFLUENT DE LA FALEME
Après quatre jours de marche, nous traversâmes à gué, dans la matinée, la Falémé en un endroit où se situe, en bordure du fleuve, le village malien du nom de Dakhatéli. Nous logeâmes chez le chef de village à qui nous nous présentâmes comme des chercheurs d’or allant à Kégnéba, une région aurifère du Mali. Il nous accueillit bien en nous hébergeant dans une case et en nous donnant de l’eau à boire. Il alla informer le chef politique du village de notre présence et de notre projet. Ce dernier était un ancien combattant aveugle. A son tour, il vint nous saluer et donner son accord pour nous laisser partir sur Kégnéba. Il repartit pour sa maison. Quelques minutes après, il revint pour dire au chef du village de ne pas nous laisser passer sur Kégnéba, mais nous inviter à retourner sur nos pas car, selon lui, nous étions des personnes douteuses.
Alors, intérieurement, je me demandai pourquoi ce revirement du chef politique, ancien combattant, aveugle. En outre, la visite de notre groupe était intentionnée, pour à travers nos conversations, se faire une opinion de nous. En effet, après les salutations d’usage, il avait posé des questions à savoir d’où nous venions, de quelles ethnies nous étions, où nous allions et pourquoi faire. J’étais son interlocuteur unique en malinké. Peut-être que mes réponses n’étaient pas cohérentes où que l’atmosphère était pesante, calme, pas ordinaire, car j’étais seul à parler. Toujours était-il que sa visite avait été de beaucoup dans le changement de sa décision. Sans insister donc, nous rebroussâmes chemin après avoir avalé, très rapidement, la bouillie de riz que nous avions fait faire par les femmes de la maison hospitalière. C’était notre premier repas chaud depuis les collines de Landiéni, deux mois durant au moins.
A neuf kilomètres de ce village, de l’autre côté de la Falémé, se situait un autre village du même nom. Ce sont des villages jumeaux habités par les mêmes familles. Il faut signaler que les populations ici ressemblent beaucoup à celles du Gnokholo au point de vue parler, morphologique, linguistique et vestimentaire. Plus tard, d’autres me préciseront qu’elles ont les mêmes danses et chants de circoncision qu’au Gnokholo…. Voilà une piste de recherche sociologique…
Nous avions pris le chemin menant à ce deuxième village Dakhatéli, sur le territoire sénégalais. Sentant qu’il y avait quelque chose dans l’air, une fois à l’abri de la vue des villageois d’où nous venions, nous laissâmes la route en nous engouffrant dans la brousse à notre droite tout en prenant précaution d’effacer nos traces sur la route de manière qu’on ne puisse pas situer l’endroit où nous nous en étions écartés et quelle direction nous avions prise.
Cela se dit en langage de conspiration « semer l’ennemi ».Nous voilà donc installés en un endroit boisé et herbeux sur la rivière dite KohaKabé, un affluent de la Falémé, à un ou deux kilomètres de son lit. Là, nous avions observé deux jours de repos pour refaire un peu nos forces et laver nos habits.
En butte à la difficulté d’aller à Bamako avec le groupe de camarades, je finis par décider d’y aller seul. A cet effet, j’avais réuni les camarades pour les informer et demander leur opinion. Tous approuvèrent ma proposition. Ils n’avaient pas beaucoup de vivres, tout juste pour trois jours et les camarades ne savaient pas tellement se débrouiller pour se procurer des produits de la forêt.
Nous convînmes de rationner le peu de vivres sur huit jours au bout desquels je devais tout faire pour être parmi eux. En outre, le camarade Bara HANNE fut élu comme chef du groupe en attendant mon arrivée.
Avec le camarade Bara HANNE, je mis au point un lieu de ralliement au cas où ils seraient contraints de quitter le lieu. A cet effet, nous étions convenus du lieu et des signaux conventionnels pour le contact.
Tout seul donc, je rejoignis Bamako via Kégnéba, sans difficulté. Je traversais la frontière à pieds jusqu’à Kéniéba, en évitant les villages, à travers la broussaille.
Arrivé à Kéniéba, je me rendis directement à la préfecture pour me présenter au Préfet que m’avait recommandé le camarade Majmout DIOP, dirigeant du PAI en exil à Bamako. J’expliquai que j’allais le voir suite à un accord convenu entre celui-ci et moi. Je lui demandai de m’aider à trouver une place dans l’avion Kégnéba- Bamako, car un avion Foker reliait les deux villes une fois par semaine.
