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HISTOIRE POLITIQUE DU SENEGAL : CHAPITRE II : DE  LA COLONISATION DE L’ESPACE SENEGAL

Réalités socio-éconiques et socio-politiques du Sénégal, visitées par le militant
révolutionnaire anti-impérialiste Alla Kane : formation idéologique et politique des militants

 

 

 

C’est un navigateur vénitien du nom de CADAMOSTO qui découvrit, en 1442, pour le compte du Portugal, cette partie Ouest du continent africain qui allait devenir le SENEGAL. Les portugais se lancèrent sans tarder dans la traite des noirs. Le premier comptoir fut fondé par les hollandais sur l’ile de Gorée.

 

La France installa en 1659, le comptoir de Saint Louis qui deviendra la première capitale du Sénégal. En 1677, l’ile de Gorée passa sous la domination des français. Et sous la seconde République française de 1848, un mandat de député fut crée pour la ville de Saint Louis.

L’ordre colonial s’implanta durablement avec l’avènement de Faidherbe, comme gouverneur du Sénégal, d’abord de 1854 à 1861, et, ensuite, de 1863 à 1865. Les premières bases de la future Afrique Occidentale Française (AOF) furent jetées.

 

Avec l’avènement de la 3ème République (1870/1940) il fut accordé le statut de communes de plein exercice aux quatre villes que sont Saint Louis, Gorée, Dakar et Rufisque.

C’est pendant la première guerre mondiale (1914/1918) que, à la suite de la loi du 19 Octobre 1915, les ressortissants de ces quatre communes furent admis au recrutement dans les troupes blanches comme résultat de leur lutte pour la conquête de l’égalité. C’est la loi du 29 Septembre 1916 qui leur accorda définitivement la citoyenneté.

 

Par annexion successive, les différents royaumes passèrent ainsi sous la domination des colons français. Et vers la fin du 19ème siècle, ils furent réunis pour former cet ensemble qui est aujourd’hui le Sénégal.

 

Le 19ème siècle fut ainsi la charnière entre l’existence de ces royaumes et la conquête définitive de leur espace par les colons étrangers, en même temps qu’il fut marqué par les derniers soubresauts de la résistance anticoloniale illustrée par des personnes telles Lat Dior DIOP, Sidiya Ndate Yalla DIOP, El Hadj Oumar TALL, Mamadou Lamine DRAME, Bouna Alboury NDIAYE, Alpha Molo BALDE, Maba Diakhou BA, Ndate Yalle MBODJ.

 

L’autorité coloniale s’est installée progressivement sur la plus grande partie du pays après 1800 en nettoyant l’espace de toute trace de souveraineté qui y exerçaient les pouvoirs des différents royaumes. Mouvement qui s’accéléra entre 1895 et 1915 en s’appuyant sur la mise en pratique du principe du « diviser pour régner » par la partition de la colonie en deux espaces distincts ; l’espace des quatre communes de Saint Louis, Gorée, Dakar et Rufisque  et l’autre dit des pays de protectorat en octroyant à leurs habitants respectifs des statuts différents. D’où l’appellation des originaires des quatre communes et sujets français des pays de protectorat. Les premières joutes politiques n’apparurent et ne se développèrent que dans l’espace des quatre communes.

 

Et dans un premier temps, elles ne furent l’apanage que des blancs et des mulâtres. Le mandat de député octroyé à la ville de Saint Louis par la seconde république de 1848 n’était soumis qu’à la compétition de ces derniers. Comme le montre la suite ci-après des députés du Sénégal élus à partir de 1848 :

  • 4 Novembre 1848 : Durant Valentin ;
  • 4 Avril 1871 : Lafont de Fonganfier ;
  • 3 Novembre 1885 : Gasconi Alfred ;
  • 17 Octobre 1889 : Amiral Vallon ;
  • 9 Septembre 1893 : Couchard ;
  • 27 Avril 1902 : Carpot ;
  • 6 Mai 1906 : Carpot ;
  • 28 Avril 1910 : Couchard.

 

En mettant en place les instruments qui devaient lui servir à renforcer le socle de sa domination, la puissance colonisatrice ne pouvait guère soupçonner qu’elle jetait en même temps les jalons de la mise en place de l’arme fatale qui allait remettre en question cette domination jusqu’à sa négation totale et complète.

