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TEXTES, INTERVIEW DE VALERE SOME  : «le 15 octobre 1987, l’espoir a bel et bien été assassiné»

Pour ses ennemis, Valère Somé aime jouer au paon. Pour d’autres au contraire, c’était lui l’éminence grise de la révolution burkinabè : l’homme qui en a doctrinalement posé les bases. De fait, cet anthropologue qui arbore fièrement une chevelure abondante à la manière d’un Wolé Soyinka, et qui fut très proche du capitaine Thomas Sankara, est le condensé de tous les hauts et les bas de l’ère révolutionnaire au « pays des hommes intègres ». Cette « interview histoire » qu’il nous a accordée, et que vous auriez tort de confier à la vendeuse de beignets du quartier, vous vous en doutez bien, ne s’est pas faite sans des larmes. Et pour cause …

 

Libérateur : Valère Somé, est-il vrai que vous étiez l’idéologue de la Révolution burkinabè? Comme certains le prétendent ?

 

Valère Somé (V.S) : Qu’entend-on d’abord par idéologue? Idéologue, c’est un terme que je n’aime pas. Parce que le mot idéologie prête à confusion. Car, il peut être compris dans un sens péjoratif. A savoir que toute classe a besoin de justifier sa position. Et donc a recours à toutes sortes d’argument. Le second sens donné à l’idéologie, ce serait celui d’une doctrine sociale d’une classe révolutionnaire. Etre idéologue, ce serait donc être doctrinaire. De ce point de vue, je ne dirai donc pas que je suis un idéologue. En tant qu’étudiant, j’ai été leader d’un mouvement qu’on appelait à l’époque, le « M21 » dont j’étais le principal rédacteur des idées, le concepteur, le théoricien si vous voulez. Fort de cette expérience militante, j’ai acquis la capacité de pouvoir concevoir, de pouvoir écrire. Et donc sous la révolution, et bien avant, la plupart des textes, étaient effectivement rédigés par mes soins. Ce qui a poussé certains à dire que je suis un doctrinaire. Je rappelle encore une fois que la source intellectuelle de la révolution, c’était le mouvement étudiant! Car s’il y a eu la frange militaire, il y a eu également la frange intellectuelle issue de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire de France), et de l’UGEB (Union générale des étudiants burkinabè).

 

J’en profite pour éclaircir un point de vue, une fois pour toutes : je ne sais pas si vous avez suivi mon passage sur les antennes de la télévision Canal3 ? Pour une fois, et à cette occasion, j’ai assumé d’avoir écrit le DOP (le Discours d’orientation politique, le « livre saint » de la révolution ndlr), dont la rédaction m’a été confiée d’un commun accord entre les différentes parties prenantes au processus révolutionnaire qu’étaient le PAI (Parti africain de l’indépendance), l’OMR  l’Organisation militaire révolutionnaire) et l’ULCR (Union des ligues communistes révolutionnaires), réunies à l’intérieur d’un comité de rédaction. Et composé de 3 personnes représentant respectivement les différentes forces précédemment citées : il s’agissait de Philippe Ouédraogo qui bénéficia à l’époque de l’un des plus gros portefeuilles ministériels de l’histoire politique du Burkina, de Blaise Compaoré, et enfin de moi-même. La première mouture du projet, fruit d’un débat idéologique à l’issue duquel les mots d’ordre de révolution populaire de libération nationale (RPN) de tendance PAI, et celui du PCRV qui était Révolution nationale démocratique populaire (RNDP), ont été mis en minorité face à celui de Révolution démocratique populaire (RDP) proposé par l’ULCR, a été remise dans un premier temps entre les mains du « grand frère » Philippe Ouédraogo. Avant de m’être confiée par la suite, compte tenu du fait que les obligations ministérielles de Philippe ne lui permettaient pas de s’y consacrer entièrement.