Le préfet m’écouta avec attention et même avec intérêt. Après une longue réflexion, il me répondit à peu prés en ces termes « je pense que votre camarade n’est plus à Bamako, mais si vous tenez à y aller, je vous trouverai une place dans l’avion prochain ». Je lui affirmai ma volonté de poursuivre ma route jusqu’à Bamako si cela ne dépendait que de moi. Alors, il me fit accompagner dans sa maison où on m’installa dans une case ronde, agréable et confortable : toit en paille bien fait avec à l’intérieur un plafond en « Iserel », le mur en dur crépi et peint en jaune à l’extérieur, le sol cimenté, un lit avec son couvert, une table et une chaise. Les toilettes, comme dans toutes les maisons soudanaises, se trouvaient à l’extrémité de l’angle de la concession.
Je séjournai donc dans cette maison pendant trois jours. Les femmes, aux nombres de deux, s’étaient bien occupées de moi. Chaque jour, je recevais dans ma belle case, mon petit déjeuner et mon dîner. Chaque matin et chaque soir, elles me signalaient par les enfants qu’il y avait de l’eau pour le bain dans les toilettes, pour moi. Je me trouvais comme chez moi d’autant que je parlais la même langue qu’elles. Le petit soir, je me promenais avec les enfants dans les rues de Kéniéba, mais les moins fréquentées, notamment celles qui menaient immédiatement dans les champs car, à l’époque Kéniéba était une ville rurale, frontalière avec le Sénégal.
Un soir, en allant prendre ma douche, j’avais caché sous l’oreiller mon pistolet. Avant mon retour, une des filles de la maison balaya la case et changea le drap de lit et la housse de l’oreille. Elle replaça le pistolet à la place que je retrouvais intact. Depuis, je ne me séparais plus de ce précieux compagnon. …Ainsi, depuis cet incident, je constatais dans le comportement des gens de la maison, une considération plus grande car je leur apparaissais être un étranger pas comme les autres, une haute personnalité étrangère. Il faut dire que l’information avait dû être portée au chef de famille, c'est-à-dire au Préfet. Ce dernier avait dû donner un peu plus d’informations sur moi et les apaiser.
Comme promis, le quatrième jour, jour de l’avion, je pris place dans un Foker de 24 places. Les candidats étaient très nombreux. On procéda à l’embarquement comme suit : les officiels d’abord, les hommes du Préfet ensuite, les autres par ordre d’inscription. Parmi ces derniers, il n’y avait pasplus de trois à cinq passagers. Il y eut des protestations. Moi, je me trouvais parmi les hommes du Préfet. Les gens étaient surpris et étonnés, car mon accoutrement paysan ordinaire, à leurs yeux, ne me conférait pas un tel rang, une telle importance.
Une heure de vol, me voilà de nouveau à Bamako. Je me rendis par taxi à la maison où six mois auparavant, nous avions laissé le camarade Majmout DIOP et d’autres dirigeants du parti. Comme d’habitude, le portail et la porte d’entrée de la maison étaient fermés. Je sonnai ; une femme apparemment une bonne, sortit. Elle me demanda qui j’étais et qui je venais voir…Elle revint pour me dire que Majmout DIOP n’était pas là, qu’il avait quitté le Mali il y a longtemps. Je lui demandais alors le Professeur Abdou Moumini qui vivait ici avec Majmout DIOP. Elle alla voir de nouveau pour revenir me dire que Moumini lui non plus n’était pas là, que les nouveaux locataires étaient des étrangers. Alors, je restai perplexe un moment. Puis je suis allé m’asseoir à l’ombre d’un arbre face à la maison pour réfléchir sur ce qui avait dû se passer et ce qu’il y avait lieu de faire. Mais déjà, je devinais que le gouvernement sénégalais avait pris des initiatives diplomatiques pour rompre l’asile et le soutien politiques dont la direction du parti bénéficiait à Bamako.
J’imaginais l’ampleur du gâchis. Malgré tout, je ne croyais pas encore à l’échec. Je pensais fermement que le camarade 1er Secrétaire, Majmout DIOP et les autres dirigeants avaient dû prendre des mesures appropriées pour assurer la continuité de l’activité. En conséquence, il me fallait coûte que coûte, assurer la survie de ce qui restait de mon groupe et trouver les voies et moyens pour entrer en contact avec les camarades de l’intérieur. Mais, avant de partir rejoindre les camarades à la frontière du Mali, je tenais à savoir un peu plus sur les occupants de la maison où nous avions laissé Majhmout DIOP et les autres dirigeants du parti dont Abdou Moumini. A cet effet, j’ai été dans la maison attenante appartenant à un Commandant de l’armée malienne. Ses deux femmes, au milieu de leurs enfants, m’avaient bien accueilli. Je m’étais présenté à elles comme sénégalais venant du Sénégal voir un ami du nom de Majmout DIOP que j’avais laissé, il y a six mois, dans la maison attenante : Il y habitait avec un autre, un nigérien du nom de Abdou Moumini, alors Professeur dans un lycée de Bamako, que j’avais été dans l’autre maison, qu' on m’avait dit qu’ils n’y étaient plus et les nouveaux locataires étaient des étrangers, que je voudrais me reposer un peu et prendre le train du soir allant au Sénégal.