 

Au départ, le ver était dans le fruit de la colonisation, incarné par ces lieux d’acquisition de la connaissance qu’étaient les écoles que le colonisateur implantait progressivement. En effet, dés le début du 20ème siècle, beaucoup d’africains commencèrent à fréquenter les écoles financées et dirigées par des français. Ce qui constituait pour eux le début d’une ouverture raisonnée sur le reste du monde. Ainsi, de fil en aiguille, ils commencèrent à se poser des questions sur leur statut ainsi que sur leurs conditions de vie par rapport à celles des blancs et des mulâtres.

 

Il, naquit, à Saint-Louis, la première association de jeunes créée en 1910 du nom de L’AURORE qui regroupait surtout des africains instruits, des employés de bureau, des maîtres d’école et des interprètes. L’Aurore fut un cadre de vie intellectuelle intense qui permit à ses membres de se familiariser avec les armes de l’organisation, de la lutte et notamment de discussions franches et approfondies sur les questions de l’heure. Ils s’initièrent aux débats d’idées, au montage de pièces de théâtre ainsi qu’à la pratique des sports introduits par les colons français.

 

Ces débats et discussions les ont amenés à franchir l’espace politique par la fondation, toujours à Saint-Louis, en 1912, d’un mouvement politique dénommé «Parti jeunes Sénégalais» qui fut le premier regroupement politique du Sénégal. Ce mouvement fut la première organisation politique jamais formée dans cette partie de l’Afrique en vue d’un combat politique clairement défini. Son programme se limitait à la lutte pour l’égalité politique et une citoyenneté complète reconnue aux blancs et aux mulâtres.

 

Les combats qu’ils eurent à mener dans la période aboutirent à des victoires éclatantes dont les principales furent :

  1. L’élection du premier député noir en la personne de Blaise DIAGNE le 8 Juillet 1914 ;
  2. La loi du 19 Octobre 1915 accordant aux sénégalais des communes de plein exercice de la colonie la possibilité de recrutement dans les mêmes troupes que les blancs;
  3. La loi du 29 Septembre 1916 qui accorda définitivement la citoyenneté aux ressortissants des quatre communes.

 

L’élection de Blaise DIAGNE au poste de député fut une véritable alternance qui traduisait l’élimination, de la scène politique du Sénégal, des blancs et des mulâtres. Cette alternance s’est confirmée et définitivement installée en 1919/1920 quand les noirs gagnèrent toutes  les élections législatives, municipales et au Conseil colonial. Blaise DIAGNE est régulièrement réélu député du Sénégal à l’Assemblée nationale française en 1919, 1924, 1928 et 1932. Toute cette période fut celle du Diagnisme triomphant jusqu’à ce qu’il meurt le 10 Mai 1934 à Combo les Bains, en France.

 

Son parti était le «Parti Républicain Socialiste» avec comme journal la «France coloniale». Il eut comme second Galandou DIOUF qui a été élu maire de Rufisque en 1919. Ce dernier rompt avec lui en 1928 et prit la tète de l’opposition noire au député du Sénégal. Parmi les membres de cette opposition, on peut citer : Lamine GUEYE, Telemaque SOW, Mamadou Assane NDOYE, Ibrahima Seydou NDAW. A la mort de Blaise DIAGNE, Galandou DIOUF fut élu député du Sénégal le 24 Juillet 1934 et réélu le 26 Avril 1936.

 

Les journaux de l’opposition étaient l’AOF, l’Ouest africain français et le Périscope africain. Galandou DIOUF était le directeur de publication de l’AOF et Lamine GUEYE en était le rédacteur en chef.

 

Durant cette période, la vie politique était animée par le Parti socialiste sénégalais crée par Lamine GUEYE en 1934, devenu en 1936 une branche de la SFIO française. Les 5 – 6 et 7 Juin 1938 se tint le congrès su PSS qui prit la décision de fusionner avec la SFIO. Ces activités politiques furent mises en veilleuse à la suite du déclenchement de la deuxième guerre mondiale (1939 - 1945).