 

Pourquoi cette clarification ? Et bien, parce que je suis excédé ! (le ton monte subitement) Depuis que le «DOP» est sorti, de nombreux aventuriers se l’attribuent! Du reste, si vous avez lu le livre du peu recommandable Ludo Martens, « Sankara, Compaoré et la Révolution burkinabè », lequel livre d’ailleurs aurait pu être intitulé « Valère et la Révolution burkinabè », tant je suis surchargé à toutes les lignes du livre, vous comprendrez que mon livre à moi, « Thomas Sankara l’espoir assassiné », écrit avec les tripes et d’un trait, n’a été qu’une réplique ! Une réfutation systématique de ce livre de Ludo Martens !

 

Je vous fais même une autre confidence : lorsque je quittais le Burkina Faso en juin 1988 en direction de Brazzaville (au Congo ndlr), en passant par le Bénin, j’ai commencé à écrire à chaud, les  événements que j’avais en tête pour ne pas oublier. Et Sennen Andriamirado me téléphone, en me faisant savoir qu’il venait à Brazzaville pour me rencontrer. Je lui ai donné mon accord. A son arrivée à Brazzaville, je lui remets les manuscrits en ma possession, et qui comportaient le côté événementiel de la chose. C’est ce qui a permis à Sennen d’écrire son livre «Il s’appelait Thomas Sankara». Je ne dis pas cela pour m’attribuer la paternité du livre. Mais simplement pour montrer comment certains faits se sont produits.

 

Dernière confidence enfin : Savez-vous pourquoi dans le « DOP », la partie relative à la politique étrangère se trouve en fin de document ? Simplement parce que dans la précipitation, et face à la pression du Président qui tenait à le lire vaille que vaille avant l’un de ses déplacements, j’avais omis ce volet. C’est donc pendant qu’il lisait à la presse ce que nous avions déjà rédigé, que j’ai entrepris, dans une salle du Conseil de l’entente, en présence de Blaise Compaoré, d’ajouter le chapitre manquant. Je n’ai donc aucune honte à l’assumer. Et ceux qui m’en veulent le savent : de moi à eux, j’ai toujours été un tyran intellectuel. Et cela, ils le savent.

 

Libé : Est-il vrai, Valère Somé, qu’avec le coup d’Etat du 15octobre 1987, l’espoir a été assassiné ?

V.S : C’est à moi de vous poser la question, et non à vous de le faire ! Dites-moi. D’après ce que vous savez de la révolution, est-ce que ce processus-là n’a pas créé un espoir en Afrique? Je constate en tout cas que selon plusieurs analystes de par le monde, la Révolution burkinabè était perçue comme une sorte de réincarnation des révolutions étouffées en Asie, et en Amérique latine. Et de ce point de vue, l’espoir n’était pas perdu, car tout pouvait renaître. En assassinant Thomas Sankara, ils ont donc assassiné l’espoir. C’est ce que j’ai voulu dire dans mon livre, et je l’ai démontré.

 

Libé : Qu’en est-il de la bagarre qui opposait le PAI à l’ULCR ? Il semblerait que le président était plutôt acquis à la cause des seconds, et donc à la vôtre.

V.S : Lorsque Sankara a été déporté à Dédougou, il m’a écrit un message dans lequel il pointait du doigt l’incapacité des civils à s’unir afin d’assurer une gestion efficiente du pouvoir d’Etat. Il m’a donc demandé de prendre attache avec le PAI, afin de taire nos divergences et de faire front commun. Ce que nous avons tenté de faire par deux fois au siège de la Lipad. D’un côté il y avait Basile et moi. Et de l’autre il y avait Adama, Philippe et Soumane. Les discussions vont malheureusement échouer, par la faute d’acteurs dont j’espère qu’un jour, l’histoire aidera à révéler l’identité. C’est dans ce contexte que sont intervenus les événements du 17 mai 1983. (Il marque une pause).  …

 

