Bienvenue notre blog

Bienvenue notre blog

LIVRE DE SADIO CAMARA : CHAPITRE II : A Tambacounda : 1961-1964

Les événements de Saint- Louis vus de Tambacounda

 

En 1960, Moustapha KASSE et moi, nous nous retrouvions de nouveau ensemble en vacances à Tambacounda. Les élections municipales eurent lieu le 30 juillet 1960. A cette occasion, le Parti initia des listes d’union qui rencontrèrent l’adhésion massive des populations, à Saint-Louis, Thiès et Mbour notamment. Les votes dans ces villes s’exprimèrent nettement, dés les premières heures, en faveur des listes de coalition parrainées par le PAI.

 

Alors l’UPS et ses nervis, appuyés par l’administration, notamment le commandement territorial, expulsèrent les représentants du PAI des bureaux de vote. Les militants ripostèrent par des manifestations monstres. Elles furent une exception à Saint-Louis pour les raisons suivantes : certaines figures charismatiques du parti étaient originaires et natives de cette ville comme Majmout DIOP, Tidiane Baïdy LY et Madické WADE, premier responsable de la section PAI de Saint-Louis, une section pilote à l’époque. Ces leaders étaient présents auprès des militants qu’ils encadraient. La section PAI était puissante du fait de son développement quantitatif et aussi en raison du niveau politique élevé des Saint-Louisiens par rapport au reste du Sénégal.

 

A Saint-Louis, les camarades étaient maîtres de toutes les rues de la ville. Ils avaient le pouvoir dans la rue. Mais ils avaient oublié ou n’avaient pas pensé le prendre dans les commissariats de police, les gendarmeries et les camps militaires de la ville. De la sorte ils s’étaient privés des moyens décisifs de la préservation du pouvoir et de la perspective de l’étendre au-delà… Vingt quatre heures après, l’armée française intervenait pour rétablir l’ordre ancien. Des camarades dirigeants seront arrêtés…

 

Pour ne pas être pris et pouvoir continuer la lutte, le camarade Tidiane Baïdy LY sera caché par d’autres camarades pour le sortir du pays. Alors L’UPS s’autoproclama gagnante des élections municipales dans les villes ci-dessus citées. Mentionnons aussi le rôle joué dans sa ville natale de Mbour par celui que nous appelons aujourd’hui affectueusement Doyen THIAM, de son vrai nom Falilou Doudou THIAM, commis d’administration. Pour avoir dirigé la liste PAI à MBour, il a été révoqué de son emploi. Convaincu de la juste cause du PAI. Il ne capitulera pas. Il gardera et rehaussera, encore plus haut, le drapeau de la dignité en se faisant conducteur de taxi, pour nourrir sa famille. C’était là un acte de haute portée patriotique, de courage et de dignité. N’est ce pas là un camarade exemplaire ?

 

Les événements  de Saint-Louis firent un grand écho à travers le pays. A Tambacounda, nous les suivions avec un grand intérêt et une grande sympathie.

 

François Zuccarelli, auteur d’un livre intitulé «un Parti Politique Africain, l’Union Progressiste Sénégalaise» paru en 1970, rapporte à propos de ces élections, ce qui suit : «l’UPS présente des listes partout, au contraire du PAI et du PRA. En nombres d’endroits éclatent des incidents. Le 24 juillet à Thiés, des commandos de jeunes UPS attaquent une réunion du PAI. Il y a des blessés et une voiture est incendiée. Le 28 c’est à Fatick, que l’on compte deux morts et sept blessés.

 

Le jour des élections, par certaines pratiques et subterfuges (refus dans certains bureaux de vote, de faire constater que les urnes sont vides avant le début du scrutin, expulsion des représentants de l’opposition), «les membres du Parti Africain de l'Indépendance, au nombre de trois cents, se répandent dans les rues de Saint-Louis, s’y livrent à des dépravations et à des violences qui amènent la riposte immédiate des forces de police» (souligné par nous).

