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LIVRE DE SADIO CAMARA : Chapitre VI : LES PREPARATIFS POUR LE MAQUIS ET SON ECHEC. LES EVENEMENTS AMERS INATTENDUS DE BAMAKO ET L’ORGANISATION POLITICO-MILITAIRE DU GROUPE.  

Pendant que nous étions à Bamako, et même avant, les camarades Max Mader SAMB, employé municipal à Diourbel et Mapathé SOW, maçon de son état à Mbour, manifestaient des signes de trahison sur fond de peur. Ces signes étaient plus manifestes chez le premier au point que la direction du groupe et le 1er Secrétaire Majhmout DIOP, mirent au point des mesures de surveillance.

 

Le second, qui manifestait moins de signes fut négligé. Ainsi, il trompa notre vigilance pour aller se réfugier à l'ambassade du Sénégal à Bamako. Modibo KEITA, alors Président de la République du Mali, se trouvait absent du pays. Madéra KEITA assurait l’intérim. Ce  dernier, pensant tout naturellement que nous possédions des stocks d’armes à l'Etat-Major du 1er Secrétaire, lui demanda de les disséminer en différents endroits hors de sa maison en attendant l’arrivée du Président Modibo KEITA.

 

A la suite donc de cet incident de Mapathé SOW, Majmout DIOP nous réunit pour nous entretenir de la nouvelle situation, et de la nécessité de prendre les devants pour rentrer au Sénégal immédiatement.

 

Comme Madéra KEITA, nous pensions que la question des armes, essentielle à nos yeux, était réglée depuis longtemps, ceci pour nous permettre d’entrer équipés au Sénégal et faire face aux troupes armées et services de sécurité franco-sénégalais. Nous avions donc profité de cette réunion pour demander à Majmout DIOP ce qui en était réellement : avons-nous des armes pour notre projet de lutte armée ? Il répondit par la négative. Alors, la déception, le découragement et l’inquiétude s'emparèrent de bon nombre d’entre nous, déception, découragement et inquiétude lisibles sur les visages et même par des expressions de dépit. Pour tempérer cet état psychologique des camarades, Majmout DIOP déclare que la première tâche des groupes de guérilla qui serait constitués, sera de déterminer et d’aménager des terrains pour la réception aérienne des armes et équipements militaires. A cet effet, au bout de trois mois au maximum, chaque Commandant de groupe de guérilla devra leur envoyer un émissaire à Bamako pour leur faire un rapport sur cette question urgente. Cette déclaration de Majmout baissa la tension et la réunion continua. Alors nous procédâmes à l’organisation politico-militaire du groupe, en vue des préparatifs pour le maquis.

 

Ainsi, selon les aptitudes affirmées lors de la formation militaire à Cuba et selon la hiérarchie occupée dans le parti (SEPO, CC), les camarades suivants ont été portés aux grades de Commandant et de Capitaine :

- Majmout DIOP 1er SG du parti, Commandant

- Madiké WADE, membre du CC, Commandant

- Alla KANE, membre du CC, Commandant

- Sadio CAMARA membre du CC, Commandant

- Bara GOUDIABY, responsable du parti de la Région de Casamance, Commandant

 

- Fily DIALLO, Capitaine

- Mamour DIOP, Capitaine

- Youssouph DIALLO, Capitaine

- Tidiane BA, Capitaine

- Gormack THIAM, Capitaine.

 

Deux régions furent choisies comme bases de guérilla, régions à partir desquelles les hostilités armées débuteraient. A cet effet, nous constituâmes deux groupes en nombre égal pour les deux régions en vue d’y préparer les bases matérielles de la guérilla.

Je fus désigné à la tête du groupe de la région du Sénégal Oriental, composé comme suit, par ordre alphabétique :

- Sadio CAMARA dit Alphonse

- Amadou WANE dit Carlos

- Ameth WONE

- Fily DIALLO dit Lary Gassy

- Assane DIAO dit Doyen

- Baba DIOP dit Dublinki

- Mamour DIOP dit Négus DIANKHA

- Sapir DIOP

- Dame DIENG.