Elles m’écoutèrent attentivement et même avec une certaine compassion lisible dans leurs yeux et m’installèrent dans une petite chambre avec un lit, apparemment une chambre d’enfants, m’y firent amener de l’eau et le repas. Après m’être régalé, la femme la plus âgée, certainement la première, vint me demander si j’avais bien mangé, m’invita à me considérer comme chez moi car sénégalais et maliens sont les mêmes depuis des temps immémoriaux, mandinka et bambara sont cousins depuis la nuit des temps. Elle confirma mes soupçons à savoir que Majmout DIOP ne se trouvait plus à Bamako, mais à Alger à la suite des démarches du gouvernement sénégalais auprès de son homologue malien. Par contre, Abdou Moumini était bel et bien là, dans la même maison et que la voiture garée devant la porte lui appartenait. Bientôt, il sortira pour aller au travail disait-elle. Je vais vous donner une chaise, vous allez vous mettre à côté de la voiture. Quand il sortira vous lui parlerez. Ce que je fis.
A trois heures, monsieur Abdou Moumini sortit. A ma vue, il semblait confus. Il me salua. Je lui dis brièvement l’objet de ma présence. Il me répondit que Majmout DIOP n’était pas là, qu’il se trouvait à Alger et qu’il ne lui avait laissé aucune consigne de recevoir qui que ce soit. Puis, il enchaîna : « il faut partir. Ne crois pas que la police d’ici est aussi incapable ». Alors, je l’ai regardé avec mépris et lui ai tourné le dos sans lui serrer la main ni lui adresser un mot de plus.
Je suis retourné chez mes logeuses et leur ai dit avoir parlé à Moumini et que j'allais retourner le soir même au Sénégal. Elles semblaient deviner mon mécontentement suite à ma rencontre avec Moumini ou qu’elles « savaient » déjà ce que valait ce Monsieur et partant l’issue de ma rencontre avec lui en une pareille circonstance. La plus jeune des dames me dira : « mon frère, dans la vie, on rencontre les surprises là où on ne les attend pas ». Oui ma sœur ! Mais de pareilles surprises, bien que amères, sont salutaires : Elles font découvrir les hommes tels qu’ils sont réellement et non selon l’idée qu’on se fait d’eux ou ce qu’ils se disent d’eux –mêmes. Ne dit-on pas en malinké et même en bambara que pour connaître une personne, il faut entreprendre quelque chose avec elle. Autrement dit, les meilleurs amis se connaissent en des moments difficiles.
L’attitude de Abdou Moumini en cette circonstance renforça mon sentiment intime de ne pas accepter dans le parti des personnes de nationalité étrangère. Intérieurement, je m’étais toujours posé cette question : pourquoi des personnes qui n’avaient jamais entrepris de faire un parti politique chez elles en vue de la révolution dans leur propre pays, voudraient la faire chez nous, dans notre parti ? Intérieurement, je n’ai jamais eu confiance dans de pareils militants. Je les prenais pour des opportunistes voulant bénéficier des avantages de nos rapports avec les partis communistes des anciens pays socialistes ou alors des agents du deuxième bureau français. Pour ma part, j’en avais terminé avec Abdou Moumini non seulement au plan du parti, mais aussi au plan des rapports sociaux et humains.
Ainsi, lors de ses derniers passages à Dakar, dans les années 70, non seulement je m’étais refusé à le rencontrer malgré l’insistance de feu président Seydou CISSOKHO, mais je fus indigné que Seydou l’ait rencontré. Je précise que j’avais bien informé les camarades dont Seydou de la forfaiture de Moumini.
Après mon voyage infructueux à Bamako, j’ai quitté cette ville le même jour, au soir pour rejoindre les camarades selon l’itinéraire suivant : Bamako-Mahina par train, Mahina –Kégnéba par route et par camionnette : Kégnéba-camp des camarades par la broussaille à pied.
