LIVRE DE SADIO CAMARA : CHAPITRE IV : rétrospectives 1960 – 1964 : période de liquidation des libertés démocratiques et de la légalité constitutionnelle
1960 – 1964 a été la période d’accélération de la liquidation des libertés démocratiques et de la légalité constitutionnelle dans le pays par le pouvoir UPS. Elle a été émaillée d’interdictions, d’arrestations et de détentions arbitraires et abusives, de tortures physiques et morales ayant entraîné parfois des incapacités et des morts.
Sur tout le long de ces quatre années, le régime UPS a mené une politique de répression permanente à l’encontre des organisations politiques, syndicales, estudiantines, de jeunesse, de femmes, etc.… Il s’est agi d’une répression pas seulement politique et économique mais aussi et surtout policière et voire militaire.
Les séquences de cette période de bâillonnement des libertés démocratiques et de la légalité constitutionnelle étaient les suivantes :
- L’interdiction du PAI le 1er août 1960
- L’éclatement de la Fédération du Mali et l’avènement de Senghor à la tête de l'Etat
- Les élections législatives du 1er décembre 1963
- Les élections municipales du 23 février 1964
L’Interdiction du PAI et sa signification
Le PAI a été interdit par décret le 1er août 1960 à la suite des événements de Saint-Louis. (voir annexe II). Les événements de Saint-Louis, il faut le souligner ne furent qu’un prétexte pour la dissolution du parti. Les raisons principales de l’interdiction étaient autres que le prétendu refus de jouer le jeu de la démocratie ou de la volonté de celui-ci, de demeurer volontairement dans la clandestinité. La dissolution a été opérée sous la pression des milieux d’affaires français, de l’impérialisme international avec le conseil diligent de l’assistance technique française, qui, tel un kyste, était retranchée dans l’administration sénégalaise et en tout premier lieu dans les services de sécurité. Cette interdiction est intervenue dans le cadre des mesures d’ensemble de stabilisation néo-coloniale des jeunes Etats africains.
A l’époque, des conseils étaient donnés aux hommes d'Etat d’Afrique noire pour dissoudre les organisations patriotiques afin de créer les conditions attractives aux capitaux étrangers nécessaires au développement de leur pays. La dissolution du PAI découlait par ailleurs, en droite ligne, de la politique de guerre froide et d’anti-communisme qu’en dépit des dénégations savantes de Senghor, le premier responsable du pays, développait. Elle est survenue dans le contexte d’affrontements aigus entre les protagonistes de la fédération du Mali. De ce point de vue elle était une mesure de neutralisation du PA I par la fraction sénégalaise au sein de la fédération.
L’interdiction fut un coup porté à l’avant-garde politique des travailleurs manuels et intellectuels du Sénégal, à la force la plus conséquente de la lutte anti-impérialiste, le levier essentiel d’éveil de l’organisation et de l’union des énergies nationales pour le combat politique contre une stabilisation néo-coloniale. Comme le cours des événements devait le démontrer, ce fut une mesure capitale dirigée contre le mouvement démocratique et patriotique. En effet, l’offensive anti-démocratique était loin de se limiter au PAI.
Quelques mois seulement après, le 1er décembre de la même année, c’est l’Union Générale des Travailleurs d’Afrique Noire qui sera frappée de la même mesure (voir annexe II). Là également les pressions du patronat français furent décisives, d’autant plus que le pouvoir ne pardonne jamais à l’UGTAN sa participation à la campagne du non au référendum gaulliste de 1958 aux côtés du PAI et d’autres forces patriotiques.
Les organisations de jeunesse, d’étudiants et de femmes devaient subir, dans la même foulée, la politique du rouleau compresseur de l’UPS de Senghor. D’autres mouvements et partis politiques ont été brutalement interdits au mépris de la légalité constitutionnelle. Il en a été ainsi du Bloc des Masses du Sénégal (BMS) le 14 octobre 1963 et du Front National Sénégalais (FNS) le 13 octobre 1964 pour ne citer que ces deux exemples. (Voir annexe II).
L’éclatement de la fédération du Mali et l’avènement de Senghor à la tête de l’Etat : transformation de l’U.P.S en «Parti-Etat» avec son corolaire le bâillonnement des libertés et de la légalité tout court
Nous avons montré un peu plus haut que la dissolution du PAI a annoncé une nouvelle ère d’interdictions et de répression des organisations politiques et mouvements de masses les plus divers.