- Médoune GUEYE

- Moussa NIANG dit Mélakh

- Ibra GNING dit Moustique

- Malick SAMB dit Max Mader

- Mamadou THIAM

 

Le camarade Bara GOUDIABY a été désigné Commandant de la région de Casamance avec comme adjoints les camarades Capitaines Youssouph DIALLO et Tidiane BA. Le camarade Madiké WADE devait rester à Bamako pour seconder Majmout DIOP et éventuellement s’occuper des problèmes à l’échelle internationale. Le camarade Alla KANE, devait rester également à Bamako un moment pour aider à la formation militaire en ce lieu de nouveaux groupes de camarades. Ensuite, il devrait rejoindre le Sénégal pour y organiser et diriger la guérilla urbaine.

 

Tâches assignées aux deux groupes de guérilla constitués :

- Recrutement et formation militaire de nouveaux camarades,

- Reconnaissance du terrain, consistant à parcourir la région pour la connaître comme les traits de nos mains afin de faciliter l’exécution des missions de guérilla, surtout assurer une excellente mobilité dans la sécurité.

- Etude des voies de communication et de liaison et détermination des ouvrages et autres éléments stratégiques en vue de leur destruction éventuelle pour paralyser le mouvement de l’armée régulière.

- Aménagement des cachettes pour les différents besoins de la guérilla : dépôts d’armes, de nourriture, et même pour cacher des guérilleros éventuellement.

- Préparer des lieux propices pour les réceptions aériennes,

- Organiser le renseignement

- Localiser les objectifs ou cibles militaires et étudier les moyens de leur destruction en cas de nécessité.

 

Après la distribution des rôles et la formation des groupes, ces derniers quitteront Bamako par Express un matin d'Octobre 1964. La première étape a été Kayes avec feu Président Seydou CISSOKHO chargé de nous convoyer. De Kayes, il nous fera marcher pendant toute la nuit pour nous faire traverser, sans problème la Falémé au Sud-Ouest de Kayes, en amont de Kidira. De là, nous nous séparâmes de feu Président Seydou. Il serra fortement la main à chacun de nous, avec chaleur, en nous souhaitant courage et bon travail !

 

Nous fûmes aussi chaleureux à son égard avec l’engagement ferme de nous acquitter dignement, au prix de notre vie, de ce que le parti attendait de nous. De part et d’autre c’était la joie et la fierté d’être au seuil d’une mission historique d’intérêt national. Les deux groupes s’engouffrèrent ensemble en profondeur dans le territoire sénégalais. Nous nous accordâmes une journée et une nuit de repos. Au lever du soleil du deuxième jour, les deux groupes se séparèrent. Le groupe de Casamance prit la direction Nord-ouest pour traverser la région du Sénégal Oriental et gagner celle de la Casamance. Le groupe du Sénégal-Oriental, mon groupe, prit la direction Sud-Est pour gagner la forêt de Gnokholo Koba.

 

Premier campement de base de guérilla, appelé campement de la biche

 

Après la traversée du fleuve Sénégal, nous nous guidions, de jour à l’aide de la carte géographique et des quatre points cardinaux, de nuit à l’aide des étoiles formant une casserole et l’étoile polaire. Nous avons traversé les régions naturelles du Boundou et du Bélédougou pour nous trouver sur les rives de la grande rivière dite Gnokholo-Koba (signifiant en manlinké : la grande rivière du Gnokholo parce qu’appartenant à cette ancienne province sur la presque totalité de son cours), à 50 km de sa source, dans les rizières du Koulikouna, en bordure de la forêt classée du même nom.

 

L’endroit que nous avions choisi pour camper était une bande de terre délimitée par le Gnokholo-Koba et un de ses affluents à 500m de part et d’autre. Pendant que les camarades s’occupaient des installations, j’étais allé, accompagné de deux autres camarades, faire la reconnaissance des lieux. A quelques dix mètres du lit de la rivière, des clapotements d’eau nous parvenaient et nous intriguaient. Nous nous pressâmes, à pas de loup, pour voir ce qui pouvait bien provoquer de pareils bruits d’eau. Une fois au bord du lit du cours d’eau, nous apercûmes un animal entrer dans l’eau et en ressortir, tenu par un crocodile. Nous jetâmes des pierres et le crocodile abandonna sa proie déjà sans vie. Le courant l’entraîna jusqu’à ce qu’elle soit retenue par des branches d’arbres de l’autre côté de la rive.

