Briser le piège de la bipolarisation politique : De l’hégémonie de la Social – Démocratie et du libéralisme au rôle dirigeant de la Gauche dans le Mouvement National !
Ce texte date de février 1989 et n’a circulé à l’époque que parmi les militants, collaborateurs et sympathisants de FERNENT/L’Etincelle. Il est revu et corrigé sur la forme, mais garde intact l’essentiel. Le besoin de le publier aujourd’hui provient de la confusion dangereuse et des « liaisons dangereuses » qui se nouent dans le débat actuel sur l’unification de la gauche.
Toute sorte de charlatans sociaux démocrates, qui ont durant 40 ans servi loyalement l’impérialisme et leur propre intérêt de classe bourgeois, feignent de découvrir brusquement maintenant, à la faveur de leur expulsion par le peuple du pouvoir en mars 2000, qu’ils « appartiennent à la famille de gauche ». Cette monumentale escroquerie politique et morale est le piège qui est tendu aux éléments militants de la gauche historique marxiste léniniste pour les garder alignés derrière les nouveaux bourgeois dirigeants de And Jëf, de la LD/MPT empêtrés dans les fauteuils douillets de la bourgeoisie libérale prédatrice du monarque président A. Wade et derrière la social démocratie PS, AFP, CPC revancharde qui rêve d’un retour au pouvoir.
En effet, même si nous pensons que certains militants sincères sont trompés, force est de constater comme notre camarade Ababacar Fall-Barros qu’il y a « des ‘casques bleus’ au MAG pour sauver les ‘Damels de la Gauche’ ». Nous sommes assez d’accord avec Barka Ba qui déclare que « les bons samaritains du MAG (Mouvement des Assises de la gauche) se sont fixés un objectif humanitaire salutaire et téméraire : sauver les soldats Bathily et Landing embourbés jusqu’au cou dans le marécage libéral ». Sauf que la mission des « soldats Landing et Bathily » a été décidée par eux mêmes (leur poche), pour eux-mêmes (leur carrière) sans et contre les travailleurs et le peuple. Sauf que ces prétendus dirigeants de la gauche ont une « dette », parfois de sang vis-à-vis des militants révolutionnaires anti-impérialistes qui ont tout sacrifié pour que vive une vraie gauche révolutionnaire anti-impérialiste au Sénégal. Ces militants, abandonnés à eux-mêmes, survivent aujourd’hui dans des conditions que nous préférons taire par décence pour leur dignité d’humains.
Cette contribution, qui date de 1989, décrit en fait le processus qui a conduit à l’impasse actuelle dans laquelle certains, au nom d’une « utopie » qu’ils définissent pompeusement de « réalisme », veulent dévoyer le processus de recherche d’une véritable et sérieuse alternative révolutionnaire et anti-impérialiste dans le marais opportuniste et capitulard dans lequel baigne ceux qui ont pris fait et cause pour l’oppression impérialiste en monnayant leur engagement d’antan contre les délices d’une bourgeoisie compradore qui a jeté par dessus bord l’indépendance et la souveraineté nationales.
Fodé Roland Diagne
L’épisode récent des luttes populaires et politiques électorales et post-électorales pose la question décisive de la direction du mouvement national contre le pouvoir semi-colonial.
L’attitude capitularde du PDS, du PIT et de la LD/MPT devant les manœuvres du régime PS pour se sortir d’affaire à travers « la table ronde », pose la question de la direction du mouvement des masses.
Il s’agit là de la question de l’alternative à édifier contre la mainmise des libéraux flanqués des réformistes sur l’opposition. Il s’agit de construire ainsi une direction solide des luttes politiques, sociales et économiques de la classe ouvrière, de la paysannerie et de la démocratie populaire.
L’HEGEMONIE DE LA BOURGEOISIE COMPRADORE SERT L’OPPRESSION IMPERIALISTE !
L’histoire du mouvement national et populaire africain est celle de la domination des forces de droite. A l’époque coloniale, le RDA, un front des classes nationales, a incarné un moment les aspirations de liberté des peuples africains. Il a été dévié de son objectif de départ, indépendantiste panafricain, sous l’effort conjugué des impérialistes français et des éléments bourgeois compradores droitiers qui dirigeaient les luttes pour l’indépendance. Dès 1950, Houphouët Boigny mettait fin à l’alliance d’une partie de la bourgeoisie radicale africaine panafricaniste avec le Parti Communiste Français (PCF) au profit de la balkanisation au nom du slogan « la Côte d’Ivoire n’est pas la vache laitière de l’Afrique ». C’était là un coup de barre en direction du plan impérialiste qui divisait l’Afrique.