Il est important d’ajouter l’éclatement de la Fédération du Mali dans la nuit du 19 au 20 août 1960. La conséquence négative de cet éclatement pour les forces démocratiques et patriotiques a été la défaite de l’aile radicale nationaliste et progressiste du parti dirigeant que constituait le BPS (bloc Populaire Sénégalais- Section Sénégalaise du PRA- Parti Regroupement Africain). A partir de ce moment, le néocolonialisme fonctionnait sans obstacle majeur.
Ensuite, quelque temps après l’éclatement de la Fédération du Mali, intervient le 17 décembre 1962, le coup de Senghor contre le Président du Conseil de gouvernement qu’était alors Mamadou DIA.
Pour poursuivre aisément son œuvre anti-démocratique, anti-sociale et anti-nationale, Senghor transforme son parti, l'UPS, en appendice de l’Etat et instrument de la politique du pouvoir personnel. Alors l’UPS-PS devient parti-Etat ou Etat-parti. A l’ancienne formule «primauté du parti sur l'Etat » prônée par l’ancien président du conseil de gouvernement Mamadou DIA et ses partisans, se substitue « Primauté de l'Etat sur le parti » tenue par Senghor et son clan au sein de ce parti.
En outre, contrairement au statu quo, Senghor cumule tout seul les fonctions de Président de la République et celles de Secrétaire Général du parti. Ainsi, Senghor devient le tout puissant homme d'Etat du pays. Alors, il s’est donné les moyens juridiques pour asseoir son règne personnel par l’arbitraire, la répression policière et même par la torture physique. Il promulgue en un an deux lois scélérates à savoir :
- La loi n°60 -42 du 20 août 1960 relative à l’Etat d’urgence (voir en annexe II)
- La loi n° 61-57 du 27 septembre 1961 instituant un tribunal spécial (voir annexe II) ayant pour président un certain Thierno DIOP, avocat de profession, membre du Bureau Politique de l’UPS-PS. Au titre de ces législations d’exception, des centaines de citoyens exerçant leurs droits politiques, syndicaux, estudiantins, de jeunesses, de femmes, etc.… ont été arrêtés et condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement par le « tribunal spécial». Un grand nombre d’entre eux ont été torturés par des unités de sécurité ; Certains parmi eux sont morts sous la torture dans les locaux de la police.
Pour mieux illustrer notre propos et même montrer une facette de l’ampleur de la répression sous le président Senghor, nous livrons ici au lecteur le calendrier des événements d’un mois, du 08 septembre 1963 au 12 octobre 1963, rapporté par PAI- INFORMATION , périodique du Comité Central du 20 octobre 1963, comme suit :
- 8 septembre : le camarade Moctar Niang est arrêté après une grossière mise en scène et torturé à tel point que le régisseur de la prison de Dakar refuse de l’admettre et exige qu’on l’envoie à l’hôpital.
- 16 Septembre : à midi, déclenchement de la grève générale de l’ICOTAF (580 ouvriers).
- 17 Septembre : bataille rangée entre la police et les ouvriers grévistes de l’ICOTAF.
- 21 Septembre : arrestation de Cheikh Ahmed Tidiane SY, initiateur du Comité de Salut Public.
- 25 Septembre : le tribunal condamne Mactar Niang à six mois de prison ;
- 27 Septembre : 50.000 personnes manifestent à Dakar devant le Palais Présidentiel et brisent la porte de la prison ; les forces de l’ordre comptent un tué.
- 28 Septembre : Contre –manifestation de l’UPS (quelques 5.000 personnes venues pour la plupart de la banlieue) devant les grilles du Palais claquemuré et protégé par une triple rangée de policiers, paras, et gendarmes en armes.
- 28 Septembre : arrestations de masse dans tout le Sénégal (plusieurs centaines) dont Soré Diouf, Président Général des Dahiras Cheikh-Tidianistes. (Voir illustration XII ci-dessus).
A droite Soré DIOUF mort dans les locaux de la police de Dakar lors des élections de 1963
- 2 Octobre : Funérailles de Soré Diouf torturé par la police jusqu’à ce que mort s’en suive. Le sermon funèbre est dit par le grand Khalife des Tidianes, lui-même, qui se prononce fermement. 50.000 personnes défilent, pendant 3 heures de la rue Blanchot à la Rue 15, escortées par des Paras en armes.