 

Il nous a fallu trouver un endroit étroit du lit de la rivière et, à l’aide des branches d’arbres, nous porter de l’autre côté pour repêcher la biche (un camarade et moi). C’était une grosse biche cochon, une femelle en gestation, de la taille et de la grosseur d’un mouton de race mauritanienne. Ne pouvant pas la transporter, nous l’avons dépecée sur place pour transporter la viande et la peau au camp. Une partie de la viande a servi de grillade pour le repas de midi et une autre préparée avec du riz comme dîner du jour. Le reste de la viande a été salée et séchée et nous a servi de condiment pendant quelques jours.

 

J’ai séché la peau au soleil en fixant ses extrémités par des pointes en bambou et en aspergeant de cendre la face décollée de la chair. Après quoi je m’en servis comme natte aux heures de repos. Lors des déplacements je l’enroulais comme une natte de prière et, à l’aide d’une ficelle, je la portais accrochée à l’épaule. Nous avons appelé unanimement et de manière spontanée ce premier campement, «Campement de la biche». Le campement de la biche a été notre première base. De là, nous avons jeté les bases de nos activités futures à savoir, l’acquisition de matériels suivants : matériel de cuisine et de restauration, matériel de pêche, fusils et accessoires de chasse, équipement pour l’aménagement des cachettes, recrutement et la formation de nouveaux camarades, organisation du ravitaillement.

 

Matériel de cuisine et de restauration

Il nous fallait rapidement acquérir du matériel de cuisine et de restauration comprenant :

- 2 marmites en aluminium, donc moins lourdes au cours des déplacements,

- 2 louches en aluminium,

- 2 couteaux de cuisine,

- 20 cuillères

- 20 fourchettes ;

- 20 pots d’un quart de litre chacun pour boire.

 

Matériel de pêche

Comme nous sommes dans une zone avec beaucoup de cours d’eau poissonneux, une des sources principales pour notre subsistance serait la pêche. Il fallait donc très rapidement nous doter des moyens à cet effet. Il s’agissait :

- hameçons de différentes dimensions (petite, moyenne, grande) ;

- lignes pour hameçons de différentes grosseurs également (petite, moyenne, grosse).

 

Fusils et accessoires de chasse

Comme la pêche, la chasse est une économie de subsistance surtout au cas où nous nous trouverions dans l’impossibilité de nous ravitailler en céréales dans les villages. La région est giboyeuse. Même en temps calme, nous aurons besoin de viande comme aliment, car les caïmans ne nous en fourniraient pas souvent.

Par ailleurs, en cas de nécessité, le matériel de chasse peut nous servir de moyen de défense contre les fauves où contre les ennemis de la guérilla. Pour ces raisons, nous avons acquis  un fusil de chasse dès les premiers jours de notre présence dans la zone. Nous parlerons un peu plus loin de l’acquisition de ce fusil et comment nous l’avons perdu.

 

Equipement pour l’aménagement des cachettes

Une de nos tâches était d’aménager des cachettes diverses pour divers usages : dépôts de ravitaillement, dépôts d’armes et munitions, abris pour guérilleros. Cela nécessitait un minimum de matériel à savoir :

- 2 pelles,

- 2 pelles bêches,

- 2 pioches,

- 2 haches,

- 2 coupe-coupe

- 4 couteaux,

 

Recrutement de nouveaux camarades

Le recrutement et la formation de nouveaux camarades ou de nouvelles recrues pour l’organisation de plusieurs groupes de guérilla étaient au nombre des tâches qui nous étaient assignées. Dans ce premier camp, il fallait d’abord procéder au recrutement de nouveaux camarades. Les recrues étaient :

- Bara HANNE, agent de coopération à Tambacounda ;

- Bouba LY, boutiquier à Tambacounda

- Thiémokhoba KEITA, dit Professeur (en raison de ses qualités de footballeur) à Tambacounda

- Souty TOURE, instituteur à Tambacounda

- Tidiane SY, instituteur à Tambacounda

- Madior bouna NIANG, à Tambacounda;