Les bourgeois et petits bourgeois panafricains au sein du RDA sont tous objectivement tombés dans le piège de la division en acceptant la « loi cadre » de Mitterrand/Deferre/Houphouët/Senghor qui instituait « l’autonomie interne ». Les dirigeants panafricains (Sékou Touré, Modibo Keita, Ouezzin Coulibaly, etc) s’adaptèrent à cette division pour « gouverner » dans le cadre de « l’autonomie interne » les territoires de l’AOF ainsi balkanisés.
L’Etat multinational (certains disent multiethnique), dont les frontières ont été tracées par le colonisateur, a été ainsi substitué au projet d’indépendance dans l’unité du Congrès de Bamako, fondateur du RDA en octobre 1946.
L’attraction de l’Etat multinational a été plus forte que l’unité panafricaine parce que justement la bourgeoisie et la petite bourgeoisie aspiraient aussi à la possession de «son» Etat.
Le référendum sur la « communauté française » ou l’indépendance en 1958 confirma la poussée des forces du nationalisme bourgeois réformiste en ce sens que l’écrasante majorité des élites politiques africaines, à l’exception de la Guinée, adopta la position impérialiste de « l’union française ». L’expérience de l’implosion orchestrée de la « Fédération du Mali » est aussi le prolongement des abandons successifs des positions panafricaines unitaires.
Les luttes ascendantes des peuples africains, politiquement dirigées par les bourgeoisies et les élites petites bourgeoises intellectuelles africaines, ont été canalisées vers la balkanisation par l’impérialisme lui même.
La scission du RDA en partis territoriaux, préfiguration des Etats multinationaux émiettés, en est une illustration concrète. Le PRA, puis le PAI, premier parti ouvrier marxiste-léniniste africain, ont aussi suivi la désastreuse trajectoire d’éclatement territorial de leur prédécesseur le RDA qui, lui, était un front organique de toutes les classes sociales africaines pour l’indépendance.
La montée en puissance des luttes ouvrières (grève des cheminots de 1947) et paysannes, des revendications des soldats « tirailleurs » démobilisés de la grande guerre mondiale antifasciste, le soutien indéfectible du camp socialiste dirigé par l’URSS aux revendications d’indépendance et de souveraineté nationales, le déclenchement des insurrections nationales d’Indochine, de Corée, de Madagascar, d’Algérie et du Cameroun et les révolutions démocratiques anti-impérialistes en Chine et à Cuba sont les facteurs décisifs du contexte et des enjeux entre forces révolutionnaires panafricaines et forces réformistes balkanisatrices.
Développant une duplicité de classe, les bourgeoisies nationales des pays du «tiers monde», instrumentalisées par les agents de l’impérialisme occidental comme Tito, ont agité le « non alignement » à la conférence de Bandoeng en 1955. Cette prétendue « neutralité » était l’expression d’une volonté des bourgeoisies nationales d’utiliser les contradictions entre le camp socialiste et capitaliste pour échapper jusqu’à un certain point au diktat impérialiste, mais était aussi une politique de classe dans chaque pays concernés pour contrer les luttes du prolétariat et de la paysannerie pour le prise du pouvoir.
Bandoeng comporte donc un double aspect à la fois positif du point de vue de l’anti-impérialisme tiers-mondiste et négatif parce que instrumentalisé par l’impérialisme et certaines bourgeoisies nationales contre le camp socialiste. Ce prétendu « neutralisme » a finalement participé ainsi au processus contre-révolutionnaire qui a débouché sur la défaite du camp socialiste, du prolétariat et des peuples opprimés.
C’est contre cet aspect qu’une fois épuisée les conditions qui lui ont donné naissance, les éléments les plus révolutionnaires ont lancé l’expérience de la Tricontinentale qui fut importante, notamment, pour les luttes de libérations armées des colonies portugaises en Afrique.
CONFUSION HISTORIQUE ENTRE NATURE DE CLASSE DU PARTI ET FRONT OU ALLIANCE DE CLASSE
Plus près de nous au Sénégal, le Rassemblement National Démocratique (RND) de feu Cheikh Anta Diop regroupait, à la différence du RDA et du PAI qui étaient formés de sections territoriales, des militants individuels de toutes idéologies, de toutes tendances politiques et son programme était un agrégat reflétant cette diversité politique.
