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LIVRE DE SADIO CAMARA : CHAPITRE VI : EN ROUTE POUR DAKAR  

 

Après la fermeture des classes en juillet 1966, le camarade Guimba DEMBELE profitera de ses vacances scolaires pour porter à Madické WADE à Saint-Louis mon message écrit avec l’encre sympathique sur un journal ordinaire, en s’adressant à des personnes intermédiaires que je lui avais recommandées. Il mena correctement la mission et revint me trouver à Dialacoto à une date, une heure et lieu convenus à l’avance.

 

Il n’était pas porteur d’une réponse de Madické WADE bien qu’il ait reçu ma correspondance selon les sentiments exprimés par mon messager. Plus tard, Seydou CISSOKHO confirmera la réception du message, mais Madické douterait que la lettre soit de moi. Vrai ou faux ? Je crois au dernier mot car les termes de la note comportaient des codes connus de lui seul parmi le groupe de dirigeants qu’ils constituaient. La raison est autre et trouve son explication dans le comportement qu’il a eu après. A ce propos je renvoie le lecteur à la critique que j’ai faite de son livre «notre modeste part de combat du PAI pour la dignité et la liberté de notre peuple».

 

Malgré tout, le voyage de Guimba n’a pas été inutile.

 

Il m’apporta d’autres informations utiles sur les camarades résidents à Dakar : noms et adresses. Il s’agissait, surtout, entre autres de René TRAORE, un des membres de la conférence du Boundou qui décédera en 1993 à la suite d’une longue maladie. Paix à son âme, avec mon plus grand hommage et mon profond respect.

 

Munis de ces informations, le camarade Madior Bouna NIANG et moi, deux rescapés du sous groupe des cinq que nous constituions, avons décidé de regagner Dakar pour tenter d’entrer en contact avec la direction à l’intérieur du pays. En conséquence, nous planquâmes dans une grotte et une cachette que nous avions aménagée tout ce qui n’était plus utile pour une vie civile en ville (matériel de cuisine, coupe-coupe, couteaux, hameçons, vieux habits, vieilles chaussures etc.) Le 30 décembre 1966, nous quittâmes les rives de la Gnériko pour Dakar. De là, nous marchâmes jusqu’à Koussanar via Tambacounda. Nous contournâmes cette ville dans la nuit du 31 décembre 1966 au premier 1er janvier 1967. Elle brillait de ses lumières et vibrait au son de la musique du nouvel an 1967, comme nous l’avions quittée il y avait trois ans, dans la nuit du 31 décembre 1963 au 1er janvier 1964. En contournant Tambacounda, ma pensée allait aux nombreuses connaissances que j’avais laissées dans cette ville, mais aussi et surtout aux camarades résidents que nous avions perdus.

 

Avant d’arriver à Koussanar, nous avons traversé Sinthiou-Maléme, village historique où il y avait six ans, nous avions tenu la conférence du Boundou pour préparer le premier congrès du PAI, l’ancêtre du PIT Sénégal. L’émotion fut encore plus grande en traversant Koussanar, village du camarade Fily DIALLO dit Capitaine Lary Gassy ; mon cœur s’était serré en pensant à lui. C’était un camarade de grande valeur polyglotte, il parlait à la perfection trois langues ouest- africaines à savoir le mandinka (sa langue maternelle), le peul et le wolof. A ce titre il avait une grande capacité de communication. En outre, le camarade Fily DIALLO était d’une grande ténacité physique et morale et était imperturbable dans ses convictions et ses choix.

 

Ma pensée était allée également, par ricochet, à sa vieille mère, à ses sœurs et frères établis à Koussanar. Je me disais que peut être je les verrais un jour pour leur exprimer ma gratitude et celle du parti et savoir comment les tortionnaires avaient agi à leur égard. Je n’avais pas de doute qu’ils s’étaient comportés de la même manière qu’ils l' avaient faite avec mes parents et amis à Bantata, à Bagnoun, à Kédougou et ailleurs dans le département de Kédougou.

Vingt ans plus tard, je serai confirmé dans mes suppositions. En effet,  lors des élections présidentielles de février 1993, je me retrouvai dans la famille du camarade Capitaine Fily DIALLO en compagnie de cet autre camarade Mady DANFAKHA. C’était là une retrouvaille très émouvante avec des larmes et des hoquetements  de voix de part et d’autre.