- Madiéye DIENG, instituteur à Tambacounda

 

Organisation du ravitaillement

L’organisation du ravitaillement était une des premières nécessités, car elle conditionnait notre survie. Celle-ci consistait à trouver des hommes dans différents villages autour de la zone pour stocker des vivres dont nous aurions besoin : soit chez eux, soit dans des boîtes impersonnelles. En outre, il nous fallait dresser la liste des différents marchés hebdomadaires qui se déroulaient autour de la zone (jours et lieux de leur tenue). Ils constituaient des moyens efficaces pour nous ravitailler directement et sans compromettre nos hommes des réseaux. Etudier ces marchés pour savoir les différents produits qui s’y vendaient, les hommes qui s’y rendaient, les forces de sécurité qui y allaient et d’où elles venaient, leur nombre, la qualité des armes qu’elles possédaient, l’endroit où elles cantonnaient, leurs mouvements pendant le marché, les éléments ayant de mauvais rapports avec les populations, etc.

 

Organisation du renseignement

Cette question est traitée plus amplement un peu plus loin. Nous y renvoyons le lecteur.

 

Telles furent les activités menées au campement de la biche. Au début, je n’avais pas voulu structurer le groupe. Je restais le chef avec mon titre de Commandant et pour adjoint le camarade Fily DIALLO dit Lary Gassy avec son titre de Capitaine. Le camarade Capitaine fily DIALLO a été le maître d’œuvre de l’exécution des tâches ci-dessus mentionnées. Armé de mes notes de recommandations aux camarades responsables locaux du parti et aux personnes amies, accompagné d’un ou de deux camarades volontaires (je ne désignais pas, mais je demandais des camarades volontaires), il se rendait à Tambacounda, à Kédougou, dans les villages pour des missions. Au départ, d’un commun accord, il avait acheté un vélo pour effectuer des missions dans les villages où le transport automobile était quasi inexistant faute de routes. Avec cet engin, il avait assuré l’achat et l’acheminement du matériel de cuisine, de pêche et de chasse, l’équipement pour l’aménagement des cachettes, des fois des vivres. Ensuite le camarade Capitaine Fily DIALLO a assuré le recrutement et a conduit les premières recrues rapportées plus haut, et ensuite, les missions de ravitaillement, d’organisation de réseaux de renseignements et des missions spéciales d’information et de contact.

 

Retour sur l’histoire de l’acquisition du fusil de chasse

Conformément à une décision commune, il avait obtenu ce fusil avec un commerçant, boutiquier de Gnéménéky du prénom de Sény. Gnéménéky était le village qui avait été déguerpi en 1967 pour renforcer la préservation et le développement de la flore et de la faune du parc. Il se situe en bordure de la route Tambacounda-Kédougou au milieu du tronçon campement GnokholoKoba-Mako. Le camarade Capitaine Fily DIALLO avait donc cherché et noué amitié avec ce boutiquier de l’ancien village de Gnéménéky. Lors d’un de ses passages chez lui, il exprima son intention d’acheter un fusil de chasse et lui demanda s’il connaissait quelqu’un qui vendrait le sien. Son ami Sény lui répondit qu’il connaissait quelqu'un mais que celui-ci se trouvait à Kédougou Commune. Il lui proposa d’y aller lui-même s’il tenait et disposait de l’argent à cet effet, une somme de trente Mille (30.000) francs. Ce que le camarade Fily accepta. Ils se mirent d’accord sur une date non éloignée à laquelle le Capitaine Fily devait passer prendre le fusil.

 

