Législatives 2017 : «Gagner ou périr» ?
On prête au président Macky Sall d’avoir tenu ce discours guerrier à ses ministres et hauts fonctionnaires candidats aux élections législatives en cours.
Licence pour le pillage des deniers publics
Ce discours est une véritable licence pour l’utilisation abusive des ressources de l’Etat. En effet, pour ne pas « périr », ces ministres et fonctionnaires vont utiliser tous les moyens à leur portée, pour leur campagne. Ils seront d’autant plus à l’aise pour utiliser l’argent public qu’ils savent que la déclaration de leur Chef est un encouragement implicite à utiliser les moyens de l’Etat pour obtenir le résultat qu’il leur a demandé !
Il n’est dès lors pas étonnant de voir les moyens colossaux utilisés par la coalition présidentielle, notamment par le Premier ministre, le ministre des Finances et quelques autres ministres ainsi que par les directeurs généraux, à l’exemple de celui du Port, Cheikh Kanté. Un journal titrait l’autre jour sur la « pluie de millions » que ce dernier avait déversée sur les femmes de Fatick, la ville du président. Charité bien ordonnée commence bien par soi-même, dit-on !
L’agent coule donc à flots dans le camp présidentiel. Un des journaux proches du Palais, indiquait la semaine dernière que le budget de campagne de la Coalition BBY se chiffrait à plus de 3 milliards ! Ce chiffre faramineux ne tient pas compte des centaines de millions que le président distribue nuitamment à des « transhumants » ou « défecteurs » de dernière minute, qui lui rendent visite au Palais. Sans compter les cadeaux en nature et des billets pour le pèlerinage à la Mecque.
La bataille de Dakar
Pour la « mère des batailles », celle de Dakar, le pouvoir n’a pas lésiné sur les moyens. Le ministre des Finances, tête de liste de Dakar, Amadou Bâ, est comme un guichet automatique ambulant, distribuant par-ci par-là des millions chaque jour pour acheter les consciences des électeurs, et promettant monts et merveilles à diverses catégories sociales.
Son QG ressemble, dit-on, à un véritable bunker, avec des dizaines de gros bras nuit et jour, tandis que ses cortèges ont l’allure de cortèges présidentiels, avec tout ce que cela compte de longues files de grosses voitures de luxe aux vitres teintées. En fait, il s’agit d’étaler toute sa puissance, frapper l’imagination des citoyens ordinaires et surtout épater les« pauvres » !
Dans les différents quartiers de la capitale, les autres candidats figurant sur sa liste distribuent de l’argent à gogo ainsi que des billets pour le pèlerinage à la Mecque. Toute cette « démonstration de force » financière illustre l’enjeu que représente Dakar pour le pouvoir. En effet, de l’avis de tous ceux qui l’ont approché, Macky Sall est obsédé par Khalifa Sall, et donc la bataille de Dakar revêt une importance inégalée pour lui. Et pour cela, tous les moyens sont bons pour remporter cette bataille.
Mais quoi qu’il fasse et quel que soit le résultat du vote le 30 juillet prochain, Macky Sall a déjà perdu la bataille de Dakar. S’il « gagne », l’opinion retiendra qu’il lui aura fallu passer par l’emprisonnement injuste du maire de la capitale, un achat de consciences sans précédent et la rétention des cartes dans les fiefs de l’opposition. Donc, une « victoire » à la Pyrrhus !
Bien sûr, le scénario inverse serait pire et cauchemardesque. Car, si malgré tout ce qui a été fait contre lui, Khalifa Sall arrivait à remporter la bataille de Dakar, Macky Sall vivrait alors l’humiliation de sa vie, le signe avant-coureur de la fin inéluctable de son régime en 2019.
Appels à des votes « ethnicistes » ?
A Kanel, dans le Fouta profond, la tête de liste de Manko Wattu Sénégal avait tiré la sonnette d’alarme, la semaine dernière, sur ce qu’il a appelé des « discours ethnicistes ». Demba Abdou Diallo, tête de liste de cette coalition, avait fait la remarque suivante « c’est dangereux que certaines personnes tiennent un discours ethniciste pour tenter de convaincre les populations à voter pour elles. Cela peut créer des précédents incalculables »
En effet, cela est extrêmement dangereux et inacceptable ! De tels discours pourraient mener à des dérapages qui risquent de mettre en péril les fondations encore fragiles de la République. Apparemment, les tenants du pouvoir n’en ont cure ! Il y a eu des appels à des votes « ethnicistes » pour Amadou Bâ, la tête de liste de BBY à Dakar. Des groupes de Hal Pulaar (toucouleurs), sous la houlette de Lobatt Fall, ancien parrain de la gare routière « Pompiers » dans les années 1970, se mobilisent pour appeler à voter pour Amadou Bâ, au prétexte qu’il est un des « leurs » ! Kalidou Wagué, maire de Bokidiawé, a également demandé à la communauté Soninké de Dakar de voter pour Amadou Bâ, parce qu’il est un des « leurs » !
Voilà à quels expédients ont recours le régime et son candidat pour « gagner » Dakar.
Le dernier clou dans le cercueil de la gouvernance « sobre et vertueuse »
La campagne en cours et les moyens utilisés par la coalition présidentielle ont porté la dernière estocade à la gouvernance « sobre et vertueuse »promise par Macky Sall. Celle-ci avait fait naufrage depuis longtemps dans les eaux puantes de la gabegie, de corruption et de la concussion. Les affaires du pétrole et du gaz avaient déjà éclaboussé la famille du président, avec l’association de son petit frère avec Frank Timis. C’est la famille, la belle-famille, les cousins proches et lointains et les copains, bref, la gestion clanique du pouvoir.
Quand la saison de la transhumance a été ouverte, on assista à une course effrénée vers le parti présidentiel. Tous ceux et celles qui avaient maille à partir avec la justice furent reçus à bras ouverts et leurs dossiers enterrés. Certains de ces individus et d’autres, mis en cause par l’OFNAC ou la Cour des Comptes, sont candidats sur la liste de la coalition présidentielle.
Quel sort sera-t-il réservé à celle-ci par les électeurs ? Verdict, dimanche. Mais ce qui est sûr c’est que certains candidats, ministres ou hauts fonctionnaires, vont « périr » !
Demba Moussa Dembélé
Dakar
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