Les éléments de gauche n’avaient qu’une influence périphérique et insignifiante parce que dilués dans ce magma politique informe. Disséminés dans la masse des adhérents nombreux, la jeunesse révolutionnaire au sein du RND réalisa un travail important d’organisation des masses que la direction va saboter dès qu’apparurent des conditions nouvelles liées à l’avènement d’Abdou Diouf succédant à Senghor.
L’extension du « multipartisme limité », tactique mise en place par Senghor pour contrer à la fois le parti historique de la gauche le PAI-Sénégal et ses démembrements LD/MPT, And Jëf et le RND, au « multipartisme intégral », a été décisive dans la bipolarisation électorale monopolisée de la scène politique.
Un des facteurs sans conteste du succès important du RND fut l’interdit que faisait peser Senghor sur le parti de feu le savant égyptologue Cheikh Anta Diop. Les combats acharnés du RND pour obtenir sa reconnaissance légale et le travail des militants de gauche du RND au sein des masses populaires et paysannes expliquent la relative grande influence du RND dans la période 1975/1980.
Le succès relatif et bref du RND est aussi en partie lié à la stature internationale de savant égyptologue de Cheikh Anta Diop et à ses travaux de décolonisation de l’histoire africaine. L’opposition historique sur les questions culturelles (assimilation déracinement, colonialisme culturel) et raciales entre le Président L.S. Senghor et Cheikh Anta Diop se traduisait ainsi sur le terrain politique. Senghor, partisan de la « mission civilisatrice » du colonialisme, bloque délibérément la reconnaissance légale du parti de Cheikh Anta Diop et l’empêche ainsi de « troubler » le face à face électoral Senghor/Wade de 1978, date de la percée politique du « parti de contribution » le PDS d’Abdoulaye Wade.
Les facteurs qui ont entre autres fait éclater au grand jour la nature contradictoire de la composition sociale et politique du RND sont : l’avènement du « multipartisme intégral » qui a reconnu l’existence légale du RND et de tous les partis historiques de la gauche, le départ de Senghor, « l’état de grâce » dont bénéficia dans un premier temps le nouveau président Abdou Diouf, notamment par l’élimination politique de la « vieille garde » senghorienne.
Une fois le réaménagement politique opéré par la « grâce » de l’article 35 qui mit le premier ministre Abdou Diouf au pouvoir, le « multipartisme intégral » a fait le reste : L’influence et le grand travail organisationnel des militants du RND, notamment de gauche, se sont écroulés comme un château de cartes.
Cette période est aussi celle du lancement du mouvement culturel patriotique et populaire. Des associations culturelles et sportives de quartiers et de villages pullulent et s’emparent de toute une génération de jeunes. Mouvement fortement politisé parce qu’initié par les éléments de gauche de And Jëf, du RND, de la LD/MPT, du PIT. Le « multipartisme limité puis intégral » sont des conquêtes démocratiques des luttes du peuple et des forces de la gauche historique. Ces partis vont substituer à leur qualification de la nature « dictatoriale, fascisante du régime néocolonial de Senghor » une nouvelle vision apologétique du « multipartisme intégral » en se lança à corps perdu dans l’électoralisme derrière le PDS progressivement érigé en « chef de l’opposition ».
Cette période est enfin celle des premiers pas du mouvement syndical autonome opposé au syndicalisme de « participation responsable » qui inféode le mouvement ouvrier au pouvoir PS.
C’est donc ce contexte de discrédit et d’affaiblissement du senghorisme, révélés par les élections de 1978, qui a été le prélude de la bipolarisation de la scène politique entre les sociaux-démocrates et les libéraux.
A l’origine du RND, il y a les « maoïstes » ou « pro-chinois » de la première heure. Ces militants – Tidiane Baïdy Ly, Babacar Niang, Seyni Niang, etc. - sont issus du PAI traversé dans les années 60/63 par la secousse du « schisme sino-soviétique » et des débats sur le lien entre le « front » et « le parti ».
Après une première tentative de mettre en place une alliance des partis et organisations clandestins de la gauche sous forme de « kuomintang » local, ils finirent par initier un composite hétéroclite de militants individuels, non organiquement organisés et dotés d’un programme qui amalgame « socialisme », « nationalisme », « populisme », « panafricanisme », « libéralisme », « travaillisme » et « conservatisme ».