 

Le Sénégal n’a pas été épargné par les soubresauts de ce conflit mondial et la preuve en est le bombardement de sa capitale DAKAR les 23 – 24 et 25 Septembre 1940 qui eut pour conséquence une répression ciblée des partisans du général de Gaulle dans tout le pays. Les activités politiques reprirent dés la fin de la guerre, au plan territorial comme au plan fédéral. Les organisations politiques proliférèrent.

 

Deux lois interviennent dans la période pour booster l’activité politique et l’engagement militant. Il s’agit de la loi Houphouët BOIGNY du 11 Avril 1946 supprimant l’indigénat et le travail forcé et de la loi Lamine GUEYE du 7 Mai 1946 accordant la citoyenneté à tous les  hommes et à toutes les femmes de la République française. Y ajouter la promulgation en AOF, en Juin 1945, du décret autorisant le vote des femmes citoyennes françaises. A la fin de la guerre il n’y avait qu’un seul parti politique : le Parti Socialiste Sénégalais.

 

De 1945 à 1960, de la fin de la deuxième guerre mondiale à la proclamation de l’indépendance du Sénégal, les organisations politiques ont envahi la scène de l’action publique en reprenant leurs activités sur la base d’intérêts de classes et de clans bien précis.

 

Ainsi peut-on noter :

  • La création en 1946 des Groupes d’études communistes (GEC) et des Centres d’études franco-africains (CEFA)
  • L’organisation de la première fête internationale du travail le 1er Mai 1946 avec la tenue d’un meeting au cinéma Palace
  • Du 19 au 21 octobre 1946 Congrès constitutif du Rassemblement démocratique africain (RDA) à Bamako
  • Du 31 Juillet au 1er août 1948 congrès constitutif de l’Union démocratique sénégalaise (UDS), section sénégalaise du RDA
  • Le 27 septembre 1948 : démission de Léopold Sédar SENGHOR du Parti socialiste SFIO
  • Du 15 au 17 avril 1949 : congrès constitutif du Bloc démocratique sénégalais (BDS) à Thiès
  • Le 22 décembre 1950, création de l’Association générale des étudiants de Dakar (AGED)
  • Le 31 décembre 1950 création de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF)
  • 1953 création du Conseil de la jeunesse du Sénégal
  • 1954, naissance de l’Union culturelle musulmane (UCM)
  • Le 12 juin 1956, création de l’Union générale des étudiants d’Afrique occidentale (UGEAO)
  • Le 13 juin 1956 naissance du bloc populaire sénégalais (BPS) suite à la fusion du BDS et de l’UDS
  • Mai 1957 constitution du premier gouvernement issu de la loi cadre
  • En juillet 1957 congrès du RJDA à Kaolack qui adopte pour la première fois le mot d’ordre d’«indépendance immédiate»
  • Le 15 septembre 1957, publication du Manifeste du PAI
  • Le 17 septembre 1957, naissance du PAI à Thiès
  • 04 avril 1958 naissance de l’Union progressiste sénégalaise(UPS) de la fusion du BPS et du PSAS (Parti sénégalais d’action sociale)
  • Le 13 mai 1958 retour du général de Gaulle au pouvoir
  • Le 22 mai 1958, constitution du Comité de défense des libertés démocratiques
  • Le 11 septembre 1958, conférence des cadres de l’UGTAN à Bamako rejetant le projet de Constitution de de Gaulle et appelant à voter «NON» au referendum
  • Le 20 septembre 1958, naissance du PRA/Sénégal
  • Le 28 septembre 1958 referendum pour l’adoption de la constitution proposant la Communauté franco-africaine. seule la Guinée vote pour le «NON»
  • Janvier 1959, naissance de la Fédération du Mali
  • 14 avril 1959. Installation du premier gouvernement fédéral du Mali
  • 13 décembre 1959. Discours du général de Gaulle à Saint Louis annonçant les futures négociations pour l’Indépendance du Mali
  • 04 avril 1960 : signature à Paris des accords pour le transfert de compétences pour l’accession du Mali à la souveraineté internationale
  • 20 juin 1960 : Proclamation de l’indépendance de la Fédération du Mali. Cette fédération allait éclater le 20 Août 1960, soit deux mois seulement après la proclamation de son indépendance.

