Contrats avec TOTAL : symbole de la mainmise française sur l’économie du Sénégal
Presentation du camarade Alla Kane dans le cadre des Samedi de l’économie de l’ARCADE et
de la fondation Rosa Luxembourg, en mai 2017
En matière de préservation et de gestion de ses ressources naturelles le Sénégal s’est doté d’un ensemble d’instruments politiques et juridiques dans le cadre institutionnel, légal, réglementaire et contractuel. Il a ainsi adopté un code de l’eau, un code de son domaine privé, un code forestier, une loi relative au domaine national, un code minier et un code pétrolier.
Les dispositions des articles 25-1 et 25-3 de la Constitution du 22 Janvier 2001 sont ou ne peut plus explicites en proclamant :
- Article 25-1 : «les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l’amélioration de ses conditions de vie.
L’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence et de façon à générer une croissance économique, à promouvoir le bien-être de la population en général et à être écologiquement durable.
L’Etat et les Collectivités territoriales ont l’obligation de veiller à la préservation du patrimoine foncier».
- Article 25-3 - alinéa 4 : «tout citoyen a le devoir de préserver les ressources naturelles et l’environnement du pays et d’œuvrer pour le développement durable au profit des générations présentes et futures. »
Là où le bat blesse, c’est au niveau du cadre contractuel.
Dés qu’il s’agit de Contrats, la nébulosité et l’opacité sont de règle malgré l’adhésion du Sénégal à l’ITIE (Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives)
La dernière manifestation en date de cette pratique qui a bruyamment frayé la chronique et a même couté son poste au ministre chargé de l’Energie et du Développement des énergies renouvelables du gouvernement de la République, est la signature entre le gouvernement et le groupe TOTAL de deux (2) accords pour explorer l’Offshore profond du Sénégal à la recherche de pétrole et de gaz. Ce qui constitue une véritable agression à nos ressources naturelles quand on apprend que la répartition léonine du capital est encore à 90% à l’opérateur TOTAL et 10% à notre société nationale qu’est Petrosen. La presse a fait état d’un investissement de 120 milliards de F CFA. Et c’est le PDG de l’entreprise française lui-même - Monsieur Patrick Pouyanné- qui est venu à Dakar pour la signature des deux accords. Cet événement qui est le dernier en date, n’est qu’un symbole. Celui de la position dominante de la France, ancienne puissance coloniale, dans l’économie sénégalaise comme a eu à le laisser entendre Son Excellence Jean Félix Paganon alors ambassadeur de France au Sénégal en disant : «nous sommes le premier partenaire du Sénégal de tous les points de vue et nous comptons le rester».
Quelle est la réalité de la mainmise française sur l’économie du Sénégal qui justifie bien les propos de l’Ambassadeur ?
Nous allons tenter de répondre à cette question en présentant notre communication en quatre (4) parties distinctes qui se dérouleront ainsi qu’il soit :
- Les racines historiques de la situation actuelle
- La présence effective des entreprises françaises dans l’économie sénégalaise
- Les interventions de l’Agence française de développement (AFD) au Sénégal
- Les échanges commerciaux entre la France et le Sénégal
RACINES HISTORIQUES DE LA SITUATION ACTUELLE
Dés le 19ème siècle, le génial Karl Marx indiquait les lignes de force qu’allait emprunter l’évolution du monde depuis le 16e siècle pour aboutir aux manifestations qu’on lui connait aujourd’hui.
Il le disait en ces termes : «l’histoire moderne du capital date de la création du commerce et du marché des deux (2) mondes au 16ème siècle… Le régime colonial assurait des débouchés aux manufactures naissantes dont la faculté d’accumulation redouble grâce au monopole du marché colonial. Les trésors directement extirpés hors d’Europe par le travail forcé des indigènes réduits en esclaves, par la concussion, le pillage et le meurtre, refluaient à la mère patrie pour y fonctionner comme capital».
L’exploitation économique était le lot des pays coloniaux qui constituaient le marché colonial qui assurait les débouchés aux manufactures naissantes des pays colonisateurs auxquels était réservée l’accumulation continue du capital.
Ainsi les bases de la constitution des deux mondes en Centre dominant et Périphéries dominées s’installaient et se poursuivent jusqu’au jour d’aujourd’hui.