Ce magma militant politiquement hétérogène rassemblé autour d’un programme aussi fourre tout devait déboucher sur l’éclatement que plusieurs forces de gauche avaient prédit.
Le PDS pouvait s’imposer à l’opposition dans son ensemble comme le parti hégémonique. La machine du monopole de la bipolarisation de la vie politique sénégalaise a été ainsi mise en place par le PS sous Senghor et sous A. Diouf.
BIPOLARISATION DE LA VIE POLITIQUE ENTRE SOCIAL-DEMOCRATIE ET LIBERALISME !
Depuis 1981/83, l’opposition est dominée par le parti libéral de « contribution » le PDS d’Abdoulaye Wade. Ce dernier allie radicalisme verbal populiste circonstanciel aux aplatissements sans vergogne devant le régime semi-colonial PS, surtout dans les moments décisifs des luttes populaires et démocratiques.
Les libéraux manquent de « cadres, d’intellectuels » dont ils disent « qu’ils sont tous au PS ». C’est une des raisons de l’envoi de son directeur de campagne lors des élections de février 1988, aux USA pour « compléter ses études ». Cette situation est une des motivations de l’alliance, apparemment contre nature entre le PDS libéral et les partis marxistes du PIT et de la LD/MPT. Mais il n’y a pas que cela, car ces deux partis marxistes abandonnent en fait la voie révolutionnaire de la prise du pouvoir pour un électoralisme droitier en se mettant à la remorque des libéraux.
Alors qu’au mois d’août 1988, les luttes ouvrières et populaires se développaient dans plusieurs secteurs avec les grèves du SUTSAS dans la santé, des ouvriers de la chaussure à BATA, du textile à la STS, à l’éducation nationale, des étudiants et élèves, etc, le PIT organisait une conférence au relais Route de Ouakam sur le thème « bilan de la politique économique et sociale du pouvoir et alternative du PIT ».
Le PIT ramenait dans sa nouvelle lecture la politique gouvernementale antipopulaire à une question de « mauvaise gestion » et de « mauvaise volonté ». Le PIT s’est engagé à ne « rembourser que les dettes régulières (sic !) », à exiger « des périodes plus longues de remboursement de la dette régulière » et a demandé une baisse des intérêts pour ramener la « dette à des proportions supportables par le pays ». Il s’agit de « maîtriser notre propre capacité d’endettement », car voyez vous comme le dit l’intellectuel de gauche Amady Ali Dieng il n’y a pas « d’alternative à la Banque Mondiale, mais il n’y a qu’une alternative de gestion » au diktat des institutions de Bretton Woods. Le PIT préconise ainsi de substituer à la dépendance unilatérale du Sénégal « la maîtrise de nos alliances internationales ». La dite « maîtrise de nos alliances internationales » pour le PIT, c’est la diversification des « échanges « incluant Moscou », ce que l’allié libéral PDS ne peut accepter. Malgré cette divergence les bases d’une alliance/soumission du PIT au PDS sont ainsi jetées clairement.
Cette convergence grandissante au plan programmatique entre marxistes et libéraux est possible parce que le PIT abandonne la voie révolutionnaire de prise du pouvoir, l’option de la prise du pouvoir par le peuple et pour le peuple, renie la ligne, comme le dit Karl Marx, de « l’émancipation des travailleurs œuvre des travailleurs eux mêmes ».
Dans « La Nouvelle Revue Internationale » de juillet 1988, sous la plume de Magatte Thiam, membre du Comité Central et du Bureau Politique du PIT, l’on peut lire la ligne réformiste d’avant – garde préconisée au Sénégal : « La participation aux élections est une composante organique de notre stratégie de conquête démocratique du pouvoir ».
Magatte Thiam reconnaît une « limite objective (et pourquoi pas subjective) de cette stratégie (…), c’est que la bourgeoisie bureaucratique au pouvoir est incapable de jouer pleinement le jeu démocratique ». A cette nature objectivement anti-démocratique du régime PS, le PIT ajoute comme autre « limite » à sa stratégie réformiste électoraliste, le fait que « le pouvoir utilise le retard culturel des masses, leur manque d’expérience politique » (idem).