 

Il y a lieu d’ajouter que dans cette période d’après la deuxième guerre mondiale, il ya eu aussi des tentatives de création d’organisations politiques régionales parmi lesquelles on peut citer :

  • L’Union Générale des Originaires de la Vallée du Fleuve (UGOVF)
  • L’Union Démocratique des Ressortissants du Sénégal Oriental (UDRSO)
  • L’Union des Originaires de Kédougou (UOK)
  • Le MFDC «authentique» crée en 1944
  • Le Mouvement Autonome de la Casamance (MAC)

 

Deux organisations ont marqué les premières années d’après guerre dans la formation idéologique et politique des cadres qui devaient animer ces différents mouvements politiques, syndicaux, de jeunes et d’étudiants. Il s’agit des GEC (groupes d’études communistes) et du CEFA (Centre d’Etudes franco-africain) ; la première organisation consacrait essentiellement son intervention sur la formation idéologique et politique tandis que la seconde intervenait sur les politiques économiques.

 

Les GEC étaient crées et animés par des intellectuels français communistes en poste dans cette partie de l’Afrique au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Ils avaient des cercles à Dakar, à Conakry, à Bamako et à Abidjan. Ces cercles furent des lieux où se sont formés de nombreux militants politiques africains.

 

Avant de clore ce chapitre, trois grands événements méritent d’être revisités ne serait ce que brièvement car ce sont des événements phares de la vie politique qui expliquent pour une large part les soubresauts qui accompagnent les politiques néocoloniales mises en œuvre depuis l’indépendance à nos jours.

 

Il s’agit du congrès constitutif du Rassemblement démocratique africain(RDA), de la laborieuse prise de position pour ou contre l’indépendance nationale des différents acteurs de la vie politique active dans la période et du référendum du 28 Septembre 1958. Le congrès constitutif du RDA s’est tenu du 19 au 21 Octobre 1946 à Bamako. Les pays qui y étaient représentés furent : le Cameroun, la Côte d’ivoire, le Dahomey, la Guinée, le Niger, le Sénégal, le Soudan, le Tchad et le Togo. Le CEFA et les GEC y avaient envoyé Abdoulaye SADJI et Joseph CORREA.

 

Le Ministre des colonies usa de toutes les manœuvres pour empêcher la tenue du congrès. Il fit pression sur bon nombre de leaders politiques pour les dissuader. Ces pressions eurent leur effet sur Lamine GUEYE et Léopold Sédar SENGHOR, alors députés socialistes du Sénégal, qui se sont ainsi absentés du congrès de Bamako.  SENGHOR l’a reconnu, en confessant en Janvier 1957, devant le congrès de la Convention africaine, que : «la faute qu’ont commis les députés sénégalais d’alors en refusant d’aller au congrès de Bamako. J’étais d’avis d’y aller. Mon tord a été d’obéir aux ordres qui m’étaient imposés de l’extérieur.»

 

Quant à la lutte pour l’indépendance véritable, la vérité historique veut qu’elle soit l’œuvre de la jeunesse et de la classe ouvrière à travers leurs organisations respectives ( RJDA, le CJS, l’UGEO, la FEANF et l’UGTAN) auxquelles se sont ajoutés les deux partis politiques que sont le Parti africain de l’indépendance (PAI) et le PRA / Sénégal.

 

Le Rassemblement de la Jeunesse Démocratique Africaine (RJDA) a été la première organisation démocratique à avoir adopté le mot d’ordre d’«Indépendance immédiate». C’était à son congrès tenu en juillet 1957 à  Kaolack.

 

L’UGTAN, à sa conférence des cadres tenue le 11 Septembre 1958 à Bamako avait décidé de rejeter le projet de constitution et d’appeler à voter «NON» au referendum du général de Gaulle.

 

Les dirigeants politiques, les plus en vue de l’époque, Léopold Sédar SENGHOR et  Lamine GUEYE ainsi que leur organisation - l’Union Progressiste Sénégalaise - eurent une attitude autre en ne se fixant comme objectif que la révision du titre VIII de la constitution de l’Union française. Leur combat n’était pas pour l’indépendance nationale mais pour une amélioration du système colonial. On peut l’illustrer en rappelant les propos qu’ils ont tenus jusqu’à la vieille de l’octroi de l’indépendance par la puissance coloniale elle-même.