A la date convenue, le camarade Fily était au rendez-vous. Son ami Sény lui présenta ses excuses, du fait que le fusil qu’on lui avait proposé avait été vendu. Mais Sény lui proposa son propre fusil de calibre 12. Le Camarade Fily accepta cette proposition malgré lui parce que le fusil était vieux mais fonctionnel et il n’avait aucune chance de recouvrer cette somme. Ensuite son ami l’aida à trouver une ou deux boîtes de cartouches gros grains. Ainsi donc, nous nous sommes assurés d’un moyen de ravitaillement régulier en protéines animales. Le fusil de Monsieur Sény était immatriculé en son nom, au service départemental de contrôle des armes de Kédougou. Ainsi, quand le fusil fut entre les mains des autorités, il a été facile de retrouver le propriétaire et dans le cas précis, de le châtier pour l’avoir vendu à des «ennemis publics». C’est dire que le boutiquier Sény de Gnéménéky a été sérieusement fatigué par les autorités de l’époque : arrêté, interrogé des jours durant, mis en cellule puis emprisonné. Plus tard, quand les autorités seront convaincues qu’il n’avait aucune part active dans nos activités, il sera libéré. Quelques années après, il décédera pour nous attendre de l’autre côté de la vie pour le jugement dernier. Et ce sera intéressant de nous retrouver avec monsieur Sény et les commanditaires des tortures comme Bélal LY, Mamoudou CISSOKHO, les tortionnaires comme Malaw GADIAGA, Ylla SENE, des torturés comme Bara HANNE, Souty TOURE, etc.

 

Parallèlement aux tâches ci-dessus mentionnées, nous faisions aussi des prospections et l’aménagement de caches, de terrains pour des opérations de largage par avion. Nous étions dans la dernière semaine de décembre 1964. Un matin, deux nouvelles recrues, Thiémokhoba KEITA (dit Professeur) et Madiéye DIENG prirent la fuite. Comment cela était-il arrivé ? Chaque matin, au réveil, nous allions, par groupe de deux ou trois, faire notre toilette matinale à un endroit approprié de la rivière, à 200 mètres environ du camp. Ce jour là, les deux fuyards, en intelligence certainement, se levèrent plutôt que d’habitude et partirent, apparemment, faire leur toilette. Cela intrigua les deux camarades de garde qui les suivirent cinq minutes après. Ils ne trouvèrent que leurs boîtes de savon déposées sur la berge. Comme c’était en période de hautes herbes vertes et de rosée les camarades remarquèrent leurs traces indiquant leur fuite certaine. Il nous était possible de les poursuivre et les rattraper pour les ramener au camp. Mais, nous avions préféré les laisser partir et faire face aux conséquences de leur fuite que de les avoir parmi nous contre leur volonté. Parce que nous comprenions qu’ils  étaient venus nous joindre avec la conviction de répondre à une tâche du parti.

 

Alors, je commençais à changer d’opinion sur la qualité de nos nouvelles recrues. Car, à l’époque, il était de mode dans le parti, notamment chez les jeunes, de répondre aux offres de bourses d’études ou de vacances dans les anciens pays socialistes, surtout en Union Soviétique. La plupart de ces nouvelles recrues pensaient à ces possibilités. La suite me confirmera. Malgré tout, cette fuite des deux recrues n’avait nullement affecté le moral des camarades. Nous restions sereins pour continuer le travail. Mais, il nous fallait tenir compte de leur disparition qui certainement ne manquerait pas d’alerter et d’orienter les forces de police et militaire en notre direction.

 

En conséquence, nous décidâmes de changer de camp d’autant que l’essentiel du travail était fait dans cette zone. Notre choix se porta sur les rives de la rivière Thiokoye, un autre affluent du fleuve Gambie, une zone située à cent (100) kilomètres de là, tout à fait à l’opposé. Après étude sur la carte des itinéraires à emprunter et des étapes à marquer, nous levâmes le camp dans la nuit du 31 décembre 1964 pour les rives de la rivière Thiokoye. Ceci, après un séjour de deux mois dans «le camp de la biche» : novembre et décembre 1964.

SUR LES RIVES DE LA  RIVIERE THIOKOYE

 

Sur notre itinéraire en direction des bordures de la rivière Thiokoye la traversée du fleuve Gambie (appelée au Gnokholo « Houtaba », signifiant fleuve du Fouta- Diallon parce qu’il y prend sa source et vient de là) se fit à gué à Tambanoumouya, à 5km dudit village. Le courant était très fort en cet endroit à cette époque et nous avons failli y perdre le camarade, Tidiane SY nouvellement recruté. Alors, je me rendis compte que ce camarade, non seulement ne savait pas nager, mais était faible physiquement malgré sa grande corpulence.

