LIVRE DE SADIO CAMARA : CHAPITRES VII : LA REORGANISATION DU PAI : DE 1967 A 1972
En janvier 1967, le camarade Madior Bouna NIANG et moi-même, nous nous sommes retrouvés à Dakar en compagnie d'un groupe de camarades clandestins que nous avions perdus de vue depuis 1964. Ce sont :
- Seydou CISSOKHO, Instituteur de profession, un des signataires du manifeste, 2eme Secrétaire du parti, membre du Secrétariat Exécutif Politique (SEPO). maitre d'œuvre de la presse du parti, permanent volontaire.
- Babacar Sy, dit Baleva, Secrétaire de profession à l'hôpital Le Dantec, syndicaliste, victime de la répression de la grève de l'UGTAN en 1959 par le gouvernement de Mamadou Dia, grand chevalier de liaison du parti, homme serein et calme devant tout danger, d'une grande capacité d'écoute et de compte rendu de mémoire.
- Mady Danfakha, Secrétaire de secco d'arachides, militant de base du parti.
Avec ces trois camarades, nous formions un groupe de cinq. Mais, Seydou CISSOKHO était basé à Thiès. Il venait deux à trois fois par semaine à Dakar pour prendre des contacts, tenir des réunions, donner des directives et orientations, trouver de quoi faire manger les camarades.
Seydou CISSOKHO, Babacar Sy dit Baléva et Doudou SOUMARE dit doyen, constituaient alors le noyau dirigeant du parti sur le territoire national après la grande répression de 1965-1966.
A mon arrivée donc a Dakar, j'ai été coopté par ces camarades pour les renforcer dans leurs tâches de direction.
Mady DANFAKHA, était le plus jeune du groupe restreint de clandestins autour de feu Président Seydou CISSOKHO.
Il joua un grand rôle dans la réorganisation du Parti, notamment dans les liaisons avec les structures de base à l'échelle du pays et dans la confection et la distribution de la presse. Il était animé d'une force physique et morale peu commune.
Il nous quitta brusquement en 1993, en pleine campagne présidentielle, emporté par un diabète imbécile.
Ainsi a été constitué le noyau dirigeant de cette époque qui, aidé par Mady Danfakha, a conduit l'ensemble des activités du parti à l'échelle nationale et préparé la Conférence Nationale Rectificative de Mai 1967.
Amadou Falilou THIAM, appelé affectueusement dans le Parti "Doyen THIAM" ou Doyen tout court,
est une fierté du Parti parce que symbole de la permanence et de la fidélité à sa cause.
Larmes aux yeux, la voix rouée de compassion à notre égard, il s'endettait pour nous permettre de survivre
A l'époque, le parti se trouvait en pleine crise d'orientation et de direction.
Depuis des mois déjà, l'ex 1er Secrétaire, Majmout DIOP, s’était coupé volontairement de ses camarades dirigeants sur le sol national et de certains autres en exil à l'extérieur du Sénégal.
Dans le même temps, des rumeurs faisaient état de démarches entreprises par Majmout DIOP en direction de l'UPS-PS pour bazarder le Parti à SENGHOR. Ces rumeurs étaient confortées dans l'opinion publique par des élaborations théoriques de Majmout DIOP publiées dans << la Nouvelle Revue Internationale>> pour fonder sa ligne liquidatrice.
Crise de direction
Le gros de la direction du parti (le Comité Central) se trouvait en prison. Le 1er Secrétaire Majmout DIOP et quelques autres dirigeants étaient en exil. Une petite minorité que nous constituions se trouvait en clandestinité à l'intérieur du pays. Impossible de réunir la majorité requise des membres du Comité Central au Sénégal. Une solution possible était la rencontre à l'extérieur entre dirigeants en clandestinité à l'intérieur du pays et ceux qui étaient en exil.
Malheureusement Majmout Diop bloqua systématiquement cette possibilité qui aurait permis un examen des causes, des faits et des solutions provisoires de sortie de crise vers des solutions définitives.