- 8 octobre : la conférence nationale du B.M.S se tient à Dakar et exclut les leaders intégrationnistes du parti dont Boubacar GUEYE.
- 10 octobre : le Congrès UPS se tient et enregistre le ralliement de 12 dirigeants BMS en même temps que la dissolution de ce parti.
- 12 octobre : constitution retentissante du Front Démocratique National. Le manifeste en est photocopié au Building administratif même, diffusé à l’intérieur. Senghor réunit sur-le-champ un conseil de sécurité extraordinaire et met sur le pied de guerre les forces de l’ordre.
Il faut préciser que ces actes répressifs intervenaient neuf mois seulement après l’avènement de Senghor comme homme d’Etat tout puissant du Sénégal et à un mois des élections législatives de décembre 1963 qui verra l’enterrement des libertés démocratiques et de la légalité au Sénégal.
Elections législatives de décembre 1963 : Coup de grâce aux libertés démocratiques et à la légalité constitutionnelle
Comme il apparaît dans le chapitre précédent, la situation avant les élections du 1er décembre 1963 était caractéristique par l’exacerbation des luttes politiques, syndicales et sociales mettant aux prises les forces démocratiques, patriotiques, syndicales et sociales avec les forces néo-coloniales regroupées au sein du Parti-Etat, l’UPS-PS ayant à leur tête Senghor devenu le tout puissant chef du pays.
En raison de l’importance de ces élections et de la conjoncture nationale dans laquelle elles se déroulaient, le PAI a publié un mémorandum dont voici quelques extraits :
Situation économique
On peut se faire une idée de la situation économique en citant certains chiffres donnés par L.S Senghor lui –même, (Président de la République du Sénégal et Secrétaire Général de l’Union Progressiste Sénégalaise, parti Gouvernemental) au cours du dernier congrès de l’UPS tenu à Dakar les 10, 12 et 13 octobre 1963.
- Pour la production rurale : n’ont été investis à ce jour, que 54% des crédits prévus pour cette date par le 1er plan.
- Production non rurale globale (mines, industries, artisanat, commerce etc.) le pourcentage descend à 51%, mais il n’est que 27% pour l’industrie par exemple.
- Sur le plan budgétaire avec le déficit officiel de 9 milliards CFA, la gestion 1962-63 a montré qu’au 30 avril 1963, le pourcentage de recouvrements des recettes ordinaires n’était que de 67,4% par rapport aux prévisions.
De plus, ajoute Mr. Senghor, l’association au Marché Commun Européen va présenter pour notre économie, un manque à gagner de 8 milliards de Francs CFA.
Cette situation que Senghor qualifie de «préoccupante» et «d’inquiétante» prend sa source dans l’éclatement de l’ancienne Fédération du Mali ; elle s’est aggravée avec la politique de mégalomanie nationale à l’extérieur avec pompe, la concussion et la gabegie à l’intérieur.
Situation sociale
Toujours selon le même rapport, les pourcentages d’exécution du plan dans le secteur social marque de graves « distorsions ». Pour la jeunesse et les sports, il est de 56%, pour l’information de 40%, pour l’enseignement technique de 30% et pour la santé seulement 28%. En vérité, ces chiffres n’indiquent que trop imparfaitement la misère matérielle et morale des masses sénégalaises. Les ouvriers sont affectés par le blocage du SMIG et les répercussions d’une situation économique mauvaise (l’augmentation des taxes et du coût de la vie). Depuis quelques mois les grèves se multiplient malgré le Code du travail qui leur donne un caractère illégal. Les plus grandes entreprises du pays enregistrent de puissants mouvements revendicatifs (chargeurs Réunis, Mobiloil, SABE, ICOTAF).
La grève de l’ICOTAF a conduit le 17 septembre 1963 à une bataille rangée entre la police et les 500 ouvriers de cette usine. Les masses paysannes manifestent leur mécontentement en ce qui concerne le prix de l’arachide, les coopératives, les problèmes des semences, des fongicides et du matériel agricole dans la région de Bakel, de Fongolimbi, de Nioro du Rip, sur le Fleuve, en Casamance, les paysans ont refusé tantôt de payer l’impôt, tantôt ils sont passés en conflit ouvert et sanglant avec les forces de l’ordre dépêchées par les autorités. Les employés et les fonctionnaires déjà chroniquement endettés sont touchés par les mesures unilatérales dites d’austérité qu’ils ne s’expliquent pas dans le cadre du régime actuel où les plus grands profiteurs, coupables de malversations financières scandaleuses sont encore en place. C’est ce qui explique le conflit ouvert entre les dirigeants syndicalistes et Senghor au dernier congrès de l’UPS (10 octobre 1963).