Historiquement, notre pays, le Sénégal, a subi toutes les phases de cette évolution allant du 16e au 21e siècle, intégré dans le giron de l’Empire colonial de la France. De la phase de la colonisation directe à celle de la néocolonisation que nous subissons de nos jours.
Il a subi la colonisation directe qui ne laissait aucun espace pour les nationaux, aussi bien au plan administratif qu’à celui économique.
Au plan économique le pouvoir colonial s’est installé en amenant dans ses bagages des forces économiques organisées qui ont occupé intégralement l’espace du territoire de la colonie.
Ces forces étaient constituées des maisons commerciales bordelaises et marseillaises telles que Maurel et Prom, Buhan et Tesseire, Chavenel, Deves et Chaumet, Peyrissac, la SCOA, la NOSOCO, V.Q. Petersen, Maurel et Frères, Barere, Boutit, Duprez, etc.…
Et pour ne donner aucune chance aux nationaux sénégalais, le pouvoir colonial facilita l’installation des libano-syriens, des guinéens et des mauritaniens.
Tout l’espace était ainsi occupé par des non nationaux dans l’intérêt bien compris de la puissance coloniale.
Tout le commerce de gros, demi- gros et de détail était tenu par des non nationaux ce qui ne contribuait guère à une accumulation nationale du capital. Les trésors crées dans notre pays allaient s’accumuler en Europe pour continuer d’y «fonctionner comme capital».
Le Sénégal auquel a été octroyé l’indépendance était un pays vide de capitaux en général et particulièrement de capitaux nationaux.
Voila cinquante sept (57) ans que le Sénégal est indépendant et son problème d’accumulation interne du capital n’est toujours pas résolu. Il est toujours sous la domination des sociétés capitalistes internationales industrielles, commerciales et bancaires, essentiellement sous la coupe réglée des entreprises françaises qui bénéficient largement de conditions historiques qui leurs sont particulièrement favorables.
Le dernier recensement général des entreprises du Sénégal effectué par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) a donné les chiffres ci-après : un nombre d’entreprises s’élevant à 407.882 dont les 97% évoluent dans le secteur informel.
Le chiffre d’affaires annuel de l’ensemble de ces entreprises s’élève à 11.349,7 milliards de Francs CFA généré à hauteur de 16% par le secteur informel et de 70% par le secteur formel qui ne fait que 3% de l’ensemble. 52,1% de ces unités économiques exercent dans le commerce avec une forte dominance des Petites et Moyennes Entreprises (PME).
Les grandes entreprises de cet ensemble représentent 69%. Les personnes morales produisent 80% du chiffre d’affaires.
ENTREPRISES FRANCAISES DANS L’ECONOMIE SENEGALAISE
Le Quai d’Orsay dans son site web renseigne qu’en 2015, le stock des investissements français s’élève à 2202 millions d’euros soit 1431,3 milliards de F CFA et que 5716 entreprises françaises ont exporté vers le Sénégal en 2015, qu’au Sénégal 91 entreprises françaises sont implantées pour 10432 emplois et un chiffre d’affaires de 2373 millions d’euros soit 1542,5 milliards de F CFA.
Ces entreprises évoluent dans différents secteurs de l’économie sénégalaise essentiellement dans ceux-ci-dessous énumérées :
Agriculture et agro-industrie
- La Compagnie fruitière dans la production agricole
- Castel dans le secteur boissons et en partenariat avec Sofiproteol, CASL dans la production de riz
Carrières, Mines et Industries
- Cimenterie : SOCOCIM (VICAT)
- ERAMET, coactionnaire du projet d’exploitation des sables titanifères
- AVILIQUIDE, dans le secteur du gaz industriel
Bâtiments et Travaux Publics – BTP
- EIFFAGE : travaux autoroutiers
- SOGEASATOM
Distribution
- TOTAL, premier distributeur de carburant au Sénégal avec 170 stations services dont 80 dans la région de Dakar
- CASINO
- AUCHAN récemment
Transport aérien et tourisme
- AIR FRANCE ET CORSAIR
- Club méditerranéen.
Transports maritimes et logistiques
- BOLLORÉ, terminal Routier du port autonome de Dakar
- NERCOTRANS, terminal Vraquier du port autonome de Dakar
- DELMAS.