Magatte Thiam poursuit son explication du tournant électoraliste du PIT et de ses déconvenues électorales : « parfois les électeurs illettrés sont dans l’incapacité de savoir ce que c’est que le sigle d’un parti. Le retard empêche souvent les masses de comprendre l’importance des élections (de nombreux ouvriers et paysans n’y participent pas tout simplement) et la subtilité du vote, lorsqu’il y a des mots d’ordres complexes » (idem).
Tout le monde remarquera la « subtilité » du mépris de l’intellectuel petit bourgeois pour « les illettrés et le retard culturel des masses » ainsi rendus responsables de l’abandon de la voie révolutionnaire et des défaites électorales du PIT. En effet, selon Magatte Thiam, les masses sont à l’origine des échecs électoraux de « la stratégie de conquête démocratique du pouvoir » du PIT.
Poser la question du pouvoir, la question fondamentale de toute révolution, uniquement sous l’angle électoral est le pêché originel du révisionnisme moderne qui consiste en réalité à ériger une mythique « muraille de chine » infranchissable entre lutte électorale et luttes ouvrières et populaires.
Quelle est la place des luttes ouvrières, paysannes, populaires et démocratiques dans la stratégie de prise du pouvoir ? Quel rapport y a t-il entre ces luttes et les élections ? Quel objectif immédiat s’assigne le parti en s’engageant dans les élections ?
Pour les révolutionnaires marxistes, à ne pas confondre avec les anarchistes, la participation aux élections est forcément liée à ces questions fondamentales et aux luttes revendicatives et politiques des classes populaires. Il ne peut exister d’opposition entre participation aux élections et luttes du peuple.
En fait la lutte électorale est une des formes possibles de la lutte politique, rattachée aux multiples autres formes de lutte de classe. En général, c’est une forme subordonnée aux autres formes révolutionnaires de lutte de classe. C’est l’impact de l’implication, de l’aide et du travail d’organisation du parti révolutionnaire dans les luttes quotidiennes des masses, qui est mesuré lors des élections. Les élections, enseigne F. Engels, mesurent le niveau de conscience du moment de la classe ouvrière.
Il est tout simplement significatif que le PIT « pleurniche » sur « l’incapacité du PS de jouer le jeu démocratique ». Justement la mobilisation des luttes démocratiques et sociales des masses par le parti, est la voie sûre des conquêtes démocratiques et sociales. La démocratie se conquiert et se consolide, elle ne s’octroie pas, ni ne se quémande.
Cette logique réformiste conduit tout droit le PIT à « théoriser » l’alliance stratégique avec le PDS libéral dans le cadre de sa « stratégie de conquête démocratique du pouvoir ». Magatte Thiam fait de « l’ignorance des masses » le bouc émissaire commode de l’assujettissement au PDS de son parti le PIT : « En 1983, tout en présentant notre liste en tant que parti aux législatives, nous avons appelé à voter à l’élection présidentielle pour le candidat du PDS, A. Wade. Pour beaucoup de gens c’était difficile à comprendre. Certains électeurs ont voté PDS dans les deux cas, pensant suivre le mot d’ordre de notre parti » (idem).
Magatte Thiam met sur le compte des masses les fautes stratégiques du PIT, dont l’alignement servile derrière le chef libéral, populiste et démagogue A. Wade, amène tout simplement les électeurs à prendre au mot le PIT en « votant utile » au profit du PDS. Magatte Thiam confirme la confusion qu’induit sa stratégie opportuniste au sein des masses populaires en disant « bien entendu, nous comptions aussi œuvrer de toutes nos forces à la victoire, à l’élection présidentielle, du candidat A. Wade (dont le soutien par les secteurs les plus significatifs n’était rien d’autre que la confirmation de la justesse d’une analyse que nous avons été pendant longtemps le seul parti à faire » (idem).
INTEGRATION DE LA GAUCHE MARXISTE DANS LE SYSTEME DE LA BIPOLARISATION POLITIQUE
Cette ligne d’alliance stratégique électoraliste avec le PDS libéral est non seulement suscitée, mais aussi utilisée par le régime PS et A. Diouf pour casser les luttes populaires et démocratiques. L’expérience récente de la « table ronde » organisée par le président A. Diouf, à laquelle cette alliance s’est ralliée, en est une illustration.