 

«Le Gouverneur est blessé et un membre du service d’ordre est tué. Majmout DIOP, blessé lui aussi au cours de ces manifestations est inculpé avec Madické WADE (le chef du noyau de Saint-Louis) d’assassinat et complicité d’assassinat, incendies volontaires, coups et blessures. Certains lanceurs de projectiles sont jugés en flagrant délit et condamnés à six ou neuf mois d’emprisonnement».   

 

«Le même jour, à Mbour, quatre membres du PAI lancent des «cocktails–Molotov» sur un bureau de vote. Tout l'Etat-Major du mouvement marxiste est pourchassé».

 

Nous qualifions de partisans les propos de Mr Zuccarelli, qui ne pouvaient être autres dans le contexte mondial de l’époque de confrontation des deux systèmes sociaux,  capitaliste et socialiste, d’une part, et de l’autre, le contexte africain avec le néocolonialisme en cours et les pouvoirs installés, encadrés par les agents de l’impérialisme français à l’instar de Mr Zuccarelli.

 

En effet, Mr Zuccarelli était français, Docteur en Droit et Commissaire Principal à la tête de notre police nationale. Un gouvernement français aurait-il pensé un seul instant placer un Sénégalais ou un Ouest- africain noir à la tête de sa police ? En outre, il est intéressant de savoir que son livre mentionné plus haut, est non seulement préfacé par Léopold Sédar SENGHOR, Président de la République du Sénégal, mais aussi et surtout a été «honoré d’une subvention du gouvernement du Sénégal».

 

N’est- ce pas là des indications significatives sur l’auteur et ses assertions ?

 

Voici quelques exemples :

 

1°) – M. Zuccarelli estime le nombre des  manifestants PAI à Saint-Louis à trois cents personnes. Comment trois cents personnes seulement peuvent-elles faire face et faire fuir tous les agents des camps de police et de gendarmerie basées à l’époque à Saint-Louis et se rendre maîtres de toute la ville si vaste au point de faire venir de Dakar et d’ailleurs des forces militaires françaises pour rétablir l’ordre ancien ?

 

2 )- M. Zuccarelli rend responsables les manifestants PAI de l’intervention des forces dites de l’ordre. Mais, en réalité, ces forces dites de l’ordre ont pris fait et cause pour le parti au pouvoir, pour l’UPS contre les représentants de l’opposition, sinon- comment expliquer qu’elles aient assisté passivement, en violation de la loi et de leur mission à l’expulsion des représentants de l’opposition des bureaux de vote par les sbires UPS appuyés de surcroît par ces forces dites de l’ordre. N’est-ce pas là une preuve manifeste de la collusion de l’administration et de l’UPS contre les forces de l’opposition, contre le PAI ?

 

3 ) – Mr Zuccarelli proclame incontestable la victoire de l’UPS sur le PAI par 110427 voix contre 315. Ces chiffres n’ont de valeur que pour son auteur et pour L'UPS. Ils sont fabriqués de toute pièce par l’UPS et son administration. Le démenti sera apporté par Mamadou DIA, alors deuxième personnalité de l’UPS, Président du Conseil de Gouvernement, en ces termes…

 

«Dans l’affaire des élections municipales de 1960 qui se sont déroulées alors que j’étais en mission à l’étranger, j’étais pour les casser car les irrégularités étaient flagrantes d’après le rapport du Gouverneur Daniel Cabou. J’ai dû m’incliner devant l’avis contraire du Bureau politique par discipline de parti et parce que le comportement du chef du Parti Africain de l’Indépendance (P.A.I. ) Majmout DIOP, qui a mis en danger la vie même du Gouverneur et provoqué des troubles graves en prenant la tête du commando, mitraillettes aux poings, m’avait mis  en position de faiblesse. Pour ces mêmes raisons, j’ai dû appliquer la dissolution de ce parti, prise à mon corps défendant, par le bureau politique».