Télécommunications et Médias
- Sonatel avec Orange France Telecom comme premier actionnaire est le premier operateur Téléphonie et internet du Sénégal, première entreprise en chiffre d’affaires et la première capitalisation boursière à la Bourse régionale des valeurs mobilières
- ATOS qui a installé à Dakar un hub de services numériques
- Canal Plus, premier groupe de Télévision en France qui vient d’inaugurer la salle de cinéma Canal Olympia Terranga (groupe VIVENDI) capacité de 300 places assises
Banques et Assurances
- Sociétés Générale de Banques au Sénégal (SGBS) filiale de la Société Générale
- Banque Internationale pour le commerce et l’industrie au Sénégal (BICIS) filiale de BNP PARIBAS
Elles constituent les 2e et 3e banques du Sénégal.
- GRAS SAVOYE, courrier en assurances.
Notez deux (2) grandes périodes dans la manifestation des investissements français au Sénégal :
- la première période est la période de l’implantation historique (colonisation et premières années de l’indépendance)
- la seconde est celle de la vague des investissements des années 1990 avec les gros marchés de l’Etat du Sénégal tombés dans l’escarcelle des entreprises françaises sous le nez et la barbe des nationaux.
Dans cette deuxième vague, il faut comprendre :
- les 50% détenus par le groupe ERAMET dans la mine de Zircon entrée en production en 2014
- le Terminal routier du Port autonome de Dakar attribué à BOLLORÉ en 2013
- le Terminal Vraquier du Port autonome de Dakar donné à NERCOTRANS en 2014
- le nouveau club Méditerranéen sur la Petite Cote avec extension jusqu’au Cap Skiring en Casamance
- l’arrivée d’ATOS dans l’informatique en 2014
- la reprise par AUCHAN de la franchise d’ATTAC et son installation en propre en 2014
La cerise sur le gâteau est le colossal marché de 568 milliards de F CFA du Train Express Régional (TER).
Le groupe énergétique français ENGIE, en partenariat avec THALÉS, construit, ALSTROM fournit les trains au nombre de quinze (15) en bi-mode (diesel /électrique) et la SNCF gère l’exploitation.
L’effet négatif de tous ces marchés adjugés à des entreprises françaises se traduit par le fait que toutes les ressources qu’ils génèrent ne sont malheureusement pas réinvesties au Sénégal mais sont bien expatriés vers d’autres cieux.
INTERVENTIONS DE L’AGENCE FRANCAISE DE DEVELOPPEMENT (AFD) AU SENEGAL
L’AFD est le bras armé de la coopération étrangère de la France. Elle est chargée de la mise en œuvre et du suivi des engagements de l’Etat français dans les territoires des pays étrangers.
Les services de l’Ambassade de France au Sénégal ont donné l’information selon laquelle depuis 2008 le volume des engagements s’est élevé à 852 milliards de F CFA, tous produits financiers et tous secteurs d’intervention confondus.
L’AFD à une filiale dénommée PROPARCO qui suit ses interventions dans le secteur privé. Proparco a aujourd’hui un portefeuille d’activités de 75 milliards soit 49,15 milliards de F CFA.
L’AFD intervient sur quarante (40) projets au Sénégal représentant un total d’engagements de 780 millions d’euros soit 511,16 milliards de F CFA.
Elle a contribué au PSE, sur la période 2014-2017, pour un montant de 500 millions d’euros soit 327,6 milliards de F CFA.
En 2016, l’AFD a piloté les deux (2) projets importants que sont Keur Momar Sarr 3 et le fameux TER. Enfin, elle intervient également dans les domaines de l’Education de la santé, de l’énergie, de l’électrification rurale, du développement agricole et rural.
Pour clore ce chapitre rappelons les propos de Monsieur l’Ambassadeur de France Christophe BIGOT, actuellement en poste, qui nous apprend que : «les 75% des investissements étrangers au Sénégal sont le fait de sociétés françaises qui apportent ici leurs capitaux, leurs expertises, leurs technologies».
ECHANGES COMMERCIAUX ENTRE LA FRANCE ET LE SENEGAL
En ce qui concerne la présence respective des ressortissants de chaque pays dans l’autre, les statistiques donnent 200.000 sénégalais en France et 30.000 français environ au Sénégal. Hier pays colonisateur, la France est aujourd’hui le premier partenaire économique du Sénégal. Les conséquences historiques des rapports de dominant à dominé qui ont caractérisé leurs relations plus que séculaires entrainent une balance très avantageusement favorable à l’ancienne puissance coloniale qu’est la France.
