LIVRE DE SADIO CAMARA : CHAPITRE III : LE PREMIER CONGRES DU P.A.I. ET LA PREMIERE CRISE INTERNE DU PARTI
LE PREMIER CONGRES : La conférence Préparatoire du Congrès à Tambacounda
Dans la perspective de la conférence préparatoire du 1er congrès du P.A.I, Alioune DIOP, Bouba LY et Moctar Fofana NIANG avaient été chargés de la préparation matérielle des assises. En outre, une action décisive de reprise et de réorganisation du parti avait été lancée à l’échelle de la Région de Tambacounda. Celle-ci avait été l’occasion d’une vaste opération de contacts et de démarches à l’endroit de tous les militants connus dans les trois départements (Tambacounda, Kédougou, Bakel). Ainsi, certains camarades comme Moctar Fofana NIANG et Moustapha Kassé (l’actuel Professeur de Sciences Economiques à l’Université Cheikh Anta Diop) et moi-même, avions parcouru des dizaines de kilomètres, parfois à pied, pour joindre les militants… C'est dans ce cadre que Matar Fofana Niang avait contacté le camarade Bara GOUDIABY Instituteur à Fongolinby à la frontière du Sénégal avec la guinée-Konakry, de même les camarades Bocar Cissokho et Bocar Guissé respectivement Instituteur et Agent de Poste qui se trouvaient à Bakel, sur le fleuve Sénégal à 243 kilomètres de Tambacounda, avaient été contactés par le camarade Falaye KEITA de Cotiary.
Au début du mois de décembre 1961, j’ai reçu à Cotiary, la visite d’un émissaire du parti, en l’occurrence Babacar SY dit Baléva, qui m’informa de la tenue prochaine du premier congrès du parti. Je devais informer les camarades du Secrétariat Exécutif de Tambacounda et tenir avec eux une conférence préparatoire qui devait avoir lieu à Sinthiou-Maléme, chez le camarade René TRAORE alors Directeur de l’école dudit village, à 25 km de Tambacounda commune.
Je devais garder cette information pour moi seul et m’organiser pour y conduire les délégués la nuit. Nous y trouverons un représentant de la direction du parti. La conférence avait été dénommée. «Conférence du Boundou», en souvenir de la région naturelle du même nom qui fut le trait d’union entre le prestigieux empire du Mali et sa province maritime, aussi prestigieuse, le Gabou. Participaient à cette conférence les camarades suivants : par ordre alphabétique :
Sadio CAMARA, instituteur à l’école de Cotiary
Fily DIALLO, secrétaire secco à Koussanar
Alioune DIOP, instituteur à Tambacounda commune
Mamour DIOP, instituteur à Tambacounda commune
Falaye KEITA, agriculteur à Cotiary
Bouba LY, boutiquier à Tambacounda
Moctar FOFANA NIANG, agent technique de coopération à Tambacounda
René TRAORE, instituteur en service à Sinthiou Maléme
J’étais seul à connaître le lieu de la réunion. Nous qui étions de Cotiary devions rejoindre les camarades de Tambacounda, ensuite nous rendre à Sinthiou-Maléme. Les camarades de Koussanar devaient s’y rendre directement. Comme j’étais le coordinateur de l’activité, un jour avant, j’avais envoyé une connaissance sûre pour informer le camarade Mamour DIOP du lieu de la réunion et comment il devait s’y porter. A l’époque le trafic ferroviaire était dense sur l’axe Dakar-Bamako et vice –versa. Il y avait au moins un train par jour dans les deux sens. En plus il y avait le train express deux fois par semaine. Avec mon camarade de Cotiary, nous avions rejoint ceux de Tambacounda. Vers vingt heures nous prenions le train voyageur Kayes-Dakar séparément pour descendre à Sinthiou–Maléme, 45 minutes après les délégués de Koussanar y arrivèrent les premiers, deux heures avant nous par un train voyageur venant de Dakar. Au départ seulement les camarades savaient où nous allions et comment y aller. Les consignes du voyage étaient les suivantes : nous prenions le train de telle heure, chacun prenait son billet individuellement et nous devions embarquer dans des wagons différents, nous éparpiller parmi les autres voyageurs. Nous évitions d’être à deux dans un wagon mais nous ne devions pas nous perdre de vue, il fallait nous suivre des yeux. A la descente à Sinthiou- Maléme, les éléments d’un groupe devaient marcher à distance visible, ce qui permettait d’apercevoir celui qu’on suivait. Se trouvait en tête celui qui connaissait bien la maison du camarade et le chemin qui y menait.