 

«A la vérité, le comportement de la direction du PAI de l’époque ne m’incitait pas à aller contre la volonté majoritaire du Bureau politique. Par ailleurs, c’était le moment où, à l’intérieur du parti, j’étais l’objet de la part des amis de Senghor d’une sourde campagne de calomnies qui tendait à me faire passer pour un crypto- communiste. C’était évidemment du délire. Mais, c’est vrai que sans être communiste je ne cachais pas mon admiration pour les expériences communistes à travers le monde». (Mamadou DIA, dans son livre Mémoires d’un Militant du Tiers-monde, page 222.)

 

A Tambacounda, nous recevions des coups de téléphone, des lettres faisant état de manifestations monstres de nos camarades, de leur bravoure et de leur abnégation face aux forces de répression. Des camarades gravement blessés scandaient vive le PAI, vive Majmout DIOP, vive l’indépendance ! Nous nous retrouvions à midi, après dîner chez Moustapha KASSE ou chez moi pour échanger des informations sur les événements de Saint-Louis, écoutions les commentaires des radios comme la BBC, la voix de l’Amérique, Radio France. Les événements de Saint-Louis nous avaient revigorés politiquement.

 

Nous étions plus confiants dans notre parti, le PAI, nos leaders et plus particulièrement en Majmout DIOP, 1er Secrétaire. Beaucoup d’anecdotes nous étaient rapportées à sa suite sur son courage, sa ténacité, sa capacité de guider et d’entraîner les masses.

 

Il était devenu notre idole et à nos yeux, l’héritier de El Hadji Oumar, Mamadou Lamine DRAME, Samory TOURE, etc.

 

Majhmout Diop 1922 : grand tribun, grand organisateur doublé d’une ténacité d’action

 

Le premier août 1960 nous apprenions à la radio la dissolution du parti par décret. Trois semaines après, la Fédération du Mali éclatait dans la nuit du  19 au 20 août 1960. Le passage du train qui amenait Modibo KEITA et ses hommes à Bamako, nous avait surpris. Nous étions dans les champs des paysans aux environs de Tambacounda. Nous étions peinés de ne pas pouvoir être présents à Tambacounda pour manifester notre solidarité, notre sympathie aux frères du Mali.

 

Nos activités de vacances cette année consistaient à faire connaître le parti à travers la campagne. A cet effet nous nous rendions à pieds dans les champs des paysans des environs de Tambacounda. Dans les villages les plus éloignés, j’allais avec Moustapha KASSE sur sa moto «scooter». Après salutations d’usage, nous demandions des outils de travail. On travaillait avec les paysans jusqu’à 17 heures. A l’occasion des pauses nous les entretenions de notre parti, de sa politique. Ils enregistraient nos propos et les approuvaient. Ils étaient plus sensibles aux mots d’ordre d’indépendance, par rapport à beaucoup de gens de la ville. A quoi  cela tenait-il ?

Nous pensions que les paysans restés enracinés dans l’histoire de nos Etats africains avaient des repères historiques pour s’expliquer l’indépendance de nos pays et partant le mot d’ordre d’indépendance nationale. Tel n’était pas le cas des citadins qui le plus souvent sont déracinés et sans repères historiques.

 

Une fois Moustapha KASSE rentra dans un grand trou et je fus projeté et me retrouvai à terre. Il continua en zigzaguant au moins sur cent mètres pour s’arrêter et revenir vers moi. Il y avait plus de peur que de mal. Nous reprîmes la route pour les champs des paysans.

 

A Cotiary

 

A l’ouverture des classes en 1960, à ma demande, je fus affecté à l’école de Cotiary, une nouvelle création. Cotiary est un village à 30km de Tambacounda sur la voie ferrée en allant à Kidira.

 

Cette première année, une boutique  mise gracieusement à la disposition des autorités scolaires par un commerçant de la localité a servi de classe. Une case m’a été offerte par le chef de village, Thiécoura DIARRA, où j’ai habité durant mon séjour.