Situation politique
Depuis la crise de décembre 1962, la répression est devenue la méthode privilégiée du Gouvernement. Plusieurs leaders politiques dont l’ancien Président du Conseil Mamadou DIA, 4 ministres, 7 députés et plusieurs centaines de patriotes, ouvriers, paysans, intellectuels, étudiants sont arrêtés, condamnés à des peines de prison allant jusqu’à la perpétuité, assignés à résidence surveillée ou déportés dans des régions éloignées et insalubres.
Depuis quelque temps, la plupart des détenus politiques sont soumis à des tortures si inhumaines qu’il y a eu un cas de mort. Les femmes ne sont pas épargnées. Dans ce climat de terreur, la lutte populaire n’a fait pourtant que croître.
Les pourparlers entre la direction du Parti du Regroupement Africain du Sénégal (PRA-SENEGAL) et l’UPS ont donné d’abord une scission au sein de ce parti (apparition de PRA-SENEGAL Rénovation) et la rupture finale des négociations. Toutes les fractions du PRA- SENEGAL sont donc à l’heure actuelle dans l’opposition. Le Bloc des Masses Sénégalaises (BMS) a éclaté dans les mêmes conditions. Comme Le PRA-S, la majorité du bureau était pour l’intégration à l’UPS et les militants de base contre. A la différence du PRA-S, les dirigeants BMS ont accepté l’intégration après des maquignonnages laborieux à propos de 25 ou 10% des places de députés de la future Assemblée.
Le Conseil National du BMS avec le président d’honneur du parti le Président, le secrétaire Général restent en dehors de la combinaison, mais leur parti est dissout par arrêté. (Voir annexe II).
Les amis de cheikh Tidiane ont crée une formation dite Comité de Salut public, illégale bien entendu aux yeux du pouvoir senghorien. Les amis de Mamadou DIA ont mis sur pied un parti dit Parti de la Rénovation Sénégalais (PRS) frappé d'illégalité dés la déposition de ses statuts. Le Parti Africain de l'Indépendance (P.A.I) continue depuis 1960 ses activités dans la clandestinité. Des syndicats comme l’Union Nationale des Travailleurs du Sénégal (U.N.T.S), des mouvements de jeunes, comme le Rassemblement de la Jeunesse Démocratique du Sénégal (R.J.D.S.), d’Etudiants comme l’Union Générale des Etudiants du Sénégal (U.G.E.S.), de femmes comme l’union des femmes du Sénégal (U.F.D.S.) connaissent une existence pratiquement illégale.
Enfin, dernier-né, le Front Démocratique National (F.D.N.) vient d’être constitué comme un aboutissement logique des luttes nationales et populaires du peuple sénégalais.
Le dimanche 1er décembre 1963, eurent lieu les premières élections législatives après l’indépendance. Pour des raisons démagogiques, Senghor autorise la participation du seul parti légal de l’époque, le PRA-SENEGAL. Tous les mécontents s’organisent autour de ce parti, depuis les militants des organisations de masses dissoutes, les populations des villes et des campagnes aux conditions de vie difficiles, les militants politiques dont les amis du Président DIA, jusqu’au P.A.I. Ce qui signifie que la liste du PRA-SENEGAL, à ces élections a obtenu un appui massif.
Un puissant mouvement d’opinion s’est donc constitué qui allait en s’amplifiant au cours de la campagne électorale et culmina le jour du scrutin en une gigantesque manifestation de protestation de masses dans les rues de Dakar, suite, comme en 1960 à la falsification des résultats des votes par le pouvoir et son administration, à l’arrestation arbitraire des dirigeants du PRA-SENEGAL.
Le pouvoir fit feu sur les manifestations sans armes. Il y eut des dizaines de morts et des centaines de blessés selon la presse de l’opposition à l’époque.
MONSAREV, organe central du P.A.I., dans une de ses livraisons rapporte les événements en ces termes : le 1er décembre 1963 fut un dimanche sanglant à Dakar, un dimanche de deuil dans tout le Sénégal. Senghor s’est fait plébisciter et a reconduit son assemblée de politiciens véreux en s’appuyant sur la force des baïonnettes.
Une fois de plus, il a compté avec l’esprit de répression qu’il inculque à la troupe.