Les autres consignes consistaient quand quelqu’un parmi nous se sentait filer, de semer le «fileur», si la distance et le temps le permettaient, soit l’entraîner dans une direction opposée et rentrer chez soi, en conséquence, renoncer au voyage. Ce qui permettrait aux autres de continuer dans la sécurité mais aussi assurer la tenue de la réunion. L’absence d’un camarade s’interpréterait de la sorte.
Après les retrouvailles fraternelles et chaleureuses et un bon dîner offert par le camarade TRAORE, notre conférence débuta à 23 heures avec un seul point d’ordre du jour : la tenue prochaine du premier congrès du P.A.I, introduit par le camarade Abdou KANE alors représentant le SEPO (Secrétariat Exécutif Politique), direction suprême du parti. Introduction tournant autour de trois axes : le contexte d’alors, l’importance du congrès du P.A.I, l’élection de deux délégués et les mesures de sécurité pour assurer leur présence au congrès.
Aux termes des discussions, Sadio CAMARA et Falaye KEÏTA furent désignés pour représenter la région. La date, le lieu et les modalités du voyage seraient communiqués ultérieurement au camarade Sadio. Le retour s’organisa comme au départ à 4 heures du matin par les mêmes voies et les mêmes moyens. Nous étions tous arrivés à bon port, preuve que nous commencions à maîtriser les règles de la conspiration et de la clandestinité.
En route pour le premier congrès du PAI
Quinze jours après la conférence du Boundou, à l’approche des vacances de Noël de 1961, j’ai reçu de nouveau le même camarade Babacar Sy dit Baléva, qui m’a informé de la date et le lieu du congrès, les modalités du voyage. Ce serait pendant les vacances de Noël à Bamako où se trouvait en exil le premier Secrétaire Majmout DIOP. Le voyage se ferait en deux étapes. La première par train –express de Cotiary à Kayes où nous descendrions pour aller au commissariat de police. Nous y serions accueillis par des camarades. De Kayes nous continuerions par le train express en compagnie d’autres camarades pour Bamako.
Il me laissa de l’argent nécessaire pour nos billets et provisions de route et me suggéra quelques règles de sécurité. Je ne devais pas révéler cela au camarade Falaye KEITA, mon second.
A l’époque la tension était vive entre le Sénégal et le Mali. Les passagers des trains et leurs bagages faisaient l’objet de contrôles sévères. Ce qui laissait la porte grandement ouverte au rançonnage des passagers de part et d’autre par des policiers et des douaniers. Ainsi donc, il était courant de voir des passagers maliens dépouillés de leurs biens par des policiers et douaniers sénégalais d’un côté et de l’autre des passagers sénégalais dépouillés de leurs biens par des policiers et douaniers maliens. Il se disait à l’époque que c’était la traite des agents de police et de la douane. En outre à chacune des frontières étaient traqués les adversaires politiques. Beaucoup de camarades furent arrêtés et torturés au poste de police de Kidira avant d’être acheminés sur Dakar.
J’informai mon épouse que j’allais voyager et que je serais de retour dans 10 à 15 jours. Le camarade Falaye fit de même auprès de sa famille. Le train express Dakar Bamako arrivait à Cotiary à 5 heures du matin. Le jour J, au petit matin, nous nous embarquions pour Kayes. Arrivés à Kidira, village frontalier, le train s’arrêta, les passagers et les bagages de tous les voyageurs fouillés systématiquement. Cela dura deux heures de temps après lesquelles le train poursuivit sa route. Mais quelques minutes auparavant, un policier m’interpella pour fouiller mon balluchon contenant quelques vieux habits et bien sûr vérifia ma pièce d’identité.