 

Comme on dit chez nous, mon nom m’a devancé. Les responsables UPS de Tambacounda, par le biais des autorités administratives, mirent en garde les populations contre moi me présentant comme une «tête brûlée», comme un «opposant dangereux» dont il fallait se méfier, et à surveiller de près. J’ai donc ouvert cette école en 1960 avec une soixantaine d’élèves filles et garçons. Très vite, je me suis familiarisé avec le milieu et très vite les populations m’ont adopté. Cette facilité d’intégration ou d’insertion est due aux faits suivants : je parlais les langues du milieu (Madinka et pulaar), je rendais visite aux chefs de famille du village sans considération politique ou autre, je participais aux cérémonies et manifestations non seulement du village mais aussi des villages environnants avec des jeunes de mon âge. Mes succès scolaires sont venus renforcer la sympathie des villageois à mon endroit, notamment les parents d’élèves et les responsables locaux de l’UPS. Au bout du sixième  mois, mes élèves savaient lire couramment, écrire et calculer correctement.

 

Pour permettre aux parents d’apprécier le travail de leurs enfants, je les invitais périodiquement à visiter les cahiers de leurs enfants et le tableau où étaient affichés les meilleurs devoirs de calcul, d’écriture et de dessins. Ils étaient émerveillés et me félicitaient.

Un petit événement intervint en Novembre. Le commandant de cercle de Bakel, un pulaar bon teint, était en tournée dans le village.

 

A la tête d’une suite nombreuse, il est venu dans ma classe, alors que je dispensais mes cours, pour me demander de lui servir d’interprète. J’ai répondu par un non catégorique et immédiatement il est sorti avec sa suite de ma classe. Mon non catégorique à haute voix et la sortie immédiate du commandant de cercle ont impressionné les villageois. Pour la première fois de leur vie, ils avaient vu quelqu’un non seulement dire non au commandant, mais le dire de cette manière. Pour la première fois également ils avaient vu le commandant avoir un comportement de poltron devant quelqu’un. Alors ce fut le sujet de conversation pendant des jours dans le village et ses environs. J’apparus à leurs yeux comme un homme supérieur au commandant, donc un homme spécial. A la question de savoir pourquoi j’ai refusé de servir d’interprète au commandant, j’ai répondu qu’il était pullar et parlait bien le pulsar et n’avait  pas besoin d’interprète. Ils approuvèrent ma réponse. J’en ai profité pour démystifier ces agents de l’administration qui, par complexe, ne parlaient pas directement aux populations et les invitaient à  refuser de servir d’interprètes à de pareils personnages indignes du pays. Parallèlement, je menais mon travail politique. Je faisais des tournées dans d’autres villages, je commençais à avoir des adhérents à Cotiary même et dans d’autres villages environnants.

 

Au mois de mai 1960, des responsables PS cogitèrent un plan pour me faire affecter à l’ouverture prochaine des classes. Alors, le responsable PS de Cotiary, Moussa DIENG, prit ma défense. Il consulta toutes les personnalités du village pour les mettre en garde contre le projet de leurs chefs politiques à Tambacounda de me muter. Il leur disait de tout faire pour que le village s’unisse afin que M. CAMARA ne le quitte, car selon lui, si je quittais ce serait le malheur pour  leurs enfants. En outre, il leur précisait que si j’étais un militant du parti au pouvoir, l’UPS, j’aurais passé tout mon temps entre Dakar et Cotiary et leurs enfants ne sauraient rien et ne deviendraient  jamais rien.

 

La réunion projetée par les responsables UPS de Tambacounda eut lieu à Tambacounda même à la mairie. La délégation de Cotiary a exprimé son opposition à mon affectation ailleurs et s’est prononcée pour mon maintien dans le village. Les mêmes arguments que le responsable UPS  a développés auprès des autorités du village ont été  développées par lui devant les autorités politiques en ces termes : si vous voulez notre bien laisser le avec nos enfants, c’est lui, aujourd’hui notre bonheur. Il a été soutenu à cette  réunion par Moussa DIALLO qui était alors Député-Maire, UPS de Tambacounda sur la base du principe que tous les citoyens étaient égaux et que j'étais libre de faire ma politique et que les membres de l’UPS se battent pour gagner la confiance des populations. A son tour, il s’est farouchement opposé à ma mutation.