Magatte Thiam révèle cela dans la même revue révisionniste internationale quand il déclare que le PIT a participé aux élections de février 1988 « sans illusion » sur « l’aptitude de la bourgeoisie bureaucratique au pouvoir à se plier loyalement aux procédures démocratiques, ni même sur la possibilité pour elle d’accepter de voir des représentants authentiques des travailleurs siéger à l’Assemblée nationale » (idem). Il ajoute cet aveu de taille sur les fréquentations des couloirs du pouvoir semi-colonial PS par le PIT: « Sur ce dernier point, nous étions d’ailleurs fixés bien avant les élections. Par divers canaux (!!!? sic !), le pouvoir nous avait déjà laissé entendre que, comme en 1983, il nous ferait payer très cher notre soutien à A. Wade et notre ferme alliance avec son parti, le PDS, principale formation de l’opposition » (idem).
Magatte Thiam touche du doigt sans s’en rendre compte le piège de la bipolarisation politique orchestrée par le régime PS dans le dessein de soumettre la gauche à la droite comme soupape de sécurité : « la presse locale a même révélé une réunion secrète (sic !) des principaux responsables du régime autour du président de la République pour fixer arbitrairement les quotas de place à l’Assemblée qui seraient accordés aux différents partis de l’opposition. Il a été décidé lors de cette réunion que seul notre parti serait écarté de l’Assemblée Nationale » (idem).
Magatte Thiam a déjà « oublié » qu’il expliquait plus tôt les échecs électoraux du PIT par « l’inaptitude à être loyal du pouvoir bureaucratique », par « l’ignorance et le retard culturel des masses » et enfin par « la confusion chez les masses entre l’appel au vote PIT aux législatives et au vote PDS à la présidentielle ».
En fait, tout cela n’est que prétexte pour couvrir la mutation du révisionnisme théorique en réformisme électoraliste par la soumission des partis de la gauche historique au PDS ainsi consacré par le PS lui même « formation principale de l’opposition ». A. Diouf, en bon stratège, a besoin de « détourner les votes au profit du PS et au sien propre, mais aussi au profit des partis de l’opposition dont il veut artificiellement entretenir la crédibilité « (idem) commente le marxiste Magatte Thiam, lequel est totalement prisonnier du rôle hégémonique que fait jouer le PS au PDS « parti de contribution ».
N’est-ce pas là l’explication du fait qu’avant qu’il ne libère Wade, Dansokho et Bathily de prison, A. Diouf a concocté avec eux l’idée de la fameuse « table ronde » ? Leur arrestation au lendemain des élections était partie prenante de la répression de la révolte populaire contre les fraudes électorales. Cette mise en liberté, que « certains observateurs ont interprété comme un signe d’apaisement du pouvoir à notre égard » selon les propres mots de Magatte Thiam, est en réalité le résultat de la situation explosive persistante, avec la poursuite de la mobilisation populaire d’abord contre les fraudes électorales et ensuite pour la libération des leaders emprisonnés.
Magatte Thiam avoue lui même que la « table ronde » est le fruit pourri du complot du PS et du PDS, flanqués de ses alliés PIT et LD/MPT, qui couvait derrière le vernis répressif contre la contestation populaire : « d’ailleurs, aujourd’hui la question de l’intégration des communistes dans une solution nationale à la crise actuelle n’est plus une simple hypothèse d’école depuis qu’elle a été envisagée expressément lors d’une réunion du Comité Central du PS. Des voix se sont levées pour demander au parti au pouvoir de trouver le moyen de nouer le dialogue avec les marxistes et, pourquoi pas, de considérer la possibilité de leur faire une place dans un éventuel gouvernement d’union nationale » (idem).
CONSTRUIRE L’ALTERNATIVE DE GAUCHE A L’HEGEMONIE DES LIBERAUX ET A LA DOMINATION DES SOCIAUX DEMOCRATES
La droite libérale, représentant des sections de la bourgeoisie nationale exclues du pouvoir, utilise la démagogie populiste pour subjuguer et se soumettre l’ensemble des classes sociales intéressées à la lutte anti-impérialiste. Il doit être dit franchement et clairement que la seule perspective véritable dans le contexte actuel consiste dans la construction d’une alternative de gauche à l’hégémonie actuelle de la droite libérale sur le mouvement national d’opposition au règne pro-impérialiste de la social – démocratie.
Nous nous réjouissons de cette option affirmée lors de la conférence d’août 1988 de FERNENT/l’Etincelle et de ses collaborateurs. Il s’agit de regrouper toutes les forces de gauche qui refusent le « rôle actuel de principale formation de l’opposition » du PDS et de A. Wade.