Comme convenu, je suis arrivé au campement sur les rives de la rivière Kohakabé le huitième jour de mon départ. Ici encore la situation n’était pas brillante. Les camarades avaient violé mes recommandations essentielles qui consistaient à
n' aller dans aucun village, ni se faire découvrir par des paysans. Ils avaient, sous la pression de leur ventre, suite à leur incapacité à se débrouiller en brousse, tenté de se ravitailler en vivres dans un village.
En effet, les provisions des camarades étaient finies. Aucun d’entre eux ne savait se débrouiller en brousse si riche en produits de cueillette auxquels ils pouvaient recourir pour tenir jusqu’à mon arrivée. Le groupe décida alors d’envoyer les frères Bara HANNE et Bouba LY chercher des vivres dans le village le plus proche appelé Dakhateli.
D’abord le choix du village était mauvais du fait que nous y étions une fois passés et en conséquence un manquement à la règle de guérilla selon laquelle on n’emprunte pas deux fois un même chemin. Donc, cette règle suffisait pour ne pas aller dans ce village au risque de se faire prendre. Le choix porté sur le camarade Bouba LY n’était pas non plus le meilleur. En effet d’expérience, ce camarade était physiquement faible de sorte qu’il était très lent dans ses mouvements. Par exemple, il ne pouvait pas porter cinq kilogrammes de bagages, traînait les pieds et nous retardait dans la marche, mettait plus d’une heure pour se laver.
Les deux camarades partirent donc dans le village ci-dessus cité dans la soirée. Les villageois les installèrent dans une case, leur donnèrent à manger et à boire. Ils tenaient à leur vendre des vivres et leur proposaient d’attendre le matin. Ce que les camarades acceptèrent. Mais dans les conversations de Bouba LY avec les villageois, le camarade Bara HANNE comprit quelques mots qui le firent soupçonner que quelque chose se tramait pour les prendre. Alors, il proposa à son compagnon Bouba LY de partir. Ce dernier le calma et suggéra d’attendre jusqu’au matin. Enfin de compte Bara HANNE se décida à partir seul. A sa sortie, c’était trop tard ! Les villageois avaient encerclé leur case, les ligotèrent, les mains derrière le dos et les conduisirent au village diallonké dit Noumouhoukha. Là, les paysans placèrent le pied de chacun d’eux dans le creux d’un morceau de bois lourd pour les empêcher de fuir. En quelque sorte, ils les mirent au fer comme dans les prisons modernes avec la différence ici que le fer était remplacé par le bois. Ainsi donc, ils ont été maintenus à Noumoufoukha jusqu’à l’arrivée des agents de sécurité du régime.
Le sentiment profond du camarade Bara HANNE est que le camarade Bouba LY en avait assez et voulait se rendre. Il a profité de l’occasion et a organisé avec les villageois leur capture.
C’est le lendemain vers onze heures que je suis arrivé au camp. Pour m’assurer que les camarades n’étaient pas perdus, je m’étais immédiatement porté au dit village accompagné du camarade Madior Bouna NIANG. En cas de tentative de nous capturer, j’étais prêt à donner la leçon en utilisant mon pistolet. Arrivés, le camarade Madior bouna NIANG marchait devant moi à 30 ou 50m. En cas de danger, il devait courir dans ma direction et me dépasser. Je devais attendre le poursuivant pour le descendre à bout portant et me dégager. Dans cette éventualité, nous ne devions pas être distants de plus de 25m.
Nous n’avons trouvé que des femmes et deux hommes apparemment non valides. A notre arrivée, visiblement ils avaient peur. Ils répondirent à nos salutations en tremblant et nous indiquèrent que nos camarades étaient allés avec les villageois dans un village du nom de Noumouhoukha. Je leur ai dit d’être nos interprètes auprès des autres pour leur dire qu’ils n’étaient pas concernés par nos activités et que s’ils continuaient à aider les autorités à arrêter nos camarades, ils le paieraient cher un jour. Nous rebroussâmes chemin. C’était clair, les camarades étaient pris.
Arrivés au camp, nous pliâmes bagages pour nous porter à 300km de là, sur les bords de la rivière Tindianko. Cela se passait dans le courant d’avril 1965. Sur les cinq (5) camarades du sous-groupes, nous nétions plus que trois :
- Dublinki dit Baba DIOP
- Madior Bouna NIANG
- Sadio CAMARA (moi-même)
SUR LES RIVES DE LA RIVIERE TINDIANKO
Tindianko un affluent de la rivière Gnériko au Nord de Dialacoto. Par rapport à la Gnériko, elle coule du Sud-Est et Nord-Ouest, arrose un certain nombre de villages de la région naturelle Tanda-Gammon. Nous nous installâmes sur la crête militaire d’une colline la surplombant. A partir de là, nous avons noué le contact avec les camarades de Dialacoto à savoir :
- Guimba DEMBELE, alors directeur de l’école dudit village, un des premiers militants de Tambacounda
- Birane SALL, infirmier au dispensaire du même village, un des premiers militants de Tambacounda. Il se trouve aujourd’hui à la retraite dans son terroir d’origine qu’est Bakel ; un camarade discret, fidèle et efficace.