Des policiers, gendarmes et militaires ont tiré sur son ordre. Plus d’une centaine (100) de sénégalais sont tombés sous ses balles. Plus de deux cent (200) furent blessés. Avec cette journée, le Sénégal plongeait dans l’horreur de la plus sanglante parodie électorale qu’il ait jamais connue.
La rumeur publique qualifia ces événements d’élections aux 500 cadavres, certains enterrés nuitamment dans des fosses communes.
Le bulletin PAI-INFORMATION N°23 rapporte ce qui suit : «mais, le 1er décembre 1963, restera une misérable duperie. Les policiers, gendarmes et militaires, ayant accepté de se faire les instruments aveugles de la sanglante répression de ce jour, ont tâché leur uniforme de sang. Comme Senghor, ils se sont désignés à la vindicte de leur peuple.
En 1944, comme l’on sait, De Gaulle faisait massacrer des soldats africains de la guerre impérialiste 39-45. Leurs tombeaux constituent des témoignages accablants contre le colonialisme français. Le 1er décembre 1963, Senghor a réitéré le coup en ordonnant un massacre aussi abominable que celui de Thiaroye».
«A Thiaroye, De Gaulle avait utilisé des africains contre des africains».
«A Dakar, Senghor a lancé des Sénégalais armés contre des Sénégalais aux mains nues».
Les deux politiques se prolongent
Les élections municipales du 23 février 1964 : désertion totale des partis politiques. Confirmation de la mort de la démocratie et de la légalité. Nouvelle orientation et nouvelles formes de lutte
Trois mois après les élections législatives de décembre 1963, des élections municipales se déroulèrent à leur tour le 23 février 1964.
Mais la veille déjà, Senghor instituait de facto l’Etat de siège par un discours hebdomadaire radiodiffusé en date du 14 février 1964 dont voici quelques extraits :
En conséquence
1- Les manifestants éventuels devront obéir, sans délai, aux sommations des forces de l’ordre : s’ils refusaient ce serait à leurs risques et périls
2- Les forces de l’ordre riposteront, fermement, à toute agression.
Voilà donc prévenus les apprentis sorciers, et bien prévenus. Ce n’est pas tout, les auteurs d’infraction sont punis conformément à la législation du code pénal. Je rappelle les peines prévues par le code selon la nature des infractions.
Article 87 : attentat dont le but est d’exciter les citoyens à s’armer contre l’autorité. Peine : Déportation dans une enceinte fortifiée.
Article 91 : Attentat dont le but est de porter la dévastation, le massacre et le pillage dans une ou plusieurs communes : Peine : mort.
Article 95 : incendie d’un édifice appartenant à l’Etat : Peine : mort.
Article 96 : Levée ou prise de commandement de bandes armées pour piller des propriétés publiques ou privées- Participation à des bandes lorsqu’il y a eu exécution : Peine : mort.
Article 381 : Vol à main armée : peine : mort…
Article 434 : Incendie volontaire d’édifice servant à l’habitation. Peine : mort.
Incendie volontaire d’autres édifices. Peines : travaux forcés à perpétuité…
Article 437 : Destruction d’édifice privé : Peine : Réclusion …
Ces élections se déroulèrent dans un calme le plus plat. L’UPS, parti gouvernemental se trouva seul candidat à ces élections. Renvoyés dos à dos, ses grands dignitaires s'entre-déchirèrent en présentant au monde l’image d’une mafia sans scrupule.
Les relents d’une «chacalisation» sans précédant autour des falbalas de Députés achevèrent de dégoûter, de fixer une fois pour toute le peuple sénégalais. Ce qui fait écrire justement l’éditorialiste de «PAI –INFORMATION» N°23 11 -1964 ce qui suit :
«D’une part, il y a ceux qui aident le régime et le rejoignent ou en grenouillant stérilement dans une simple légalité, ou en mettant une agitation épileptique de défoulement.
«D’autre part, il y a le F.D.N. (Front Démocratique National), ses sympathisants et ses alliés, présents ou à venir, qui mobilisent et organisent nos masses pour la bataille décisive.
«Nul ne peut échapper à ce dilemme !
Il était temps de comprendre que la démocratie est morte au Sénégal. Et, avec elle, la légalité électorale et la légalité tout court ».