Crise d'orientation
Nous sortions de l'échec de la tentative de mise en place d'un maquis pour une lutte armée. C'était l'orientation de l'époque. Il s'imposait au parti d'examiner la situation nouvelle et de dégager de nouvelles perspectives. Voilà pourquoi nous disions crise d'orientation. Il faut préciser que cette crise était doublée d'une profonde désorganisation des structures du parti consécutive à la grande répression.
En 1966, suite aux événements du Sénégal Oriental et en Casamance et à la saisie du matériel de presse du parti, après les arrestations massives suivies de tortures a l'électricité, une véritable chasse aux sorcières contre les militants PAI eut lieu dans toutes les régions du pays, notamment au Sénégal-Oriental, en Casamance, au Fleuve et dans la région de Dakar (Dakar, Rufisque et Pikine). Des centaines de militants et sympathisants du parti et même de citoyens sans aucune liaison avec le PAI furent arrêtés, torturés et condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement.
A la crise de direction et d'orientation s'ajoutait la grève des tâches du parti par les militants pour faire pression sur la direction en vue d'une issue à la crise. Il faut mentionner également l'indignation générale des militants suscitée par l'acte inceste de Majmout DIOP commis sur sa nièce. Pour cette raison ils exigeaient la liquidation du 1er Secrétaire à la tête du parti. Voilà dans quelle situation j'avais trouvé le parti et les camarades mentionnés plus haut. Il s'imposait alors à nous de nous attaquer vigoureusement a sa réorganisation. Ce travail connut trois étapes comme suit : l’évaluation de ce qui restait du parti et sur cette base tenir une conférence nationale rectificative en vue d'une réorganisation vigoureuse du parti a l'issue de laquelle convoquer le deuxième congrès.
L'EVALUATION DE CE QUI RESTAIT DU PARTI
Cette évaluation consistait à prendre contact avec:
- Les instances et structures de base existantes à l'échelle nationale pour les redynamiser, les encadrer et développer leurs activités.
- Tous les anciens responsables et militants à l'intérieur comme à l'extérieur du pays pour les associer à la vie du parti:
Ce travail fut mené de janvier à mai 1967. Ainsi, des contacts furent pris avec beaucoup d'anciens camarades dirigeants ou non pour discuter avec eux de la situation politique du pays et de celle du parti; les inviter à reprendre leur place dans le parti et à développer leurs activités militantes.
Tout était fait en direction des membres se trouvant à l'intérieur du Sénégal. Une fois même nous avions établi une liste de plus de quarante membres. Cette liste comprenait de hauts cadres de l'Administration (Ingénieurs, Agronomes, Docteurs en Médecine, Professeurs, etc.) et des Directeurs de Société. Beaucoup d'entre eux avaient bénéficié directement ou indirectement des bourses du parti. Certains parmi eux venaient d'arriver des universités et instituts d'Europe et d'ailleurs où ils assuraient des responsabilités dans le parti (Section PAI de France, de Moscou, etc.).
Nos démarches aboutirent à peu de chose auprès de ces “ hauts cadres”. Après bien des échanges, ils donnaient leur accord verbal mais ne le matérialisaient jamais. Pour certains des nouveaux venus de la métropole coloniale, une fois à l'Aéroport de Yoff ils jetaient leurs manteaux de PAI au profit de celui de l'UPS, parti au pouvoir. Certains parmi eux, nous disaient qu'ils venaient d'arriver, de leur laisser un peu de temps pour leur permettre de s'installer. Ce que nous leur consentions... Mais, jusqu'au moment où nous écrivons ces lignes, nous ne les voyons pas encore venir. Le délai de leur installation court toujours. En réalité, entre temps, beaucoup parmi eux s'étaient installés solidement dans les allées du parti au pouvoir. C'est leur droit. Mais ils auraient dû être honnêtes avec nous pour nous épargner des efforts inutiles.
Mais, les cas les plus dramatiques qui me marquèrent encore furent ceux qui nous demandaient comme condition de reprise de leurs activités dans le parti, de leur « garantir la sécurité », une formule apparemment savante pour masquer leur renoncement définitif à la lutte.
Il en était de même des membres d'une structure de base du parti à Dakar appelée « Noyau des Intellectuels ». Elle s'appelait ainsi parce qu'elle comprenait uniquement que de hauts cadres de l'administration publique, d'entreprises et de sociétés privées de la place. Plus précisément, c'était des docteurs en médecine, des secrétaires d'institutions nationales, des ingénieurs d'agriculture et des travaux publics. Certains parmi eux détenaient des biens du parti.
Au plus fort de la répression tous azimuts exercée sur le parti; ils se débinèrent en prétextant que le parti n`était pas en sécurité; qu`il y aurait des éléments douteux à sa direction, qu`ils ne recevaient pas suffisamment d`informations sur les activités du parti : son implantation géographique, ses relations extérieures, etc. En conséquence de quoi, ils décidèrent de suspendre leurs activités dans le parti. Nous avons pris acte de leur volonté ainsi exprimée, et depuis silence radio entre eux et le parti. Cela a permis à ceux qui détenaient les biens du parti de faire mains basses dessus comme Papa Galo THIAM (qui sera exclu par le 2eme Congrès pour cette raison), à d'autres d'aller au PS au pouvoir, briguer dans leur localité un poste de député comme Docteur Amath BA et à certains autres de prendre leur retraite politique ici bas.
Il faut dire que le sobriquet «noyau des intellectuels» avait une connotation péjorative dans le parti. Il sous-entendait des intellectuels bavards et peu efficaces dans la pratique, prompts à tourner leur veste.
Bien entendu, cela était inconcevable dans le parti, un parti qui se veut révolutionnaire où le militant allie la parole à l'activité, la théorie à la pratique.
En dehors de ce groupe de cadres et de celui dudit «noyau des intellectuels», beaucoup de camarades, (de simples gens ou de conditions modestes), des travailleurs des villes et des campagnes répondirent positivement à nos démarches et sollicitations. Petit à petit les structures de base (noyaux) se renflouaient de leurs membres, d'autres se reconstituaient, certains autres se formaient.....
Cette première phase du travail réorganisationnel s'effectua au prix d'efforts et de difficultés inimaginables: dans la misère au sens large du mot. Il était arrivé un moment où nous n'avions que de vieux habits usés, même pas de matériel de toilette. Nous passions des jours entiers sans manger un repas chaud, le plus souvent du pain sec et quelques rares fois avec des arachides grillées.
Feu Président Seydou CISSOKHO, dans un rapport aux camarades dirigeants a l'extérieur rapportait cette situation comme suit: « il arrive même parfois que nous n'ayons rien à manger au petit-déjeuner, ni de quoi faire notre linge ou acheter tel habit nécessaire, sans compter les cigarettes pour ceux d'entre nous qui fument, pour la bonne raison qu’on s’en est bien passé quand il n’y a pas d'autre choix »
Les déplacements pendant cette période, nous les faisions à pied à l'intérieur de Dakar, dans les autres villes et petites villes du Sénégal en cars ou minibus des transports en commun.
Ce fut dans ces conditions que nous arrivâmes à souder les différentes instances et structures de base du parti, à les redynamiser, les développer et aller à la conférence nationale rectificative de mai 1967.
L'élaboration du rapport à présenter eut lieu de nuit chez Babacar SOUMARE, dit Doyen , dans sa baraque au quartier Kayes-Finding, Rue Tolbiac x Lapérine- Dakar.
Elle regroupa :
- Babacar SOUMARE
- Seydou COSSOKHO
- Babacar SY, alias BALEVA
- Sadio CAMARA, alias ALPHONSE
- Birahim DIAGNE, alias BIRA
Avant d'aborder les assises de la Conférence Nationale Rectificative de Mai 1967, j'aimerais rapporter ici une divergence qui m'avait opposé à Seydou CISSOKHO, divergence relative à l'interprétation à donner à notre tentative de maquis de 1965.
A découvrir aussi
- Hommage à tous nos martyrs
- L’enjeu du contexte mondial pour l’édification d’une force de gauche au Sénégal
- BENNO BOKK YAKAAR : 125 députés sur 165, avec 49,48% de l’électorat. UN TRIOMPHE PAR QUEL MERITE ?