L’expérience de toutes ces années de luttes politiques démontre, si il en était encore besoin, que la gauche marxiste-léniniste révolutionnaire anti-impérialiste ne peut continuer à végéter derrière les droitiers qui, à chaque occasion historique, trahissent les luttes populaires.
Battre en brèche leur influence, voilà la tâche du moment. Et cela ne peut se faire en désertant les luttes ouvrières et populaires concrètes qui se développent sous nos yeux. Mais seules l’implication réelle dans ces luttes, la conquête du rôle dirigeant dans les combats quotidiens des masses et l’émergence de chefs ouvriers et populaires forgés, permettent d’y arriver.
La gauche, aujourd’hui, c’est l’ensemble des forces qui s’en réclame et qui s’oppose à la capitulation devant le pouvoir et les manœuvres de sabotage des libéraux du PDS. De fait les directions du PIT et de la LD/MPT, en dépit de leur auto-qualification de marxistes, s’en excluent objectivement.
La gauche ne peut accepter, sans se déshonorer absolument, de traîner indéfiniment à la remorque des libéraux dont la position de « principal parti de l’opposition » a été façonnée par le pouvoir PS lui même sous Senghor puis sous A. Diouf. Ceux qui, tout en se disant de gauche, se fondent dans des fronts stratégiques, notamment électoraux, ou se diluent dans des partis fourre tout (tel AJ/PADS) doivent réfléchir sur l’expérience des fronts passés du RDA au PRA ou encore plus récemment le RND. Ces politiques frontistes ont échoué et il ne pouvait pas en être autrement.
Il ne s’agit pas d’effacer subjectivement d’un trait nos différences idéologiques et politiques, mais de travailler à l’émergence d’une alternative de gauche par la priorisation de l’unité d’action au sein de la gauche, meilleur rempart possible actuellement contre les trahisons des libéraux dans les moments décisifs. Il s’agit de définir les tâches du moment et de lutter ensemble pour les réaliser avec l’objectif de rendre hégémonique la gauche par l’unité d’action dans l’opposition.
Toutefois, même si la priorité stratégique est l’unité d’action du pôle de gauche, nous n’hésiterons pas à assumer nos responsabilités toutes les fois qu’il est nécessaire de bâtir une unité d’action tactique qui dépasse largement les frontières des forces de gauche. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait dans le cadre de la mobilisation populaire pour libérer A. Wade, A. Dansokho et A. Bathily.
Mais la condition reste et restera la lutte véritable contre le pouvoir semi-colonial. Rien ne doit nous écarter de cette exigence non discutable. De même rien ne nous fera taire nos critiques contre tout acte de compromission de qui que ce soit tendant à freiner ou dévier la lutte contre le régime semi-colonial. Il n’y a aucun « dialogue » possible avec le pouvoir semi-colonial social-démocrate, il n’y a qu’un seul objectif réaliste abattre ce pouvoir pro-impérialiste. Voilà le postulat nécessaire à partir duquel nous devons agir.
Relativement au travail propre de FERNENT, le travail pour l’émergence de dirigeants politiques ouvriers reste en vigueur. Les cadres militants autour de FERNENT n’arrêteront pas leur implication dans les luttes ouvrières et populaires. Ils le poursuivent et le lient à l’unité d’action avec d’abord les composantes du pôle de gauche et ensuite avec l’opposition en général partout où ils interviennent.
Il s’agit ici, tout en développant FERNENT comme courant indépendant propre, d’œuvrer à l’unité d’action, puis comme aboutissement de ce processus de lutte pour l’unité idéologique et politique de procéder au regroupement organisé des forces de gauche.
L’avenir et les faits trancheront, le moment venu, la question aujourd’hui prématurée du « pôle organique de gauche », non pas sur le modèle du RND, mais sur celui du regroupement des forces de gauche déjà organisées.
L’objectif organisationnel sur le modèle du RDA est une perspective panafricaine que nous gardons en tête.
C’est peut être par cette voie que nous devrons passer pour l’édification ultérieure d’un véritable Parti Communiste au Sénégal et en Afrique.
Au travail camarades, nous avons du chemin à parcourir. Vive la révolution démocratique anti-impérialiste des ouvriers et paysans du Sénégal et d’Afrique.
(Rediffusion corrigée d’une réflexion de 1989)
Février 1989
Roland Diagne
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