 

Comment j’ai été informé de la manœuvre ? J’avais à Tambacounda un ami commerçant, Ansoumane DIAKHITE, qui avait une grande sympathie pour moi. Pour cette raison il m’avait confié son fils Kadialy, actuellement Speaker à Radio Sénégal. Cet ami avait dépêché un émissaire spécialement pour me demander de venir rapidement le voir à Tambacounda. J’ai reçu l’émissaire vers 15 heures. Après ma classe, à 17 heures, j’ai pris mon vélo et je me suis rendu à Tambacounda. Il m'informa en détails des discussions autour de ma personne et les différentes opinions qui s'étaient exprimées. La conclusion a été la victoire des habitants de Cotiary et de Moussa Diallo sur les autres.

 

Par ce biais, j’ai su que j’abritais et nourrissais un jeune de Tambacounda du nom de Baba TRAORE qui était releveur des tonnages d’arachides commercialisés dans le village pour le compte de l’ONCAD. Alors c’était ce dernier qui rapportait aux autorités de Tambacounda mes propos et mes activités politiques. Il estimait que j’étais un danger pour l’UPS. Vérification faite, c’était en réalité un agent secret qu’on m’avait filé et qui exerçait sous couvert de ce service. Voilà, après Oumar Aba DIALLO à Kédougou, comme espion, c’est le deuxième flic que j’ai eu entre les jambes.

 

Un week-end sur deux, je partais à Tambacounda pour prendre contact avec les camarades et faire le point de l’avancement du parti dans la localité ; recevoir les informations venues de la direction, procéder ensemble à l’analyse de la situation locale, nationale et internationale et dégager de nouvelles tâches. Ces tâches consistaient essentiellement à faire rentrer les cotisations et contributions, à organiser des groupes de propagande en direction des personnes cibles,  des quartiers et des villages retenus,  à désigner deux camarades pour suivre dans la presse écrite et radiodiffusée les informations relatives à la situation nationale et internationale ainsi que  les informations politiques, sociales, économiques ayant trait à notre localité. Les camarades nous en faisaient rapport à la réunion suivante pour appréciation et correction. En confiant une tâche à un camarade ou à un groupe de camarades, si elle nécessitait des moyens financiers ou matériels, tout était prévu de manière précise dans le temps et dans l’espace. Nous formions un groupe soudé, homogène, Ce qui correspondait au parti communiste-léniniste de type nouveau qu’était le PAI, un parti monolithique, soudé, ayant une idéologie commune, un programme unique, des statuts uniques. Nos activités se développaient. Ceci d’autant qu’au début de cette année scolaire, nous avions été renforcés par deux camarades instituteurs de Saint-Louis, responsables de la section de cette ville, affectés arbitrairement à Tambacounda à la suite des événements rapportés plus haut. C’étaient les camarades René TRAORE et Alioune DIOP tous deux Saint-Louisiens.

 

Alors avec ces deux camarades nous formions une bonne équipe à Tambacounda, nos visites en villes, nos causeries politiques devant les boutiques, dans les services, etc.. étaient très remarquées  et appréciées. Nous étions admirés et respectés dans tous les milieux.

 

Mais très peu de personnes venaient à nous dans le parti. C’était le reflet mystique du pouvoir dans les masses populaires, dans leur conscience : d’accord avec nous sur nos propos mais incapacité d’adhérer à notre parti par peur du pouvoir. Pour elles, le pouvoir est un sacrilège, une montagne indéracinable. Un jour un petit bourgeois intellectuel d’origine féodale, instituteur de son état, me dit sans ambages : «Monsieur CAMARA, je suis d’accord avec vous, mais je pense que c’est une folie que de s’attaquer à un pouvoir avec sa police, sa gendarmerie et son armée».