 

En mars 1955, SENGHOR, alors secrétaire d’Etat à la Présidence du conseil, eut à tenir ces propos, je le cite : «Il faut rebâtir l’Union française. Dans 10 ans, il serait trop tard. Le réveil du nationalisme aura tout disloqué. Chez les jeunes africains encadrés par les communistes ce n’est plus de fédéralisme qu’on parle mais d’indépendance.»

 

En 1956, lors des débats à l’Assemblée nationale française, à l’occasion de l’adoption de la loi-cadre, il donna sa position en ces termes : «Il s’agissait avec la loi cadre et la révision du titre VIII de la constitution d’en arriver à une innovation qui doit paraitre importante, frapper les esprits, ouvrir de nouvelles perspectives aux aspirations autochtones et détourner ainsi de la pure et simple revendication d’indépendance.»

 

Dans un article publié dans le journal Condition humaine du 14 Avril 1956, il précise sa pensée en proclamant, je le cite : «Nous le disions tout net : parler d’indépendance aujourd’hui – dans la situation historique et géographique dans laquelle nous sommes – c’est mettre la charrue avant les bœufs. C’est poser un faux problème. Nous ne ferons jamais de concession démagogique en ce sens. Même si nous avions les moyens de l’indépendance – des cadres et une économie solide – il resterait encore la question de savoir si cela serait intéressant pour nous autres d’être indépendants : je l’affirme : le Liberia est loin d’être indépendant.»

 

Il en est de même de Lamine GUEYE. Au meeting de son parti au Cinéma RIALTO à Dakar en 1956, il se prononça sur l’indépendance en ces termes, je le cite : «On parle actuellement beaucoup d’indépendance. Je suis pour l’indépendance, mais  l’indépendance individuelle.»

 

Ce que confirment ces propos de Irwing L. Markovitz dans son article publié dans Présence Africaine n°72- 1969 sous le titre The political Trough of Blaise DIAGNE and Lamine GUEYE quand il dit : «Durant toute sa carrière jusqu’à l’indépendance, Lamine GUEYE a attaqué les aspects autocratiques et discriminatoires du système colonial mais jamais le système colonial lui-même.»

 

Et pourtant, l’ironie du sort a voulu que ce soit ces deux personnages qui ont eu à conduire les premiers pas du Sénégal indépendant. Ce fut une option stratégique de la puissance coloniale pour une garantie réelle de la sauvegarde de ses intérêts. L’option a été payante et les hommes, sur qui avait porté le choix, ont excellemment joué le jeu, garantissant la continuité dans le changement. Ils ont  été les agents de la mise en place d’un état néocolonial au service des intérêts stratégiques de la France.

 

Le troisième grand événement de la période fut le referendum du 28 Septembre 1958 qui soumettait aux populations de l’Union française l’adoption de la nouvelle constitution du Général de Gaulle proposant la Communauté franco-africain. Les termes du vote étaient clairement définis par le général de Gaulle lui-même à l’occasion de son discours de la Place Protêt à Dakar, prononcé le 26 Août 1958, quand il a eu à s’adresser aux Porteurs de pancartes en leur disant «si vous voulez l’indépendance, prenez la en votant non.»

 

La ligne de partage était nette : OUI à la nouvelle Communauté franco-africaine pour la continuité de l’ancienne Union française revue et corrigée. NON à la Communauté franco-africaine signifiant Oui à l’indépendance immédiate. Les deux camps se sont nettement délimités dés l’annonce du referendum.

 

Autour du NON se sont regroupées la classe ouvrière, la jeunesse et la petite bourgeoisie intellectuelle qui ont mis en branle leurs organisations respectives qu’étaient l'UGTAN,  la FEANF, le RJDA, le Conseil de la jeunesse, l’UGEAO, le PAI, et le PRA/Sénégal.

 

Le camp du OUI était composé de l’UPS, section sénégalaise du PRA et des chefs religieux. L’adoption du OUI a été laborieuse. SENGHOR et Mamadou DIA ont accordé leur position pour faire voter OUI à leur rencontre du 1er Septembre 1958 en Normandie, précisément à Gonne ville- sur- mer.