Le 17 mai, on dit que c’est Blaise Compaoré qui a organisé la résistance. Eh bien, je vais vous dire la vérité aujourd’hui. Le 17 au matin, j’ai reçu une visite m’annonçant que la résidence de Thomas Sankara était encerclée par les chars de Somé Yorian, et qu’un coup d’Etat était en train d’être perpétré. Sur-le-champ, j’ai informé quelques camarades de la situation, avant de rejoindre Pô. C’est là-bas, sous mes yeux que les troupes ont été mobilisées. Blaise n’est arrivé qu’à 14 heures. Ce que je dis est vrai ! Vous pouvez vous renseigner. De retour à  Ouagadougou, le premier tract qui est sorti pour mobiliser la jeunesse, « les commandos de la révolution », c’est moi qui l’ai rédigé. Et la même nuit, Basile, Adama Touré, Philippe, avons tenu une réunion pour nous répartir les tâches de mobilisation de la jeunesse. C’est comme cela que la résistance du 17mai s’est faite. Ainsi de suite jusqu’à ce que le pouvoir soit pris. Le pouvoir pris, le PAI veut tout s’accaparer : première réunion du CNR pour former le gouvernement, le PAI prend tous les 5 gros ministères. Il réclame celui de l’Information que Sankara entend pourtant confier à Basile Guissou. Le PAI refuse catégoriquement. Pour lui, le ministère de l’Information à Adama Touré ou rien! Trois jours durant, c’est donc le blocage. Et finalement le PAI a obtenu ce qu’il voulait. Et depuis lors, leur tentative d’écraser les autres n’a plus cessé avec Soumane Touré qui à lui tout seul débordait le PAI.

 

Un exemple concret, c’est le licenciement des enseignants grévistes qu’ils ont fait porter au CNR, en faisant croire qu’ils avaient la maîtrise de la situation et des syndicats. On prend ainsi la responsabilité de licencier des enseignants qui sont en grève, sans connaître leur nombre exact. Ce que je n’ai pas manqué de faire savoir à Sankara en personne, lorsqu’il m’a rendu  visite, le soir de l’annonce de la mesure de licenciement. Je lui ai expliqué que c’était une erreur, et pourquoi ça l’était. A 11h30, lorsqu’il a pris congé, il s’est engagé à arrêter les missions de CDR envoyées en mission dans les provinces pour expliquer la mesure de dégagement. Et le lendemain, il a convoqué un Conseil extraordinaire des ministres pour dire qu’il fallait reculer. Là encore, des gens ont estimé qu’un recul serait un aveu de faiblesse et que la situation une fois de plus était sous contrôle. Ils l’ont donc mis en minorité, et la mesure a été maintenue (Il éclate en sanglots). Et ce sont ces gens-là qui attendent après pour tout mettre sur son dos!

 

Libé : Vous êtes allé en exil, peu après le coup d’Etat du 15 octobre 1987. Qu’est-ce que l’exil vous a apporté concrètement?

V.S : Je suis la quintescence de tout ce que le sankarisme a souffert. De ce point de vue, l’exil m’a apporté la maturité dans l’analyse, et la sagesse.

 

Libé : Selon vos adversaires, dès votre retour d’exil, vous auriez confessé devant le président Compaoré, avoir écrit votre livre (Thomas Sankara, l’espoir assassiné), sous l’effet de la contrainte. Qu’en est-il exactement ?

V.S : (Le ton monte) Je l’ai dit, et je le redis : je n’ai jamais renié mon livre, « Thomas Sankara, l’espoir assassiné ». Je suis un homme de convictions. Je suis trop haut pour ça! On ne m’achète pas! Et je défie l’imbécile qui affirme ces propos d’en apporter les preuves…Ces  gens sans foi ni loi qui passent leur temps à dénigrer les autres! Depuis mon retour d’exil,  Blaise et moi, nous nous sommes rencontrés deux ou trois fois. Mais nous n’avons jamais abordé la question de mon livre. Tous mes écrits sont publics. Et le jour où je devrais renier un seul, je le ferai publiquement. Je ne suis pas un homme du huis clos.

 

Libé : Ce 15 octobre 2007, il y aura deux célébrations autour de la même date. D’un côté la fête, et de l’autre, le recueillement. Ce schéma vous paraît-il conforme à ce que l’on était en droit d’attendre ?