A la veille de ces élections, le Bureau Politique de PRA-SENEGAL publiait le tract suivant :
Les élections municipales du 23 février 1964
«Avec le peuple Sénégalais qui a achevé d’être édifié sur le régime actuel et de se mobiliser contre L’UPS et ses dirigeants lors des dernières «élections» présidentielles et législatives- le PRA-SENEGAL se désintéressera purement et simplement des prétendues élections municipales décidées à la sauvette pour le 23 février 1964».
«Nul ne s’y trompe, du reste, au Sénégal et à l’intérieur : sous le nom d'élections, il s’agit d’une simple formalité officielle pour le repartage de certains conseils municipaux entre les derniers Mohicans du dernier carré de l’UPS.
«La mascarade électorale du 23 février prochain ne concerne pas notre peuple. CE PEUPLE DEBOUT, face à l’oppression et à la régression devenues patentes, malgré les discours quasi quotidiens et désormais inopérants, malgré les initiatives théâtrales et fracassantes d’un volontarisme voué à l’impuissance !»
Février 1964
Le Bureau Politique
PRA-SENEGAL
Tract extrait du PAI-INFORMATION N°23/11/1964.
Ce tract du PRA-SENEGAL inspira au PAI la réflexion suivante : «le PRA-SENEGAL semble avoir tiré les leçons des «élections de décembre 1963».
«Le Parti Africain de l'indépendance avait, à la veille de ces prétendues consultations, inviter les populations sénégalaises à boycotter massivement la manœuvre de Senghor. Le PRA-SENEGAL avait alors pris nettement position contre notre appréciation que pourtant l’expérience de toutes les consultations organisées par Senghor, confirme.
Le PRA-SENEGAL, jouant sur les illusions électoralistes vivaces, parmi certains dirigeants des formations de l’opposition membres du Front Démocratique National, avait essayé de faire obstacle au renforcement de l’unité des forces patriotiques et démocratiques.
«Le PRA-SENEGAL réalise aujourd’hui ce que nous avons toujours souligné fraternellement à savoir que la démocratie senghorienne n’est qu’une démocratie ayant pour objet de masquer la nature néocolonialiste et dictatoriale de son régime.
Nous espérons que le PRA-SENEGAL tirera des conclusions plus hardies de son expérience des élections et qu’il contribuera à l’œuvre de regroupement des forces de l’opposition, sur la base de la plate-forme de masse et de combat du F.D.N.»
En outre, le PAI, dans un communiqué de son Comité Central en février 1964 se prononçait sur ces événements comme suit : Une analyse de la situation sénégalaise au lendemain des élections législatives et présidentielles du 1er décembre qui ont été marquées, comme on le sait, par les événements sanglants provoqués et mis à profit par le gouvernement de Senghor, avec l’appui de l’impérialisme français.
«Le Comité Central du PAI note que de tels massacres ne rendent en définitif compte que de l’impopularité grandissante du gouvernement de Senghor et ne constitue qu’une tentative désireuse de contenir la montée vigoureuse des forces patriotiques et populaires du Sénégal, dans un contexte mondial marqué par le développement impétueux et continu du système socialiste mondial, du mouvement de libération, des forces de progrès et de paix.
«L’intervention de plus en plus active des larges masses laborieuses dans l’arène politique sénégalaise, l’essor révolutionnaire qui a marqué leur activité dans les derniers mois de l’année 1963, notamment à travers les grandes manifestations populaires du 27 septembre et du 1er décembre. La recrudescence des revendications à tous les niveaux de la vie de la Nation, l’annonce de l’unité patriotique des forces de luttes réalisée dans le Front Démocratique National (FDN) et ses perspectives de renforcement, ce sont là autant de conditions objectives pouvant conduire vers des fins populaires, le dénouement de la crise sénégalaise et assurer des successions démocratiques au régime pourri de Senghor
«Le renversement inéluctable d’un tel régime s’inscrit irréversiblement dans les processus de liquidation des premiers gouvernements fantoches installés en Afrique et va dans le sens de la réussite des changements démocratiques venus à maturité. Cette possibilité est de plus en plus mise en évidence par la profonde décomposition de la politique de Senghor, tant sur le plan économique, budgétaire que social, résultats confirmés par l’échec évident du 1er plan quadriennal.
«Face à cette situation éminemment favorable aux masses populaires sénégalaises et défavorable au gouvernement de Senghor et au néocolonialisme, le comité central du PAI a réaffirmé une fois de plus, avec force, sa volonté de travailler sans relâche à la consolidation de l’unité patriotique au Sénégal, en rapport avec l’action des autres forces populaires, pour le regroupement de toutes les énergies vives du pays, condition sine qua non de l’édification au Sénégal d’un Etat indépendant, national et démocratique.