 

Le 11 Septembre 1958, le Comité directeur de l’UPS est convoqué à Rufisque pour préparer le Comité directeur du PRA prévu pour le 14 Septembre à Niamey : une délégation comprenant Lamine GUEYE, SENGHOR, Mamadou DIA, Doudou THIAM et Ousmane Socé DIOP fut désignée pour aller proposer une résolution en faveur du OUI. Le 20 Septembre, le Comité directeur de l’UPS s’est de nouveau réuni à Rufisque pour adopter la décision prise à Niamey de voter OUI au referendum. Il intervient la dissidence des partisans du NON qui créèrent le PRA / Sénégal.

 

En ce qui concerne la position des Chefs religieux, il sera fait appel à deux sources de première main. Il s’agit des Mémoires du Président Abdou Diouf et du livre que le Pr Abdoul SOW, historien, a consacré à Ibrahima Seydou NDAO sous le titre : «Ibrahima Seydou Ndaw. Essai d’histoire politique du Sénégal.» A la page 22 de ses Mémoires, Abdou Diouf nous informe que : «De Gaulle avait été surpris et énervé par le discours de Sékou TOURE à Conakry. A Dakar, il a pris les choses en main, a reçu tous les chefs religieux, Seydou Nourou TALL, Abdoul Aziz SY, Falilou MBACKE. Ils étaient tous là et ils l’ont assuré de leur fidélité en lui disant que si les responsables politiques appelaient à voter NON, ils perdraient, car le peuple les suivrait eux qui allaient voter et faire voter OUI.»

 

En parcourant le livre de l’historien, le Pr Abdoul SOW, consacré à feu Ibrahima Seydou NDAO, au chapitre consacré au réferendum du 28 Septembre, on y rencontre les développements ci-après consacrés à la prise de position officielle des chefs religieux ainsi que celle de la collectivité léboue. Nous les reprenons intégralement tels que présentés dans le livre :

  1. «A leur réunion du 9 Septembre 1958, le grand Serigne de Dakar, les lébous publient un communiqué dans lequel ils rappellent l’existence de la République Léboue qui donne comme consigne à tous les lébous de voter pour le OUI. La collectivité demande au cas où le NON l’emporterait au Sénégal «de ne pas être liée par ce vote et de conserver la possibilité de pouvoir définir librement les nouveaux rapports qui pourraient les lier avec la France» avec laquelle elle entendra s’associer.». «Cette prise de position de la Collectivité léboue a été signée par : Eh Ibrahima DIOP, grand serigne de Dakar, représentant les chefs coutumiers et les notables de la Collectivité léboue, et El Hadj Mamadou Assane NDOYE, Conseiller territorial, premier adjoint au maire de Dakar, représentant les élus de la presqu’ile du Cap vert.»

  2. Le 16 Septembre, El Hadj Falilou MBACKE, Khalif général des mourides, déclare dans un communiqué «après avoir pris contact, vendredi 12 Septembre à Touba avec les élus responsables du territoire du Sénégal et examiné avec eux la situation face au devenir du pays, je prends solennellement position en faveur de la Constitution proposée au peuple et engage toute la collectivité mouride de l’AOF, fidèle à la sage tradition de ses chefs, à voter OUI le 28 Septembre.»

  3. «Le lendemain 17 Septembre, le marabout Cheikh Tidiane SY explique dans une interview que l’intérêt de son pays est de «demeurer dans le cadre d’une communauté franco-africaine et non de s’engager dans la voie aventureuse d’une indépendance précoce». Il justifie sa position par «simple souci de bienséance et d’équité, traits dominants de l’islam, qui leur interdit de souscrire à une rupture brutale et inconvenante avec ceux envers lesquels les sénégalais sont redevables d’une grande dette de reconnaissance». Il demande à tous les fideles de voter en masse pour le OUI le jour du referendum. Il est de son devoir d’éclairer ses talibés «sur leurs intérêts réels et de les maintenir sur le chemin de la sagesse et de la raison».