 

La rivière Thiokoye traverse de vastes étendues de rizières de 3 à 6km de part et d’autre de son lit. Au-delà, s’élèvent des chaînes de collines de 100 à 300m d’altitude. Nous nous sommes installés sur la crête militaire de l’une de ces collines sur la rive gauche de la dite rivière. De là, nous dominions de vastes plaines d’où nous observions, à l’œil nu, sur plusieurs centaines de mètres, des animaux en déplacement : des troupeaux de biches, d’antilopes, de singes, etc.….

 

Les sommets de ces collines portent souvent de vastes clairières pouvant servir d'aérodromes naturels. Ainsi, nous avons trouvé dans cette zone des terrains parfaits pour les réceptions aériennes. Il faut signaler que la rivière Thiokoye est riche en poissons et en tortues d’eau douce. C’est dire que le poisson et la viande ne nous manquaient pas. La brousse en cet endroit était également riche en fruits et tubercules sauvages comestibles. Ainsi, en cas d’impossibilité de ravitaillement en vivres céréalières nous pouvions tenir longtemps.

 

Dans ce campement sur les rives de la Thiokoye, j’avais procédé à la structuration du groupe pour la responsabilisation des camarades qui pouvaient se faire aider par des camarades de leur choix dans l’exécution des tâches. Il s’agissait de :

- Fily DIALLO dit Lary GASSY adjoint au commandant Alphonse, responsable des liaisons,

- Bara HANNE, conseiller du commandant, responsable de l’information politique et sociale,

- Lamine WONE, responsable du camp,

- Sapir DIOP, Responsable de la formation des nouvelles recrues,

- Baba DIOP, Responsable du matériel,

- Assane DIAO, envoyé s’installer à Cotiary, dans le Boundou, comme observateur et collecteur de renseignements sur les mouvements de l’armée régulière et sur son armement  et pour servir aussi de source de ravitaillement, comme tenancier de stocks de vivres dans cette partie de la zone.

 

La première tâche dans ce campement consistait à organiser les liaisons avec les camarades des villages de la zone. A cet effet, dés les premiers jours, j’entrepris  en leur direction une mission de contacts, avec le capitaine Lary GASSY. Il s’agissait surtout de le présenter physiquement aux responsables du parti de la localité, car il n’était pas connu des camarades. Pour ces raisons, il passait inaperçu et la communication avec les villageois ne posait pas de problème, d’autant qu’il parlait la langue locale. Il devait se faire passer pour un dioula et à cet effet il portait sur son vélo un petit panier de kola. Par contre, moi, j’étais de la région et j’étais connu. Mon apparition publique pouvait provoquer des attroupements et alerter l’ennemi sur notre présence. J’étais donc obligé de me cacher chez des camarades de confiance. Ainsi nous avons été à Oussounkala, Baraboye, Bagnoun et Bantata.

 

Nous arrivâmes dans le premier village à midi et nous rentrâmes dans la première maison dont le chef de village s’appelait SADIO KEITA. Ce fut là, où on nous  logea dans une case, où on nous donna à manger et de l’eau à boire.  Après quoi, mon compagnon alla présenter sa marchandise à la place. Il y trouva des vieux habitants du village et une colonne de l’armée sénégalaise en exercice de manœuvres. Il bavarda avec les gens, ainsi qu’avec le chef militaire et vint m’informer de cette rencontre insolite. Après échanges, tout semble indiquer que c’était une rencontre fortuite. Une demi-heure après, les militaires rentrèrent sur Kédougou, leur base. Au petit soir, nous continuâmes notre route pour arriver la nuit dans les autres villages ciblés.

 

Dans les premiers villages la méthode de contact se faisait comme suit : mon compagnon entrait dans le village, s’informait, prenait contact avec les camarades qui nous intéressaient et me les amenait discrètement derrière le village pour me les présenter et m’entretenir avec eux sur les tâches que nous entendions leur confier. Ces tâches étaient accompagnées de recommandations sur la discrétion  et la vigilance.