«Examinant par ailleurs de nouveau, le cas du groupe fractionnel anti-parti, de tendance opportuniste de droite, démasqué et caractérisé par sa session plénière, après avoir apprécié l’attitude négative des éléments des groupes devant l’autocritique dont la 23éme session leur avait accordé le bénéfice, et analysé la série des activités provocatrices et de sape menées par le groupe, le Comité Central a définitivement exclu les ex-camarades : Babacar NIANG, Justin CARRERE, Baidy Tidiane LY et Seydou SARR».
Dakar, Février 1964.
Le Comité Central du P.A.I.
La lutte contre la répression devenue impérative
Depuis 1960, le Sénégal se trouvait sous le régime de la Loi d’urgence qui permettait d’arrêter à tout moment tout citoyen sous le fallacieux prétexte d’atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat
Le tribunal d’exception à l’instar du «tribunal spécial» n’était en réalité qu’un tribunal aux ordres du gouvernement et du parti UPS, pouvant se saisir de n’importe quel citoyen pour simple délit d’opinion sans aucune possibilité de recours.
Ainsi, de nombreux sénégalais avaient été contraints à l’exil. Le Gouvernement, en dépit d’une décision de justice les rendant à la liberté, avait relancé des poursuites contre eux. Voici quelques exemples parmi tant d’autres :
- L’ancien 1er Secrétaire du PAI, Majmout DIOP, avait fait l’objet d’un mandat d’arrêt alors que le tribunal et le peuple de Saint-Louis lui avaient rendu la liberté. Il avait été contraint à l’exil.
- Malick KAMARA, militant PAI avait été condamné à la sauvette par le «Tribunal spécial» de Thiès à deux ans de prison en dépit du vide du dossier.
- Amadou Malick GAYE, Administrateur civil de profession, dirigeant du PAI avait été arbitrairement arrêté à Saint-Louis sur simple dénonciation d’un fonctionnaire de Mauritanie qui, après avoir déclaré l’avoir vu en compagnie de Majmout DIOP dans un camion chargé de troupes et d’armes s’était rétracté par la suite. Le 27 avril, le juge d’instruction avait donné mainlevée du mandat de dépôt devant automatiquement entraîner la libération de Amadou Malick GAYE. Son maintien en prison du 27 avril au 9 mai constituait une détention arbitraire et abusive. Il avait été mis en liberté provisoire après quatre mois de détention.
- A Bambey, un Instituteur, Mor Yacine FALL coupable d’un faux, avait été arrêté. La police avait perquisitionné chez lui et avait «trouvé comme par hasard, des documents PAI». Cet homme avait dénoncé Madiké WADE, Alla Kane, Béthio THIOUNE, Baba GUEYE et Mame Less DIA, tous instituteurs et qui derechef, étaient arrêtés et condamnés pour constitution de ligue dissoute par le tribunal de Thiès. Il avait été parfaitement établi que le Sieur Mor Yacine Fall était un agent de l’UPS à la solde de Pierre SENGHOR, Député Maire de Bambey, frère du Président de la République du Sénégal.
- Le tribunal de Saint-Louis, lors de son audience du 28 avril 1961, a condamné les camarades suivants à des peines d’emprisonnement comme suit :
Youssoupha Barro 4 mois d’emprisonnement avec sursis
Lamine SOW 8 mois d’emprisonnement ferme
Amadou Diop 4 mois d’emprisonnement avec sursis.
Toujours pour le même motif de reconstitution de ligue dissoute, le 8 mai 1961, la Cour d’appel de Dakar a condamné, sous le prétexte récurrent de «reconstitution de regroupement dissout- API», des membres du Parti comme suit :
Sall Khalil, à un an d’emprisonnement
Babacar Niang, à un an d’emprisonnement
Amath Bâ, à un an d’emprisonnement
Alioune, à 10 mois d’emprisonnement
André Zanifé
Waly NDong à 7 mois d’emprisonnement
Le Tribunal de Dakar lors de son audience du 9 mai 1961, a condamné :
Mamadou Lamine Aïdara à 45 jours d’emprisonnement pour distribution de Tracts PAI
Moussa Mané à 15 jours d’emprisonnement pour distribution de tracts PRA.