Visiblement il ne savait pas lire, il s’intéressait plutôt au contenu de mon balluchon. Malheureusement pour lui il n’y avait rien qui puisse l’intéresser. Très vite, il cessa de m’importuner et alla tenter sa chance avec une dame qui apparemment paraissait avoir des bagages juteux.
Le train express s’ébranla pour l’autre côté de la frontière, dans la partie malienne. A 3-4 km seulement, il s’immobilisa de nouveau. Le même calvaire de contrôle policier et douanier reprenait ici également avec les mêmes tracasseries à l’endroit le plus souvent des passagers sénégalais. Le camarade et moi, nous n’avions eu aucun problème jusque là. Ceci parce que nous parlions bambara et que nous évoluions dans le milieu en entretenant des palabres avec les vendeurs. Nous arrivâmes à la gare de Kayes. A notre demande, on nous indiqua le commissariat de Kayes et nous n’eûmes pas de difficultés pour le retrouver d’autant qu‘il n’était pas loin de la gare ferroviaire.
Au commissariat de Kayes, comme cela m’avait été indiqué, nous avons trouvé d’autres camarades délégués dont le camarade Abdou KANE que je connaissais déjà. Nous portions tous des habits traditionnels de nos milieux sociaux d’origine. Pourquoi le commissariat de Kayes nous a -il abrités ?
La fédération du Mali a éclaté il y a quatre mois. La tension était vive entre les deux pays. Alors le gouvernement malien supportait les adversaires politiques du gouvernement sénégalais et vice-versa. Pour cette raison le premier Secrétaire Majmout DIOP avait trouvé asile à Bamako. Pour la tenue du congrès de son parti à Bamako, il avait sollicité et obtenu la coopération des autorités pour le passage des congressistes à travers le territoire malien. A cet effet, les services de sécurité étaient mis à contribution. Nous avions donc passé deux jours au commissariat de Kayes, au bout desquels nous poursuivîmes notre route par train express sur Bamako, où nous arrivâmes le lendemain vers 20 heures.
Arrivés à Bamako sous la direction du camarade Abdou KANE, nous nous regroupâmes quelque part à la gare. Il avait trouvé là un camarade de liaison. Pendant que ce dernier l’aidait à trouver des taxis pour nous transporter à notre lieu d’hébergement, un commissaire de police siffla et ordonna à ses hommes de nous embarquer dans un panier à salade pour nous conduire au commissariat. Sous bonne escorte l’interrogatoire commençait quand quelqu’un sortit de l’intérieur pour le faire arrêter. Puis il vient nous saluer chaleureusement et s’entretient avec celui qui était venu nous chercher à la gare ainsi qu'avec le camarade Abdou KANE. Quelques minutes après, des voitures sont arrivées et nous voilà invités à y prendre place. Enfin nous voilà au quartier général du premier Secrétaire Majmout Diop à Bamako, dans le quartier Tomborobougou, à côté du stade. Là, nous sommes restés pendant deux ou trois jours pour attendre l’arrivée des délégations d’autres régions de l'intérieur du pays et de la France. Le jour du congrès nous sommes transférés dans un établissement scolaire situé à l'Est de Bamako, en bordure du Dioliba. Toutes les conditions de travail étaient réunies pour la tenue du congrès : couchettes, toilettes, restauration.
C’était aussi les conditions de sécurité. En effet, bien qu’étant dans un pays d’accueil, les mouvements incessants d’un point à l’autre, collectivement et ou individuellement des délégués ne pouvaient échapper à la vigilance des services secrets de l’Ambassade du Sénégal. Ce serait alerter le gouvernement sénégalais sur la tenue de notre congrès et qui, en conséquence, prendrait des mesures aux frontières pour nous cueillir et par-là paralyser l’activité du parti pendant une bonne période.
Le premier congrès s’était tenu dans ces conditions.
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