LIVRE DE SADIO CAMARA : CHAPITRE III : Le Congrès
Le Congrès
Nous reproduisons ci-dessous la relation qu’en avait faite l’organe central du parti, «LA LUTTE».
«Dans les premiers mois de 1961, s’était tenu le premier congrès du parti Africain de L’Indépendance (PAI). Créé en septembre 1957, pour des raisons diverses, il n’avait pu tenir encore son premier congrès. Car plus de quatre années d’existence et de luttes, dont une dans la clandestinité, avaient mûri les conditions de la tenue de ce congrès. Aussi, il est intéressant de signaler que malgré la découverte à l’époque d’un prétendu complot antinational où des dirigeants connus du parti seraient impliqués, malgré la permanence depuis un an de la loi d’urgence au Sénégal, malgré un arsenal impressionnant de lois répressives scélérates et l’institution d’un tribunal spécial jugeant des crimes et délits politiques, le premier congrès du PAI s’était tenu et avait été un succès complet».
«Deux jours durant, avant l’ouverture du congrès, un séminaire avait fonctionné pour étudier et discuter dans les détails deux questions de très grande importance pour notre parti : le problème paysan et le problème du Front Uni Sénégalais de l’Indépendance (F.U.S.I.). Au cours de nombreuses discussions, la situation économique des paysans, les questions tactiques du travail en fonction de toutes les couches sociales du pays, pour la constitution du F.U.S.I. avaient été abordées et approfondies.
«Des délégués représentant toutes les régions du Sénégal assistèrent au congrès. La commission des mandats avait établi comme suit la composition du congrès».
- Du point de vue de l’origine régionale, 78% des délégués étaient mandatés par les sections intérieures et 22% par les organisations de l’extérieur
- Du point de vue de l’âge des délégués, 16% avaient de 21 à 25 ans, 11% de 26 à 30 ans, 54% de 31 à 35 ans, 16% de 36 à 40 ans, et 3% de 41 à 45 ans
- Du point de vue professionnel, 43% étaient des permanents du parti, 20% des ouvriers, 3% des paysans, 20% des enseignants, 7% des étudiants, 3% des techniciens et ingénieurs et 3% des employés
- Du point de vue du niveau des études, 7% étaient des illettrés, 30% avaient suivi l’enseignement primaire, 15% l’enseignement secondaire et 48% l’enseignement supérieur, etc.
«Au cours du congrès, quatre rapports furent présentés, discutés et adoptés à l’unanimité : rapport sur la situation générale, rapport sur les questions d’organisations, rapport sur le bilan d’activité et rapport sur le projet de programme. Trois commissions élaborèrent plusieurs dizaines de résolutions qui furent toutes discutées et adoptées à l'unanimité du congrès».
«Sur les questions de doctrine, l’adoption du projet du programme revêtait une grande importance théorique et pratique. Car pour la première fois dans l’histoire de notre pays et de notre peuple, une analyse marxiste- léniniste de notre société était faite et confrontée, durant plusieurs années de lutte, avec la réalité concrète. La théorie et la pratique révolutionnaires du marxisme-léninisme faisaient leurs preuves dans le dernier bastion de l’impérialisme français en Afrique de l’Ouest».
«Il est intéressant de rappeler ici également que le programme avait été élaboré deux ans auparavant sous forme de thèses discutées dans les rangs du parti, dans sa presse et parmi les cercles de sympathisants».
«Cette charte fondamentale du parti comprenait 35 points répartis en quatre chapitres. Le chapitre I analysait la société sénégalaise, définissait et fixait les étapes d’un programme minimum du parti (l’indépendance) et d’un programme maximum (le socialisme), précisait la nature et le contenu de l’Etat sénégalais à créer et la question de l’option pour l’unité africaine. Le chapitre II traitait des objectifs sociaux du PAI, de sa politique vis à vis de toutes les classes et couches sociales sénégalaises, des libertés démocratiques et des Problèmes culturels».
«Le chapitre III indiquait les moyens économiques pour réaliser ce programme. Il préconisait la nationalisation et la socialisation, la collectivisation et la mécanisation de l’agriculture et enfin, la planification de notre économie».
«Le chapitre IV insistait sur les moyens politiques de l’action du PAI, en particulier sur la nécessité de la création actuelle de notre révolution : la création d’un état sénégalais de démocratie nationale».
C’est dans ce sens que la résolution générale votée à l’issue du congrès affirmait ce qui suit : «Le peuple sénégalais prend de plus en plus conscience du fait que, pour vaincre ses ennemis, il doit se rassembler dans un Front Uni Sénégalais de l’Indépendance et mobiliser toutes ses forces pour édifier un Etat indépendant de démocratie nationale qui rompra toutes les relations institutionnelles avec la France pour jouir d’une indépendance et d’une souveraineté totale, qui gérera son économie de manière à changer radicalement à son profit la division internationale du travail et les rapports d’échanges inégaux introduits par le colonialisme français, qui liquidera toutes les bases militaires françaises et abrogera tous les pactes militaires le liant à la France, qui favorisera le plein épanouissement des libertés démocratiques et exclura la dictature, la violence, l’arbitraire, la corruption et l’intimidation comme méthodes de gouvernement et qui pratiquera une politique extérieure Indépendante et conforme aux intérêts des masses sénégalaises et à la paix. Il y aura un gouvernement démocratique de large union nationale et une assemblée avec des députés ouvriers, paysans, femmes, jeunes et représentants des forces armées».
«Ce congrès souligne l’impérieuse nécessité de la mobilisation de tout le parti pour le travail au sein des masses, pour la mise au point du Front Uni Sénégalais de l'Indépendance…»
«Sur les questions d’organisation, la décision la plus importante fut la territorialisation du parti. Il y a déjà longtemps la discussion était soulevée, dans toutes les organisations du PAI autour du dilemme organisationnel : fédération ou territorialisation. Ces mots qui paraissaient étranges ne désignaient pourtant qu’une réalité : fallait-il que le parti restât un parti de type fédéral, s’étendant sur tous les anciens territoires de l‘ex-Afrique Noire sous domination française, ou fallait-il qu’il devînt un parti uniquement sénégalais ? Cette question ne peut surprendre ceux qui avaient suivi le développement du PAI. Né au moment de l’existence des fédérations d'A.O.F. (Afrique Occidentale Française) et d’A.E.F. (Afrique équatoriale Française), notre parti avait épousé la forme sinon le contenu, de «l'Etat». Par la suite, avec l’éclatement des fédérations et l’apparition d'Etats plus ou moins indépendants, la pratique avait rapidement amené à reconsidérer la structure fédérale du parti».
«En effet, des mois avant le congrès, la discussion avait été close par le ralliement de tous à la territorialisation. C’est pourquoi le congrès avait décidé unanimement la transformation du parti en parti sénégalais intitulé Parti Africain de l'indépendance du Sénégal (P.A.I. – Sénégal)».
«La question du sigle prévue dans les discussions, n’avait été soulevée par personne. Le parti n’existant, par la force des choses, qu’au Sénégal et son nom étant déjà lié à toute une tradition de lutte ; le sigle du parti fut donc maintenu».
«D’autre part, le congrès s’était prononcé pour une réorganisation des secrétariats dans le sens d’une simplification des structures et d’une plus grande efficacité eu égard aux nouvelles conditions de lutte clandestine. D’autres décisions avaient été également prises. Comme entre autres exemples l’organisation du mouvement des étudiants P.A.I., des jeunesses et des femmes du F.U.S.I…etc., ceci pour remplacer les anciennes organisations de masses affiliées au parti unique qui étaient dissoutes par le gouvernement néocolonial U.P.S. d’alors».
«Dans le domaine de la presse, le congrès avait décidé la multiplication (jusqu’au niveau des organismes de base) d’organes nouveaux et, sur le plan central, la parution d’une revue théorique du Comité Central sous le nom de Defarsarev (réalités sénégalaises et marxisme).
«Le congrès était passé ensuite à l’élection des membres titulaires et suppléants du Comite Central et des membres de la Commission Centrale de Contrôle. Ensuite le Comité Central avait élu en son sein le S.E.P.O. (Secrétariat Exécutif Politique) (qui était dans notre parti un organisme tenant du Bureau Politique et du Secrétariat) et les responsables des organes centraux du Parti (le journal LA LUTTE», la revue Défarsarev et des cours centraux du Comité Central».
«Toutes les élections, faites régulièrement à l’unanimité avaient largement prouvé la cohésion et le monolithisme idéologique et organisationnel du P.A.I.»
Le congrès s’était ensuite séparé au son de l’Internationale et de Momsarev, l’hymne du parti. Au cours de ces premières assises de notre parti, un grand enthousiasme avait sans cesse régné parmi les délégués. Chacun était heureux de retrouver ses camarades, que les conditions difficiles de notre lutte avaient répartis sur plusieurs fronts éloignés les uns des autres à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Chacun était conscient de l’importance de notre congrès, avait effectivement conscience qu’il faisait une parcelle de notre histoire et qu’il participait de plus en plus positivement à la libération et au bonheur du peuple sénégalais et de ses travailleurs.
Le retour des délégations
L’après-midi du deuxième jour du congrès fut consacré à l’organisation du retour des délégations.
Celles-ci quittaient Bamako le lendemain matin. Celles venues de l’intérieur du Sénégal prirent le train express jusqu’à Kayes. De là, nous nous embarquâmes dans un camion jusqu’à Sélibabi en Mauritanie, à 40km de Bakel.
Arrivés tard dans cette ville, pour ne pas déranger les gens, en accord avec le chauffeur du camion, nous nous couchâmes à même le sol à l’entrée de la ville. Il faisait très froid. Mais, dés huit heures du matin une chaleur de plomb insupportable se fit sentir. Voilà un des phénomènes caractéristiques du climat sahélien : très froid la nuit, très chaud le jour, des grands écarts de températures entre le jour et la nuit.
De Sélibabi, les différents groupes se séparèrent.
Mon camarade Falaye et moi regagnâmes le Sénégal en passant par Bakel et Kidira en camion, et de Kidira à Cotiary par train. Une semaine plus tard, nous apprenions avec joie que tous les congressistes étaient arrivés à bon port. C’était là un bon point pour la maîtrise des activités clandestines. Nous voilà donc dans le territoire national, chez nous. Nous reprenions alors les activités politiques comme auparavant.
Bilan : ma participation au premier congrès du PAI m’a fait découvrir la République du Mali, anciennement appelé «Soudan Français», un vaste pays au relief accidenté. Elle m’a permis également d’approcher et de connaître beaucoup de camarades agissant tant à l’intérieur du Sénégal qu’en Europe.
Quant au congrès proprement dit, il a été très bénéfique pour moi au triple plan politique, idéologique et organisationnel, une source d’encouragement et d’abnégation pour la cause du parti.
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