V.S : Oui, tout à fait. C’est conforme. Mais, là où il y a une escroquerie, c’est lorsqu’on dit que c’est le 20e anniversaire de la renaissance démocratique. Ils avancent en catimini! Ils n’ont pas le courage de leurs opinions. Avoir le courage, c’est dire oui, nous fêtons le 20e anniversaire de notre prise de pouvoir. Parce que le jour où Sankara était assassiné, on a dit que c’était un réactionnaire qui s’était infiltré dans la révolution. Et que le coup d’Etat avait pour but d’approfondir la révolution. D’ailleurs, s’ils étaient logiques avec eux-mêmes, ce devrait être le   16e plutôt que le 20e.

 

Libé : Justement, après le 15octobre 1987, l’on a parlé de mouvement, dit de rectification. L’appellation vous paraissait-elle pertinente?

V.S : C’est une pâle copie de ce qui s’est passé en Chine, où il y a eu le courant de la rectification et la révolution culturelle prolétarienne. Le parallèle était donc facile avec cette école dont nous, nous avons tiré inspiration. Pour eux, il était donc question, de rectifier selon leurs propos, la dérive droitière du président Sankara. Au contraire, dès que le pouvoir était acquis, Blaise Compaoré a vite fait de chasser les communistes et autres rêveurs qui gravitaient autour, avant de révéler sa vraie nature de droite. Il s’agit plutôt d’une restauration du régime néocolonial.

 

Libé : Vous êtes anthropologue de formation. Qu’est-ce qui vous liait alors à Thomas Sankara, un militaire ?

V.S : Nous avons fait l’enfance ensemble à Gaoua. Nous sommes allés à l’école ensemble. Nos chemins se sont séparés par la suite, lui ayant intégré l’armée et moi le mouvement étudiant. Pour en fin de compte, se croiser à nouveau sur le terrain politique.

 

Libé : Sankara était d’une culture vaste, dit-on…

V.S : Il était doué ! Il apprenait très vite.

 

Libé : Il semble qu’il venait assister à vos discussions…

V.S : Non ! Il venait au congrès des étudiants. Il venait, habillé en chemise, et suivait tous les débats.

 

Libé : La Révolution burkinabè, selon une certaine lecture, a échoué parce qu’à l’intérieur du CNR, tout le monde en vérité, n’avait pas la fibre révolutionnaire. Est-ce exact ?

V.S : Tout à fait. C’est vrai que Sankara lui-même a commis des erreurs par moments, en s’entourant de gens qui n’étaient pas forcément convaincus. Mais de cela, nous en reparlerons lorsqu’il sera réhabilité.

 

Libé : A vous entendre, on a l’impression que les débats contradictoires vous manquent.

V.S : Oui, c’est vrai.

 

Libé : Avez-vous suivi la dernière sortie médiatique de Blaise Compaoré face à la presse?

V.S : (Rires)…Que voulez-vous que je dise ?

 

Libé :Je demande si vous l’avez suivie.

V.S : (Rires)…Révolté en voyant cela

 

Libé : Révolté, c’est-à-dire…

V.S : J’ai été révolté de voir comment il a banalisé et survolé les questions. Sans parler du décor qui m’a fait voir le Mobutu qui est là.

 

Libé : Si vous deviez oser une comparaison avec les années 70, en termes de qualité de l’offre intellectuelle. Que diriez-vous ?

V.S : Si j’avais à choisir, c’est cette période que je choisirai. Je l’ai dit, c’est le meilleur moment de ma vie.

 

Libé : Que reste-t-il, selon vous, de l’héritage idéologique de la révolution : de la nostalgie ou un véritable projet de développement?

V.S : Je dirai qu’il reste l’espoir. Bien que j’ai dit que l’espoir a été assassiné. L’espoir physique a été assassiné, certes. Mais l’espoir moral, l’espoir idéal est là. C’est cet espoir qui va ressusciter un jour.

 

Par : François Legourdin, Henri Levent.

Source : Libérateur N°41 du 05 au 20 octobre 2007

Thomas Sankara et Fidel Castro

 



10/08/2017
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