Il en est de même de sa femme qui est très sereine. Par ses ruses, elle a assuré notre sécurité lors de nos passages dans leur logement au dispensaire de Dialacoto. C’est avec ces camarades que j’ai eu des informations précises sur l’ampleur des forces militaires et policières du Sénégal et de la France engagée contre nous, la vitesse avec laquelle la route Tamba-Kédougou a été construite à des fins militaires (acheminement de troupes et matériels de guerre), travaux qui seraient financés par le Crédit Lyonnais, donc par la France Coloniale.
Cet engagement des troupes militaires et policières de la France auprès de l’armée sénégalaise montre bien, après les événements de 1960 à Saint-Louis, la nature néocoloniale du régime, UPS-PS à l’époque. C’était bel et bien un régime à la solde de l’impérialisme français, un régime de nègres de service comme nous le disions et l’écrivions.
Lors de ces événements j’étais la personne principalement recherchée avec 2 millions de francs CFA de prime promis à toute personne qui me livrerait vivant ou mort aux autorités. A cet effet, chaque agent des services de sécurité était en possession de ma photo, celle de ma première carte d’identité délivrée du temps de l’administration coloniale appelés « Haut Commissariat ».
C’est en ce lieu et avec ces camarades que j’ai appris de manière précise, les mesures de répression sans précédant dans l’histoire politique du Sénégal ; par leur envergure, elles eurent une dimension nationale et internationale. Les populations du Sénégal-Oriental, notamment du Gnokholo, ma localité natale, furent soumises à une terreur inouïe : mise à sac des villages, arrestations et tortures de personnes soupçonnées d’avoir des liaisons avec nous ou tout simplement parce que telle ou telle personne ressemblait à Sadio CAMARA. La terreur a été si violente et si étendue que le voyage des autres citoyens sénégalais dans ces zones était rare (pour ne pas dire nul) pendant plus d’un an. C’était comme si la région se mourait.
Nous étions au mois de mai 1965. Quand nous arrivâmes là, nous étions presque nus et sans aucun matériel. Alors, avec l’aide des camarades de Dialacoto, nous nous sommes habillés et équipés de matériels de cuisine, de pêche…
A ce jour, je croyais encore au projet et espérais nouer le contact avec la direction du parti. En attendant, il nous fallait continuer la tâche de prospection et d’aménagement de caches. C’est pourquoi, en plus du matériel de cuisine et de pêche, nous nous sommes équipés, à partir de Dialacoto, de pioches, pelles, râteaux, haches et coupe-coupe. Après quoi nous pûmes aménager des caches dans cette partie de Tanda–Gammon.
Au mois de juin 1965, sur les bords de la Gnériko, Radio Sénégal nous apprenait le verdict du «Tribunal spécial», une juridiction d’exception, comme mentionnée plus haut au début, qui avait jugé les camarades pris par les forces répressives.
L’acte d’accusation mentionnait, comme d’habitude, les rituels délits de «reconstitution de ligues dissoutes», en l’occurrence le PAI et de «complot contre la sûreté de l'Etat». Les peines prononcées furent, entre autres exemples :
- Amath DANSOKHO, condamné par contumace à la peine ferme de 5 ans
- 12 ans de réclusion pour Max Mader SAMB
- 10 ans de détention criminelle pour le camarade Charles GUEYE
- 10 ans de travaux forcés pour le camarade Bara GOUDIABY, commandant de la zone Sud.
Nous avons donc passé cinq mois sur les bords de la Tindianko et de la Gnériko sans aucun problème. Nous nous ravitaillions régulièrement. Les rivières aux bords desquelles nous vivions étant très poissonneuses, nous préparions de très bons plats à base de poisson. En outre, quand nous avons pu nous procurer une carabine avec des balles, nous alternions les plats à base de poisson et ceux à base de viande de lapin ou de perdrix et de pintades. Notre art culinaire s’enrichissait aussi de frites d’amende de noix de rônier et de tubercules de jeunes pousses de rônier…
Au mois de Septembre 1965, nous levâmes le camp pour une tournée d’information dans les zones d’opérations militaires. L’objectif était de recueillir le maximum d’informations sur les actions menées par les forces armées, les services de sécurité et les autorités administratives et politiques dans la zone.
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