Situation qui fait qu’aujourd’hui le Sénégal n’est que le 58ème client de la France selon les chiffres de 2015 et la France le premier fournisseur du Sénégal et son 6ème client selon les statistiques du Global Trade Atlas.
Selon la Douane française, la France a exporté sur le Sénégal :
- 820 millions d’euros (542,6 milliards CFA) en 2012
- 706 millions d’euros (462,6 milliards CFA) en 2013
- 729 million d’euros (477,7 milliards CFA) en 2015
Ce qui fait un cumul de 3 milliards d’euros soit 1969 milliards de F CFA en quatre (4) ans.
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Toujours selon les chiffres fournis par la douane française, le Sénégal n’aura vendu à la France dans cette période de quatre (4) ans, qu’à hauteur 328 millions d’euros, soit 213,2 milliards ce qui laisse apparaitre un solde de 1756 milliards de F CFA.
nature des produits échangés révèle que la France vend plus au Sénégal des produits agricoles et agroalimentaires.
Ainsi la domination écrasante des entreprises françaises dans l’économie sénégalaise est-elle d’une réalité éclatante, et cela dans tous les secteurs d’activités de l’économie réelle. Cette domination est encore plus marquée quand on la rapporte au pourcentage du secteur formel dans l’ensemble des entreprises du Sénégal qui n’est que de 3% contre 97% de secteur informel tel que révélé par le recensement général de ces entreprises et qui indique que 80% du chiffre d’affaires global de l’ensemble des entreprises est généré par des personnes morales qui englobent les entreprises françaises. Il faut ajouter à cela le franc CFA et la langue officielle.
Quand on étend cette réalité à l’ensemble des bailleurs de fonds communément appelés Partenaires techniques et financiers on retourne à la case de départ du Sénégal colonial caractérisé par une absence programmée d’accumulation interne du capital.
Les enjeux pour l’indépendance réelle de notre pays n’en sont que plus importants. On ne peut pas continuer à ouvrir toutes grandes les portes de notre pays au capital international qui ne garantit guère l’avènement d’un développement économiques social et culturel réel et durable basé sur une accumulation interne continue d’un capital réellement national.
Nous conclurons notre introduction par les propos effarants de Moustapha DIAKHATE, Président du groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar, groupe majoritaire à l’assemblée nationale. Il affirme, sans sourciller : «je crois que ce serait hasardeux et dangereux pour notre pays de mettre tous nos œufs pétroliers et gaziers dans un seul panier de Cosmos Energy. Je pense que la diversification des partenaires dans l’exploration, et ultérieurement dans l’exploitation, me semble être une option stratégique. Le choix de TOTAL me semble être intelligent … Le Sénégal à tout à gagner en nouant un partenariat avec cette firme».
Puis il ajoute «s’il ne tenait qu’à moi on pourrait même attribuer à TOTAL l’exploration à titre gratuit».
La composition du capital de TOTAL détruit intégralement son argumentation, défendant la diversification des partenaires.
Le capital de TOTAL a trois (3) catégories d’actions : les salariées (4,9%), les industriels (7,9%) et les actionnaires institutionnels (87,2%). Ces derniers se repartissent ainsi qu’il suit : 16,2% en France ; 12,2% au Royaume Uni ; 15,5% pour le reste de l’Europe ; 35,4% pour l’Amérique du Nord et 7,9% pour le reste du monde.
Moustapha DIAKHATE défend les intérêts d’une multinationale capitaliste et non ceux de la France et du Sénégal en contradiction flagrante avec les dispositions de l’alinéa 4 de l’article 25-3 de notre Constitution.
Non les intérêts de notre pays se trouvent dans le recouvrement de ses avoirs pétroliers et miniers actuellement indument octroyés à des sociétés étrangères.
D’où l’intérêt qu’il y a à soutenir fortement et massivement le «Collectif citoyen pour le recouvrement des avoirs pétroliers et gaziers du Sénégal» qui vient d’être mis en place.
Dakar, le 12 Mai 2017
Alla KANE
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