  4. «A Kaolack, le même jour (17) le marabout Eh Ibrahima NIASSE dans sa déclaration, explique avoir rencontré le Président du Conseil français et Bernard Cornut Gentille, ministre de la France d’Outre mer, et avoir pris connaissance de la nouvelle Constitution, porteuse d’espoir pour le devenir de la France et de l’Afrique. Elle est aussi pour lui une porte de paix ouverte par Dieu qui recommande aux musulmans «d’y entrer avant quelle ne se referme». C’est la raison pour laquelle, le marabout de Kaolack convie tous les musulmans de l’AOF, notamment ses talibés tidianes du Sénégal, de la Mauritanie, du Soudan, de la Guinée, du Niger, du Tchad et du Dahomey à voter positivement le 28 Septembre».

 

Ainsi les informations de la seconde source confirment-elles avec exactitude celles tirées de la première.

 

On peut rappeler ici les résultats du referendum tels qu’officiellement proclamés : OUI = 324.008 voix et NON = 11.211 voix.

 

Il faut regretter que nos chefs religieux n’aient pas été inspirés par la position du Sultan Sidy Mohamed Ben Youssouf du Maroc qui a soutenu le Manifeste de l’Indépendance du 11 Janvier 1944, signé et publié par 67 représentants de la société marocaine, dont une femme, au risque de se faire exiler. Exil qui lui a valu le titre de père de la nation marocaine et de héros de la libération nationale. Son discours du 9 Août 1947 à Tanger est demeuré historique. Son engagement dans la lutte de son peuple pour l’indépendance lui a valu une déposition le 20 Août 1953 et un exil en dehors de son pays. Sa détermination a conduit à l’indépendance du Maroc à la date du 02 Mars 1956 et à son intronisation sous le titre de Roi Mohamed V.

 

Pour les chefs religieux sénégalais cette prise de position constitue le tournant historique à partir duquel ils vont définitivement sceller leur alliance avec le pouvoir néocolonial qui gère le Sénégal depuis son indépendance à nos jours.

 

Mais l’histoire du Sénégal ne s’arrêta pas à la date du 28 Septembre. La victoire du camp du OUI ne signait nullement la fin de la lutte pour l’indépendance nationale, reprise avec encore plus de détermination par l’ensemble des forces qui avaient appelé à voter NON. Moins de deux ans plus tard, le 4 Avril 1960, eut lieu la signature des accords sortis des négociations de Paris ouvertes entre la fédération du Mali et le France.

 

Ces accords portaient respectivement sur un transfert de compétences et une coopération économique, financière et de défense entre les protagonistes. Ainsi le Sénégal, à partir de cette date, jouissait-il des attributs de la souveraineté internationale qui lui donnaient le statut de pays indépendant. Une nouvelle page historique fut ainsi ouverte dans la longue marche du Sénégal vers le progrès et la maitrise de son destin.

 

Le chapitre suivant du cours sera consacré au Sénégal indépendant, du 04 Avril 1960 à nos jours.

 

EXPLOITATION

 

  1. En comparaison avec le Sénégal précolonial quels sont les changements majeurs intervenus ? concernant :
  • Le mode de production
  • Les forces productives
  • Les classes sociales
  • Le mode de répartition de la production
  1. Quelle est la contradiction principale de la société sénégalaise sous domination étrangère ?

Quelles sont les classes progressistes et celles réactionnaires ?

  1. Comment expliquer l’absence d’une bourgeoisie nationale dans les rangs de ceux qui ont eu à mener la lutte pour l’indépendance nationale ?

  2. Quels sont les éléments nouveaux en ce qui concerne la base économique dans ses différents secteurs ? quelles sont les forces dominantes dans chaque secteur ?

  3. Le Rôle de l’éducation dans l’évolution du Sénégal colonial

  4. La prise de position unanime des chefs religieux pour le «OUI » au referendum du 28 septembre 1958. Qu’est-ce qui peut l’expliquer ? Quand dans le passé les  religieux étaient à l’avant garde  de la lutte contre les forces féodales et de la lutte contre la pénétration coloniale ?

  5. Quelles ont été les forces et les faiblesses du mouvement de la lutte de libération nationale ?

Quelles ont été les classes et couches sociales qui ont joué le rôle d’avant-garde de ce mouvement ?

 

 

Dakar le 19 Août 2015

Alla KANE

 



19/10/2017
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