 

Je lui rétorquai que cela exigeait des sacrifices des meilleurs fils du pays pour se regrouper dans une organisation commune, monolithique. L’exemple nous est donné par les bolcheviques, le parti communiste chinois, le parti des travailleurs vietnamiens et le FLN (Front de Libération National Algérien) en lutte pour l’indépendance de son pays). Rien à faire, le petit bourgeois restait dans sa conviction profonde «s’attaquer au pouvoir est une folie». Cet exemple montre l’état d’esprit des larges masses face au pouvoir.

 

Dans le courant de l’année, 1961, le Président du Conseil de gouvernement d’alors appelé par ses laudateurs du moment «Mamadou Premier» décréta le prélèvement volontaire sur les salaires en vue de la construction de la grande mosquée de Dakar, digne de la capitale mais aussi répondant au point de vue d’un frère musulman caché. Au journal, parlé de 20heures de radio Sénégal, dans les langues nationales la liste des donateurs était lue. Sur la première liste, la mère de Mamadou DIA a été citée avec un don de 7 000 000F si ma mémoire est bonne. Cela m’a beaucoup frappé de voir une personne comme moi, qui n’a rien hérité de ses parents, même pas un poulet, donner une telle somme. Je n’ai pas cherché longtemps à comprendre. Pour moi, cette somme avait été prélevée des recettes des contribuables sénégalais par son fils pour le donner en son nom. Alors, je me demandai au vu des préceptes de l’islam à quoi cela correspondait.

En même temps je commençais à me faire une opinion sur la nature féodale des régimes africains et l’irrationalité des africains noirs dans l’exercice du pouvoir.

 

A Tambacounda, nous réfléchissions comment faire refuser les gens de cotiser, s’opposer à cette décision unilatérale. Nous avions imaginé un stratagème pour donner l’exemple. Ainsi à la fin du mois, j’ai accompagné René TRAORE et Alioune DIOP prendre leurs salaires à la Résidence. La Résidence était l’appellation du lieu qui abritait le commandant de cercle et les services publics administratifs qui s’y rattachaient. Il y avait une queue et les camarades étaient dans le rang. N’étant pas concerné, car je touchais mon salaire à Goudiry, subdivision de Bakel, je m’étais placé devant, près du guichet, un peu à l’écart pour ne pas gêner les collègues. Mais la distance observée me permettait d’entendre les échanges de propos entre le payeur et les payés. A chacun il déclarait la somme retirée et personne ne bronchait. Quand arriva le tour du Camarade René TRAORE, il lui déclara la somme retirée pour la grande mosquée de Dakar. René lui rétorqua «de quel droit , le prélèvement n’est pas obligatoire, il est volontaire. Et même s’il était obligatoire, moi René TRAORE je refuse ; Remettez-moi l’intégralité de mon argent. Si non ça va barder entre nous». L’agent spécial lui remit la totalité de son salaire. Au tour du camarade Alioune DIOP, l’agent lui demanda s’il cotisait pour la grande mosquée. Alioune lui répondit à son tour par la négative. Il lui remit donc l’intégralité de son salaire. Il en a été ainsi jusqu’à la fin du rang, c’est- à- dire plus personne n’a accepté que lui soit appliqué le prélèvement d’une partie de son salaire. Et le payeur un certain M. SOW, de teint clair, s’est plié, sans dire un mot, à cette volonté.