 

L’émotion était comble. Le grand frère de Fily, Sarra DIALLO, nous raconta en détails comment les tortionnaires de la police et de l’armée avaient agi avec lui. D’abord, il fit remarquer qu’il était premier responsable de la section PS de Koussanar. Une nuit, à sa grande surprise, le Commissaire de Tambacounda et ses agents sont venus l’embarquer  pour le garder dans une cellule au commissariat.

 

Après bien des sévices physiques, ils le  gardèrent pendant quatre jours sans manger et resta toute une journée et toute une nuit sans boire. Puis ils l’interrogèrent sur son frère…Avec courage et dignité, il leur avait tenu à peu prés ce langage : «Mon frère, vous savez mieux que moi où il se trouve. Aussi, j’aimerais vous préciser qu’il est bel et bien mon frère de même père et de même mère. Maintenant, au plan politique, nous avons fait des choix différents : moi, j’ai choisi  d’être PS, lui il a choisi d’être PAI. Il est libre comme moi d’appartenir au parti de son choix et chacun de  nous d’assumer les conséquences de son choix. Voilà ce que je peux vous dire  ni moins, quitte à ce que vous me tuiez. Maintenant j’ajoute que j’étais membre de L’UPS, Secrétaire Général de la section de Koussanar jusqu’au moment où vous me preniez parmi les miens».

 

«A partir d’aujourd’hui, pour le respect de ma dignité et la mémoire de mon frère, je démissionne de ce parti et de mon titre de Secrétaire Général de la section UPS de Koussanar Et j’adhère au PAI pour lequel mon frère est mort et pourquoi vous me torturez, car je ne saurais être paria deux fois : mieux vaut la mort que la honte, et l’indignité parmi ses semblables et parmi les siens».

 

Voilà un bel exemple de comportement face aux tortionnaires. Mais il est à signaler que l’arrestation et la torture de Sarra DIALLO dépasse le bon sens. Son innocence est manifeste. C’est difficile de croire le contraire. Sinon comment expliquer le choix des tortionnaires sur Sarra DIALLO ? Est-ce une manipulation des tortionnaires par les adversaires du clan UPS  opposé à celui de Sarra DIALLO ?

 

Il faut dire que d’expérience, les tortionnaires s’acharnent souvent sur les innocents. C’est comme si on disait «si ce n’est pas toi, c’est ton frère» Je pense personnellement que c’est là le reflet de leur état d’hommes arriérés,  recrutés dans le lumpun prolétariat des bas-fonds des villes et des campagnes. Il est indispensable de bannir de pareils comportements dans la police. Cela implique le recrutement hors de la pègre. Sur cette base, il sera possible de créer une police digne de ce nom.

 

Nous poursuivîmes notre route vers Dakar. A Koungheul, nous nous embarquâmes à sep heures du matin, dans une 404 bâchée pour Kaffrine. De là, nous prîmes un car rapide pour Kaolack, où nous arrivivâmes à vingt heures. Nous traversâmes la ville à pied jusque vers l’usine d’huilerie de Lindiane, entre la gendarmerie et le village situé sur le côté droit en allant vers Dakar. Nous allâmes coucher dans une case en paille d’un champ. Vers cinq heures, nous regagnâmes la route kaolack-Dakar en laissant dans la case notre dernier bidon d’eau, nos derniers accoutrements paysans, nous revêtîmes des habits propres et plus appropriés à la ville.

 

Après une attente d’une heure sur la route, nous prîmes le premier car rapide arrivé à notre hauteur pour Dakar. Au bout de quatre heures, nous voilà à Colobane, vers onze heures. De là, nous prîmes un taxi pour nous rendre chez le Camarade René TRAORE dans une maison de la SICAP, derrière le stade Demba DIOP. Quelques temps après, le camarade Babacar SY, dit Baléva viendra nous chercher et nous conduire dans un studio de «Liberté II» qui leur servait de logis clandestin.

 

C’était le 7 janvier 1967. Ainsi le voyage des rives de la Gnériko à Dakar dura neuf jours (30 décembre 1966 au 7 janvier 1967) avec les étapes suivantes :

- Gnériko – Tambacounda : 60 km, 2 jours de marche,

- Tambacounda – Koungheul : 130 km, 4 jours de marche,

- Koungheul-Kaffrine : 90 km, 1 jour en automobile,

- Kaffrine – Kaolack : 60 km, 1 jour en automobile,

- Kaolack – Dakar : 192 km, 1 jour en automobile,

Soit au total : 532 km dont 191 km à pied.

 

Bilan

Les trois années d’errance ci-dessus passées en revue ont été des moments palpitants de ma vie.

Elles furent une occasion pour moi de mettre en pratique les idées que j’avais toujours nourries aux réquisitions, au portage, aux travaux forcés, au recrutement forcé des hommes valides pour l’armée par la métropole coloniale. S’y ajoutaient l’indignation que j’éprouvais à la lecture des textes sur la conquête et l’administration coloniales dont voici quelques exemples tirés de la revue GESTU nouvelle série n° 4 / décembre 1988 page 21

 

- Pour la seule année 1985, les colonialistes anglais massacrèrent 3000 matabélés qui se révoltèrent et se rendirent

- De 1901 à 1906, les occupants allemands exterminèrent 25.000 héréros de l’Afrique Occidentale

- En 1911, les colons italiens transformèrent, en trois jours, la banlieue de Machiya en abattoir ; 1.000 Indigènes y furent massacrés

- En 1908, la population du Congo – Belge, était de 20.000.000, elle n’était plus que 5.500.000 en 1911

- Dans le Congo- français, des tribus de 400.000 habitants furent réduites à 20.000 en deux années d’administration coloniale. D’autres tribus disparurent complètement ;

- Les Hottentos furent au nombre de 20 000 en 1894. sept ans de colonisation après les réduisirent à 9 700 (source : « La Correspondance internationale » n° 69 de 1924).

 

En prenant connaissance de ces cruautés exercées sur nos peuples, j’avais toujours nourri l’idée de rendre la monnaie aux colonialistes. Pour ce faire, je n’entrevoyais pas d’autres solutions, à l’instar d’autres peuples en lutte, que l’organisation de la lutte armée pour l’indépendance nationale, la restauration de nos valeurs de civilisation et de culture et la constitution de l’unité ouest-africaine aux dimensions de l’ex - Empire du Mali s’étendant du Tchad à l’Atlantique.

 

Cette expérience m’a fortement convaincu que quand les hommes sont animés d’un même idéal, ils se confondent et forment un groupe social homogène, uni comme du granite, ils deviennent «des plus que frères», des jumeaux au point de vue des idées, de l’engagement et de la conduite.

 

Cette expérience m’a appris également que les hommes se connaissent mieux dans l’épreuve qu’autour d’un banquet. Les qualités et les défauts des uns et  des autres apparaissent sans réunions ni discours, sans commandement ni injonction,  chacun se tient tranquille à sa place, la place qu’il sait mériter, suite à ces capacités. Autrement dit, il n’y a pas de compétition ouverte ou feutrée. Pour la direction du groupe, place est faite naturellement à celui qui prouve ses qualités de chef. C’est dire que devant le danger et dans la tourmente, les hommes sont sages et les chefs s’assument dans la pratique mais ne sont pas élus ou désignés…

 

Ces trois années m’ont permis de connaître mieux la sociologie humaine, notamment le comportement des hommes selon les situations en rapport étroit avec leurs intérêts matériels et moraux concrets. Ainsi, aujourd’hui, j’appréhende mieux les hommes, les groupes et mouvements sociaux. J’ai surtout appris et assimilé que les hommes sont différents les uns les autres non pas par leur physique, mais par leurs traits de caractère, leur goût, leurs penchants, leur amour,…

 

L’expérience de trois années d’errance à travers la nature et les mailles de la police m’a formé pour veiller durant les plus dures années de la lutte clandestine à la réorganisation de notre parti et de sa lutte pour la libération des détenus politiques, la restauration des libertés démocratiques et le retour à la vie publique du parti. Après l’errance dans la nature à travers les mailles des services de sécurité, ce sera l’errance dans la société à travers les filets de la police politique.

 

 

 



26/09/2017
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