La libération de tous les détenus politiques devenue impérative
Ces exemples montrent suffisamment l’ampleur de la répression politique sous le régime de la «Loi d’urgence» et du «Tribunal spécial», et droits de l’homme tout court. Pour cette raison, le PAI appelait ses militants à intensifier la lutte contre la répression du régime en place en mobilisant davantage les patriotes et démocrates, les travailleurs des villes et des campagnes, tous les honnêtes gens autour de la lutte pour le respect des libertés démocratiques.
En outre, le PAI dénonçait avec véhémence et à juste raison les policiers français Castorel et Calnel qui, tapis dans la police nationale, agissaient pour le compte non pas du Sénégal mais de l’impérialisme français et cherchaient à couvrir dans tout notre pays une organisation fasciste de type O.A.S (Organisation Armée Secrète) en orientant et fixant constamment l’attention du gouvernement sur le PAI.
A cette étape de la lutte, le PAI lançait un appel pressant pour que toutes les sénégalaises et tous les Sénégalais se mobilisent de façon permanente et exigent, par des pétitions, des motions, des délégations :
- l’abrogation de la Loi d’urgence
- la dissolution du Tribunal spécial
- le rétablissement de toutes les libertés démocratiques
- l’annulation des poursuites engagées contre Majmout DIOP, Tidiane Baïdy LY, Babacar MANE et Seyni NIANG
- Le renvoi des deux policiers colonialistes et fascistes Calnel et Castorel.
Castorel était un sadique, policier français, spécialiste en matière de torture à l’électricité de patriotes luttant contre le colonialisme français. Auparavant, il s’était distingué dans cette sale besogne en Algérie, lors de la guerre d’indépendance du peuple de ce pays.
La politique de la torture a été ainsi, une partie de la sécurité de l'Etat sous SENGHOR.
Les premières tortures se firent avec des agents français encore en service à l’époque dans la police sénégalaise. Ils avaient comme hommes de main leurs anciens collaborateurs à l’instar de Waly K. comme cerveau et Castorel comme superviseur des sadiques, comme tortionnaires à l’exemple de Souléye CAMARA, Cheikh Mbaye THIOYE, Blinky et autres.
Au début, la torture était menée par les agents de la police judiciaire (P.J.). Ils utilisaient contre les hommes politiques de l’opposition les mêmes méthodes qu’ils appliquaient aux délinquants de droits communs : frappe à la matraque, grossièretés proférées contre leurs victimes. Pour ce faire, ils se servaient des semi- aliénés, des voyous, des alcooliques… Peut-être, l’utilisation de ces marginaux pourraient signifier que les agents de la police judiciaire répudiaient (répugnaient?) eux-mêmes à la torture.
Quelques années plus tard, avec le développement de l’intensité de la lutte politique contre le pouvoir senghorien, les services de renseignement et de répression politiques furent mieux organisés et mieux équipés. Alors apparurent comme instruments modernes de torture le fouet et l’électrode. Des militants du PAI ont été les premiers à subir la torture à l’électricité.
En plus des douleurs physiques exercées au moyen du fouet et de l’électrode, il faut mentionner l’isolement de la victime, l’humiliation, les pressions psychologiques utilisées afin d’obtenir de la victime des renseignements, de la briser, d’intimider son entourage.
Il s’agit, en d’autres termes, obliger la victime à renoncer à ses convictions, à dénoncer ses camarades, des complices, des amis et mêmes des parents. Ceux-ci sont à leur tour arrêtés pour être torturés et même brisés.
Telle est la torture ! Telle qu’elle a été appliquée à des dirigeants et militants du PAI. Ce sont des traitements cruels, inhumains et dégradants qu’il faut bannir sous tous les régimes politiques.
Conclusion
Le rappel de ces quelques séquences et faits de la période 1960 à 1964 nous est apparu nécessaire pour montrer l’absence quasi-totale des libertés démocratiques et individuelles, l’ampleur et la cruauté de la répression exercée sur les militants de l’opposition, principalement du PAI.
Il existe des sénégalais, pantouflards, dans des salons veloutés pour disserter sur les possibilités de lutte démocratique à l’époque. S’ils étaient sincères, pourquoi ne les avaient – ils pas exploitées ? Ou alors s’ils estimaient faire la révolution par procuration, ils n’avaient pas le droit d’en parler, ceci par respect pour ceux qui avaient lutté au prix des privations et de dangers de toutes sortes.
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