 

Un soûlard était là, écoutait et observait. A notre départ il s’est mis à parler dans la cour en ces termes : «voilà un homme, celui là est un homme. Monsieur l’agent spécial a vu aujourd’hui un vrai homme. Un homme plus homme que lui. C’est lui vraiment qui a le pantalon. C’est lui qui a les pendules solides entre les jambes. Par contre Monsieur l’agent spécial ne les a pas solides entre les jambes». La foule se mit à rire. Aux rires de la foule, le soûlard se tourna vers elle, la regarda avec mépris et dit : «vous n’avez pas honte de rire messieurs. Vous êtes des femmes, des femmes de l’agent spécial. Avant que le monsieur ne refuse, aucun parmi vous n’avait osé refuser. Vous trembliez en ayant vos pendules serrées entre vos jambes. Vous trembliez devant lui. Il vous prenait de l’argent et vous n’osiez pas protester». Alors ce fut un silence de mort. Le soûlard s’en alla.

 

Le lendemain, c’était le grand commentaire à travers toute la ville de Tambacounda commentaire portant sur la bravoure du camarade René TRAORE pour avoir refusé et montré le chemin de l’honneur, le chemin de la dignité. Mais aussi des commentaires ridiculisant le  comportement de l’agent spécial. Ce grand fonctionnaire apparaissait aux yeux de l’opinion comme un lion. Elle  le découvrait comme un agneau face à un homme digne, à un homme engagé. Depuis lors personne n’a eu de prélèvement sur son salaire pour le compte de la grande mosquée de Dakar. Voilà à ce propos comment nous avions mis en échec à Tambacounda cette décision autoritaire du premier Roitelet de l'indépendance.

 

Durant les deux premières années de ma  présence militante à Tamboucouda (1960-1961), le parti n’a pas connu un développement spectaculaire, mais modeste mais de qualité. Son influence était manifeste grâce à la qualité de ses adhérents et à leurs actions décisives et multiformes par la propagande orale organisée, les affiches et la diffusion de la presse.

 

A l’époque, la région de Tambacounda ne comptait ou ne connaissait que deux partis politiques à savoir : le P.S de Senghor et le PAI de Majmout DIOP comme on disait alors.

 

Les premiers militants, ceux que j’ai connus à la tâche (réunion de structures, tâches de diffusion de la presse, de propagande en ville et hors de la ville, etc.) organisés dans les structures étaient, comme suit.

Mamadou CAMARA, Electricien aux T.P

Guimba DAMBELE, Instituteur

Makhan DANFAKHA, Employé CFAO

Amadou DEME, Gérant factorerie CFAO

Khassimou DIA, qui deviendra DC de Habib Thiam

Samba DIALLO, Maçon aux T.P

Mamour DIOP, Instituteur à l'école Régionale

Issa FALL, Elève lycée

Bara HANNE, Coopération

Bangaly KABA, Elève lycée Faidherbe

Moustapha KASSE, Eleve lycée Vanvo Vollénovene

Moriké KONARE, Secrétaire Dactylo aux T.P

Bouba LY, Boutiquier

Tidiane LY, Instituteur école dépôt

Sitor NDOUR            , TP qui tient à ce jour un cabinet d’architecture à Dakar

Moctar Fofana NIANG, Coopération

Hamidou SAKHO, Elève lycée

Birane SALL, Infirmier au dispensaire

Mamadou Ibra WANE, Commandant de l'aérodrome

 

Le coup de Force de SENGHOR et l’apparition des oiseaux de mauvais augures dans la région de Tambacounda

 

Le 17 décembre 1962, il y eut les événements SENGHOR – DIA. Nous étions loin du centre de ces événements qui se déroulaient à Dakar. Nous étions contents de l’arrestation et de l’emprisonnement de Mamadou DIA. Nous suivions ces événements de manière passive. Notre comportement était le reflet des masses, notamment des travailleurs des villes face aux méthodes autoritaires de l’ancien Président du Conseil de Gouvernement Mamadou DIA. Après lés événements SENGHOR-DIA, au début de l’année 1963, un certain Ousmane NDIAYE accompagné de quelques amis se rendit à Cotiary pour tenir une réunion politique. Tout le monde, hommes et femmes, jeunes et vieux, selon le crieur public, étaient conviés à la réunion. A ce titre je m’y étais rendu.