 

Nous sommes arrivés au petit matin à Bantata, mon village natal. Comme convenu, le camarade Fily DIALLO était libre de son mouvement et facilement il intégrait les villageois notamment ses camarades de classe d’âge du village avec lesquels il faisait tout ensemble : salutation, promenade dans le village, repas pris ensemble, etc. Moi j’étais caché chez le camarade Diéry CAMARA, un camarade de Médioucounda. Nous avons passé deux nuits et deux jours à Bantata. Tard dans la nuit, je rendais visite à ma mère dans sa case et en sa compagnie, je trouvais ma sœur Macou CAMARA et mon frère Moussa CAMARA, chef de la famille. Ils m’informèrent des naissances, mariages et décès intervenus dans la famille mais aussi dans les autres familles de même clan Diandian-Counda à travers le Gnokholo.

 

Dans chaque village du Gnokholo se trouve une famille de notre clan. De mon côté, je leur expliquai notre projet de lutte contre le pouvoir en place et les colonisateurs français, la nécessité d’un tel sacrifice avec, comme exemple Samory TOURE, Alpha Yaya DIALLO, Moussa MOLO, etc. Ils enregistraient mes propos. En réponse ils reprenaient une des valeurs de la culture mandinka que voici : «comme tu n’es pas seul, tu es avec d’autres personnes comme toi, faites de chair et d’os, si tu n’es pas le premier, ne sois pas le dernier; Il n’y a pas de grands hommes sans sacrifice ; Seuls sont capables de sacrifice les grands hommes d’autant que toi-même tu le veux ». Je leur avais donné aussi des recommandations de ne dire que ce qu’ils savaient et de se méfier des personnes qu’ils ne connaissaient pas et qui se feraient passer pour des amis à moi.

 

Le séjour à Bantata m’a fait connaître vraiment les défauts de nos sociétés paysannes : absence totale de discrétion, de secret ; contrairement à l’idée que je me faisais, chacun disait à son ami ce qu’il savait.

 

La case à Bantata où j'ai séjourné clandestinement pendant quelques jours de janvier 1965 lors des préparatifs du maquis. Devant la porte : Diéry CAMARA, responsable du Parti.

 

Ainsi, tout le monde dans le village savait ma présence et connaissait où je me trouvais : j’avais su cela grâce au camarade Fily DIALLO qui se trouvait parmi eux et en présence de qui il parlait sans précaution. Alors je savais désormais à quoi m’en tenir dans ces milieux : ne jamais me faire voir, ni jamais résider dans un village après entretien. A Bantata, nous avons mis au point des structures de renseignement, des structures de ravitaillement et de liaisons impersonnelles. Après mon séjour de deux jours, nous regagnâmes notre base sur la rivière Thiokoye sans incident.

 

Comme rapporté plus haut, quand nous quittâmes Bamako, il était convenu avec le camarade Majmout DIOP de leur envoyer un émissaire pour leur faire un premier rapport sur notre situation et nos activités, notamment sur les possibilités de réceptions aériennes. J'avais envoyé le camarade Fily DIALLO à Bamako. Auparavant nous avions mis au point, de manière minutieuse, des modalités de contact à son retour : méthode de liaison dite impersonnelle. En attendant le retour du capitaine Lary GASSY, la vie de la base avait consisté à la formation et à l’entraînement des nouvelles recrues. La reconnaissance du terrain, l’aménagement de caches et la localisation des lieux de réceptions aériennes et l’élaboration de leurs plans. Dans ce camp, le camarade Madior Bouna NIANG avait fait  sa première et dernière crise d’asthme durant toute la période vécue ensemble, pendant trois ans, de décembre 1964 au 7 février 1967. Alors il est probable que l’activité physique intense ait un effet positif sur la guérison de l’asthme. Voilà une piste de recherche pour les médecins chercheurs. D’après les camarades cubains, ce fut le cas du guérillero légendaire, le combattant internationaliste latino–américain Ché Guévara.

 

Lors d’une mission de chasse de nuit dans le même camp sur les bords de la Thiokoye, j’avais tué par mégarde un petite antilope de moins d’une semaine « bébé ». Selon les présages en pays malinké du Gnokholo, c’était là un signe de mauvais augure. Je ne m’étais pas attardé sur ce présage car je n’y croyais pas trop, mais il s’est vérifié par la suite. En prévision du retour du camarade Fily DIALLO de Bamako, nous levâmes le premier camp sur la Thiokoye pour nous porter plus loin, sur son cours supérieur, dans les environs de la route de Ndébou-Salémata. Comme prévu, nous reçûmes le camarade dans ce camp. Il nous apporta des informations de la direction, une machine à écrire et une ronéo de maniement très simple, d’origine chinoise ou vietnamienne en vente dans les magasins de Bamako.

 

Comme document de la direction, il s’agissait des résolutions de la 24e session du Comité Central tenue à Bamako en novembre 1964. Entre autres décisions, cette session reconnut l’erreur qui a consisté à avoir une attitude passive face aux événements  de décembre 1962. Elle fit obligation au parti de prendre en charge la défense du Président Mamadou DIA et de ses compagnons et les victimes de la répression senghorienne, de rechercher avec eux les bases d’une alliance pour la restauration des libertés démocratiques. En plus, la session avait pris comme mesure l’interdiction aux responsables du parti la consommation de l’alcool en public  et d’avoir des attitudes susceptibles de heurter la conscience des croyants. Ce fut au cours de cette session que le SEPO (Secrétariat Exécutif Politique), par la voix du 1er Secrétaire, Majhmout DIOP, porta à la connaissance des participants la formation militaire de cadres du parti et de l’ouverture de maquis au Sénégal-Oriental et en Casamance leur demanda d’entériner l’initiative. Ce qui fut fait à la majorité de l’assistance.

 

Nous disons bien à la majorité de l’assistance, parce que plus tard, le camarade Amath DANSOKHO nous dira qu’il avait récusé l’initiative estimant que les conditions n’étaient pas réunies et que le Comité Central avait été mis devant le fait accompli ,et en conséquence la considérait antidémocratique. C’est dire que la décision de tentative de lutte armée en 1965 contre le régime de Senghor était bel et bien une décision des instances du SEPO et du CC. du PAI. Aujourd’hui encore, nous autres, demeurons convaincus de la justesse de la décision de lutte armée, car le parti n’avait pas d’autre choix dans les conditions de l’époque.

 

Le camarade Fily DIALLO porta à ma connaissance la présence suspecte qu’il avait observée sur la frontière avec le Mali et des villages qu’il avait traversés durant son voyage de retour de Bamako : présence massive des colonnes de l’armée régulière et d’agents de services de renseignements dans les villages traversés. Dans les environs de Bantata, il rencontra fortuitement un groupe de militaires dans une voiture. Ils l’arrêtèrent et l'interrogèrent sur son identité et sa nationalité et l'embarquèrent dans leur véhicule jusqu’à Bantata. Là, les villageois témoignèrent le connaître et qu’il était des leurs. A la suite de quoi, ils le libérèrent. Plus tard, ils sauront la vérité et reviendront punir les populations.

 

Le retour du camarade parmi nous, les informations et le matériel qu’il avait rapportés avaient revigoré les camarades. Ils se sentaient liés à l’Etat-major du parti. Personnellement j’étais resté sur ma faim car il n’y avait aucune réponse à la question principale : comment, quand et où nous allions recevoir les armes. J’accordais la plus grande importance à la solution de cette question de laquelle dépendait notre survie et le succès de notre lutte. J’étais très confiant et j’avais la certitude qu’une fois armés, nous saurions survivre, nous développer et vaincre l’armée sénégalaise et son encadrement français. J’avais deux hommes aussi confiants que moi, maîtres de leurs nerfs, très capables militairement : Fily DIALLO et Bara HANNE, tous deux physiquement et moralement endurants. En effet, le facteur décisif dans une guerre est l’homme et non le matériel. Cela est confirmé au Vietnam où des militaires en civil, en samara  comme on disait, ont battu des armées classiques conduites par des généraux sortis des instituts et académies militaires des pays développés. Oui, nous étions prêts au sacrifice suprême pour l’indépendance nationale et la démocratie à l’image de nos héros de la résistance anticolonialiste. Alors je décidais de parachever le travail sur le terrain et d’aller moi-même à Bamako traiter de cette question avec les camarades de la direction. Nous quittâmes la zone des rives de la rivière Thiokoye pour une autre : celle des collines et des vallées, à 50 km de là.

 

 

 



14/09/2017
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