 

Monsieur Ousmane NDIAYE tenait les propos suivants : «hommes et femmes, jeunes et vieux, je vous salue. Certainement vous êtes au courant du conflit SENGHOR-DIA. DIA a  voulu faire sombrer le Sénégal dans l’abîme. Il n’a jamais voulu du bien pour les fils du Sénégal. Ici dans la région de Tambacounda, ses hommes, Mamadou SEYE et Abdoulaye BA n’ont rien fait depuis qu’ils sont là. Dieu merci, nous avons SENGHOR, un homme très bien. C’est un grand homme politique qui veut du bien pour les Sénégalais et veut travailler pour le Sénégal. Vous connaissez Mady CISSOKHO, lui aussi est un homme très bien. Il a beaucoup fait pour son département de Kédougou. Par exemple la route Tamba-Kédougou. «SENGHOR et Mady CISSOKHO, voilà deux hommes qui sont biens et qui veulent travailler pour le Sénégal ; nous devons nous mettre derrière eux et les soutenir».

 

Monsieur Ousmane NDIAYE n’était pas un inconnu de ses compatriotes du cercle de Bakel. Les premiers orateurs exprimèrent leur étonnement de le trouver devant eux pour leur parler de politique. Ils ne le connaissaient pas homme politique et ne l’ont jamais vu ni entendu parcourir le pays dont il se dit originaire et natif. D’autres orateurs le qualifiaient de fils de Bakel, mais un fils de Bakel qui n’aimait pas recevoir dans sa villa de Dakar les Bakellois, même pas ses parents directs. A mon tour j’ai pu intervenir en Mandinka pour démonter les thèses de Ousmane NDIAYE.

 

Je lui ai dit qu’en entendant les premiers frères orateurs, il est étranger à la région. Il ne la connaît pas. Sinon il n’aurait pas dit que Mady CISSOKHO avait travaillé pour son département en citant comme exemple la route Tamba-Kédougou qui en réalité est une piste dans un état d’abandon, ceci le temps que Mady CISSOKHO était élève au collège Blanchot de Saint-Louis à ce jour. Aussi, comme toujours, Kédougou reste coupé du reste du Sénégal durant la période des pluies, c’est-à-dire de l’hivernage. Alors je l’ai invité à parler des choses qu’il connaît. Pour cela, il doit apprendre à connaître le pays, sa région natale, à connaître ses compatriotes en premier lieu ses parents, les aider à organiser et à défendre leurs intérêts. Le contraire n’est pas possible. Celui qui se comporte de la sorte se caractérise en termes politiques comme un démagogue, un opportuniste, un laudateur. Un pareil personnage, les citoyens sénégalais de la région n’en ont pas besoin. Qu’il aille se faire voir ailleurs. Les gens du village sont respectables et respectés, ils n’ont pas le temps d’écouter des charlatans, des menteurs qui viennent de loin. Il est un oiseau de mauvaise augure .

 

Mon intervention fut religieusement suivie par l’auditoire. On me rapportera après que Monsieur Ousmane NDIAYE, surpris de mon intervention, ne savait pas où se mettre ; il se  renseignait sur moi, qui j’étais ? A quel parti j’appartenais ? etc.. La réunion prit fin dans la confusion. L’auditoire se dispersa. Une bonne partie me suivit dans ma mouvance. Alors mon intervention suscita beaucoup de commentaires dans le village et les environs. Le fait que bien qu’instruit dans la langue française, je n’avais pas recouru à un interprète et m’étais adressé à eux dans la langue du territoire fut une première pour les populations et cela les émerveilla énormément. En outre les propos tenus et la manière dont ils l’avaient été furent aussi une première pour elles. Jusque là elles n’avaient  pas vu quelqu’un s’adresser de la sorte à un homme cravaté avec une belle voiture venu de Dakar, elles ignoraient que le plus souvent derrière la belle cravate et la belle voiture il n’y avait  que l’indignité sur fond de cupidité et de couardise.

 



06/09/2017
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi