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LIVRE DE SADIO CAMARA : CHAPITRE V : LA FORMATION MILITAIRE  

L’usage de la violence  par le parti au pouvoir aura été le fait qui m’aura marqué le plus. En effet, l’expérience d’activités militantes durant les sept premières années, notamment celle des élections intervenues, m’a suffisamment montré la collusion manifeste entre l'Etat et le parti au pouvoir, entre les autorités administratives et les autorités  du parti au pouvoir, en l’occurrence l’UPS.

 

Je trouvais là une confirmation de la théorie marxiste-léniniste selon laquelle l'Etat est au service de la classe au pouvoir, l'Etat est un instrument de domination et d’oppression de la classe au pouvoir.  Dans notre cas au Sénégal, après l’indépendance nationale ce fut la persécution sans discernement par les moyens de l’Etat par le parti au pouvoir de toutes les organisations politiques, syndicales et de masses qui manifestaient une certaine velléité patriotique ou qui contestaient simplement le monopole arbitraire de la vie politique par l’UPS. Lors des élections, chaque fois, le Ministre de l'intérieur s’est substitué au corps électoral pour proclamer élus les seuls candidats de l’UPS, ceux du parti au pouvoir. C’était là même chose dans l’administration, les organisations politiques, syndicales et de masses de mêmes que les citoyens simples qui n’étaient pas de l’UPS voyaient se refuser leurs activités, de se réunir et d’exprimer l leurs opinions, leurs pensées et même de se mouvoir à travers le territoire national, à plus forte raison hors du pays. Nous vivions alors le totalitarisme, l’intolérance absolue du parti au pouvoir et de ses hommes, le piétinement des droits et libertés des citoyens qui ne sont pas de l’UPS, les agissements du commandement territorial appuyé par la police, la gendarmerie et au besoin par l’armée. Au plan judiciaire c’était la même chose. Dans ces conditions, objectivement, la seule voie laissée aux forces démocratiques et patriotiques était de s’opposer à la violence du parti au pouvoir par la violence en vue de se faire respecter et d’instaurer les libertés démocratiques et individuelles.

 

Pour les raisons que voilà, j’étais parfaitement d’accord avec cet extrait de l’éditorial, « Problèmes du parti »  n°5 du 6 avril 1964 qui disait : « nous sommes pour l’instauration au Sénégal d’un Etat indépendant de démocratie nationale. A cette fin, il nous faut lutter sans faille contre le néocolonialisme et ses agents au pouvoir. Dans cette lutte nous écartons, comme rejetée depuis longtemps par la vie, toute voie électorale et parlementaire ». Aujourd'hui encore je demeure convaincu de la justesse de cette idée dans le contexte de l’époque. Elle correspondait parfaitement au contexte d’intolérance et de violence du parti unique au pouvoir contre les forces de l’opposition.

 

Ce fut dans ces conditions du contexte de l’époque et dans l’état d’esprit où je ne me trouvais que je répondis favorablement à mon parti pour subir une formation militaire en vue de conquérir le droit et la liberté et d’instaurer dans notre pays un Etat national, indépendant et démocratique.  A ce contexte s’ajoutait l’arrière fond de l’influence de mon éducation traditionnelle, des révolutions chinoise, vietnamienne, algérienne et cubaine.

 

Ainsi s’ouvrait une nouvelle page de ma vie, appelée par feu Président Seydou CISSOKHO «  la période héroïque » allant de 1961à 1980. Dans le courant de Novembre 1963, j’ai reçu à Cotiary, une nouvelle visite du camarade Babacar  SY pour m’informer du choix de la direction du parti de m’envoyer en formation militaire et de recueillir mon opinion. La raison est que le parti devait prévoir toutes les situations et se préparer en conséquence. En d’autres termes il s’agissait de préparer le parti à toutes les formes de lutte interchangeables selon les situations. Evidemment ma réponse était oui pour les raisons ci-dessus évoquées. Mais il faut préciser que le choix des camarades de la direction n’était pas fortuit car il m’avait été proposé plusieurs fois, une fois par Majmout DIOP lui-même lors du 1er congrès, des bourses de vacances ou de repos dans des pays amis, des anciens pays socialistes. Mais je refusais ces propositions parce que je ne leur accordais pas d’importance. Je considérais qu’il s’agissait du tourisme, je préférais plutôt découvrir mon pays. La seule chose qui pourrait m’amener dans ces pays c’est l’acquisition de la science militaire, le maniement des armes. C’est sûrement pour cela que le choix des camarades s’est porté sur moi. En outre, je devais recruter trois autres camarades qui accepteraient la même formation pour le même but. Ensemble nous devions être à Bamako, dans le quartier général du 1er Secrétaire Majmout DIOP, dans les premiers jours du mois de janvier 1964.

 

Les autres camarades devaient ignorer l’itinéraire et la destination jusqu’au moment du départ. Ma famille non plus ne devait pas savoir où j’allais et ce que j’allais y faire. Alors je mis le reste de mon temps à trouver trois camarades de confiance, à préparer et expédier ma famille à Kédougou.

 

Après mûres réflexions, je décidai d’informer davantage mon épouse que je venais de marier il y a seulement un an. Ainsi, je lui rappelai les conditions de notre mariage à savoir que je suis (j'étais)  un homme politique et par conséquent  (que)je connaîtrais une vie mouvementée pouvant m’emmener en prison, en exil et même à la mort. C’était là des sacrifices nécessaires pour une lutte sans faille contre le colonialisme français à l’instar de Samory, El hadji Oumar, Moussa Molo qu’elle connaissait à travers les chants épiques des «mémoires» de notre peuple que sont les griots. Ensuite j’avais précisé à mon épouse que j’allais m’absenter du pays pour une période de six mois et qu’elle devait rejoindre sa famille à Kédougou. Elle bénéficiera de l’aide des camarades, ce qu’elle avait accepté. Ainsi, je l’ai préparée et elle est rentrée avec Yonko CAMARA un garçon de mon grand frère que j’avais en charge. J’avais aussi un autre garçon appelé Kadialy DIAKITE, actuellement journaliste à Radio Sénégal. Son père était l’oncle d’un ami Mamadou DIAKITE, alors commerçant à Tambacounda. Il avait une grande admiration pour moi

 

Pour ces deux garçons, j’avais préparé leurs dossiers scolaires pour le transfert à leur lieu de résidence respectif. Quant aux trois camarades que j’avais la tâche de trouver pour la formation militaire, j’avais pris contact avec trois camarades de confiance qui avaient confirmé cette confiance.

- Mamour DIOP, instituteur à Koussanar

- Fily DIALLO, commis de secco de graines d’arachide

- Moussa NIANG, dit Mélakh, chauffeur à Tambacounda

 

Alors «la période héroïque» selon l’expression du Président feu Seydou CISSOKHO commença

 

En route pour la science militaire

Le 31 décembre 1963, les trois camarades ci-dessus mentionnés et moi-même, nous passions (passâmes) la nuit dans une maison H.L.M de Tambacounda alors louée par le camarade Mamour DIOP. Au petit matin, nous nous embarquions (embarquâmes) dans le train express pour Bamako où nous arriverons vingt quatre heures plus tard.

 

Nous y avons trouvé d’autres camarades. Au total, nous étions une trentaine venue de différentes structures du PAI à travers le pays pour la formation militaire. En voici la liste.

 

De la section de MBour

Mapaté SOW

 

De la région de Casamance

Tidiane BA

Fa Bakary DIAYTE

Bara GOUDIABY

El Hadji GOUDIABY

Youssouph SANE

 

De la région de Diourbel

Cheikh DIAGNE

Dame DIENG

Ibra GNING

Médoune GUEYE

Ala KANE

Malick SAMB dit Max Mader

 

De la Section de Kaolack

Malick FALL

Badara NDIAYE

 

De le Section de Rufisque

Baba DIOP

 

De la Section de Saint-Louis

Assane DIAO

Madické WADE

 

De la section de Tambacounda

Sadio CAMARA

Fily DIALLO

Mamour DIOP

Moussa NIANG dit Mélakh

 

De la Section de Podor

Demba BA

Amadou DIAW

Mamadou THIAM

Ameth WONE

 

De la Section de Tivaouane

Sapir DIOP

 

De la Section de Yoff-village

Birane CISSE

Les des jumeaux Assane SARR et Ousseynou SARR

 

Le séjour à Bamako a été un peu long. Le temps a été mis à profit pour nous organiser un séminaire de formation politique et idéologique.

Cela a été bénéfique pour moi. Car, (pour) la première fois, j’apprenais sérieusement la théorie du marxisme-léninisme.

 

Le programme du séminaire comportait les grands chapitres suivants :

- Les fondements philosophiques du marxisme-léninisme

- la conception matérialise de l’histoire

- l’économie politique du capitalisme

- la théorie et la tactique du mouvement communiste international

- la théorie du socialisme et du communisme

 

Nous avions comme ouvrages de base : «les principes du marxisme-léninisme», manuel édité par les «éditions en langues étrangères Moscou non daté» et le «manuel d’économie politique» des «éditions en langues étrangères, Moscou 1961» du grand économiste soviétique de l’époque, P. NIKITINE.

A cette occasion, j’ai eu des notions solides de base pour l’étude approfondie du marxisme Léninisme.

 

Le chapitre qui m’a le plus intéressé et qui continue de m’intéresser aura été la conception matérialiste de l’histoire. Je découvrais cette notion pour la première fois. Elle m’a permis de savoir que le mode de production est la base matérielle de la vie sociale, que l’histoire de l’humanité est une succession de formations sociales et économiques ; de savoir comment opèrent les lois sociales notamment le rôle des idées dans l’évolution sociale. Les structures de classes de la société ; l’origine et la nature de l'Etat ; la superstructure qui m’a fait découvrir que le régime économique est la base des relations, des idées et des institutions sociales de toutes sortes, les idées sociales, politiques, économiques et juridiques etc.; Les institutions et les organisations (l'Etat, l’église, les partis politiques) surgissent sur une base donnée que constitue la superstructure sociale.

 

La théorie de la base ou de la superstructure explique de quelle manière le mode de production commande en dernière instance tous les rapports d’une société donnée. L’économie politique du capitalisme m’a beaucoup intéressé également. Elle m’a appris ce qu’est la production marchande, la marchandise, la loi de la valeur et la monnaie, la théorie de la plus-value comme pierre angulaire de la théorie économique de Karl MARX, l’impérialisme, le capitalisme monopoliste, le capital financier, l’exportation des capitaux, la formation d’unions monopolistes internationales,  le partage territorial du monde.

 

En plus de l’éducation et de la formation idéologique, nous avons eu aussi à nous initier à l’alphabet wolof, à la transcription et à l’usage des mots  et expressions politiques, économiques, sociales et scientifiques dans nos langues respectives ; wolof, pulaar, mandinka, diola selon les groupes linguistiques représentés. Il s’agissait, comme entre autres exemples : moyen de production, forces productives, économie, économie politique, communication, téléphone, télégramme, etc.

 

Nous avions comme support à ces exercices dans nos langues nationales une traduction en wolof des éléments essentiels du dictionnaire politique et du dictionnaire social faite par le camarade 1er Secrétaire Majhmout DIOP.

 

Mentionnons également que nous avions la traduction du manifeste communiste faite également par Majmout DIOP. Ces documents peuvent encore être d’une grande utilité aujourd’hui.

 

On peut se demander en quoi une traduction en wolof avec un alphabet wolof peut servir. D’abord, l’alphabet traduit les mêmes sons ou phonèmes dans les autres langues nationales. Ensuite, une fois qu’un mot ou expression est traduit dans une des langues, ici le wolof, sa traduction devient facile dans les autres langues. Notre expérience en atteste.

 

Il faut dire que cela a été une expérience probante, car chacun de nous utilisait merveilleusement cet alphabet et la traduction des mots et expression dans sa langue maternelle.

 

Majmout réunit les responsables des différents groupes à savoir Madické WADE responsable du groupe de Saint-Louis, Sadio CAMARA du groupe de Tambacounda, Bara GOUDIABY du groupe de Casamance et alla Kane du groupe de Diourbel.

C’est pour nous entretenir de la formation, du délai, du lieu, de la date de départ de l'itinéraire. En outre, il précisa que nous constituions la direction du groupe du fait que nous étions tous membres du Comité Central. A la veille du départ, en Assemblée Générale, Majmout informera tout le monde de ce qu’on allait faire et prodiguera des conseils. Il remettra à chacun ses documents de voyage (laisser passer, billet d’avion où figure sa nouvelle appellation).

 

Ainsi, j’ai reçu le prénom Alphonse. Depuis, tous mes camarades de l’époque m’ont toujours appelé par ce prénom jusqu’à ce jour. Le jour J, un jour de la deuxième quinzaine de mars 1964, nous embarquons de Bamako pour Cuba en passant par Dakar, Zurich, Prague, l’Irlande et le Canada. Entre Prague et l'Irlande, nous avons traversé deux fois le jour, deux fois la nuit. Alors seulement j’assumais mes leçons de l’école sur les fuseaux horaires. Donc, le troisième jour de notre décollage à l’aéroport de Bamako après avoir passé un jour et une nuit en escale à Prague dans «l’hôtel international», nous atterrissions, dans la fraîcheur du petit matin, à l’aéroport José Marti de la Havane, capitale de Cuba révolutionnaire.

 

A l’hôtel Riviera de la Havane

On nous logea à l’hôtel «Riviera», un hôtel de grand standing Nord américain, nationalisé par la révolution cubaine. Là on séjourna au moins deux semaines sans rien faire.

 

A l’hôtel Riviera, l’insécurité gagnait du terrain. Notre présence était signalée par les hôteliers aux africains qui arrivaient. Ainsi le chef hôtelier conduit un jour un africain dans la chambre de Madické où nous étions en réunion. Il nous salua d’abord en bambara et puis en français. Après les salutations, il voulait savoir de quel pays nous venions. Evidemment nous ne pouvions pas lui dire la vérité en raison du contexte international de l’époque, la confrontation entre les deux systèmes sociaux tant à l’échelle internationale qu’à l’intérieur des Etats. Notre réponse était que nous venions d’un peu partout de l’Afrique. Mais curieux, il voulait en savoir davantage et demanda nos pays d’origine respectifs. Alors le camarade Gormak tempêta, se fit menaçant et dit en wolof : «li la la». Notre visiteur dit «ah j’ai compris» en secouant la tête de bas en haut.

 

Nous avions interprété sa réaction comme ayant compris que nous étions sénégalais et que nous étions en clandestinité. Gormak a été sérieusement critiqué pour avoir parlé en wolof car cela nous identifiait facilement ; c’est seulement au Sénégal que cette langue est parlée dans notre sous-région.

 

Après cet incident, nous sommes intervenus auprès des autorités pour non seulement nous transférer ailleurs mais aussi et surtout pour que nous commencions ce qui nous avait amenés là-bas. Quelques jours après, le groupe fut transféré dans un beau bâtiment, dans la banlieue de la Havane, dans un grand verger. Là nous faisions nous-mêmes notre cuisine. Ainsi nous nous sommes organisés et les chefs de groupes, parmi lesquels j’étais ont été dispensés de service par les camarades contrairement à notre volonté. Là, à l’inverse de l’hôtel Riviera nous avions un grand espace couvert d’arbres fruitiers où nous faisions de la gymnastique le matin. Nous nous promenions pour cueillir des fruits de notre choix, à notre guise : mangues, cocos, goyave, papaye, etc. Dans ce pays les cocotiers ne sont pas hauts, comme chez nous, au Sénégal. Là-bas on peut les cueillir sans monter parce qu’ils sont généralement courts.

 

Ce verger nationalisé par la révolution appartenait à un grand capitaliste nord-américain. A son centre, un grand bâtiment luxueux avec des rideaux dorés un salon très vaste qui jouxte une bibliothèque très riche en volumes édités en espagnol, anglais et allemand. Dans un alignement parallèle, séparé par une route, il y avait un petit bâtiment semi-étage qui semblait être destiné aux domestiques du propriétaire du domaine. A cent mètres environ, en quinconce des deux bâtiments, se tenait une petite église aux portes, fenêtres et statues en pierres précieuses très jolies. Ce verger contenait également une étable sans bétail.

 

Un fait singulier a attiré notre attention. Les jolis rideaux du bâtiment étaient déchirés, les portes, les fenêtres et les statues de la petite église en pierres précieuses étaient saccagés.

Cela dépassait notre entendement. Explication donnée : ce serait le fait de simples gens du peuple qui n’avaient pas accès à ce luxe. Une manière pour eux de manifester leur haine contre la bourgeoisie.

 

Un autre phénomène a attiré également notre attention. On disait que le domaine appartenait à un gros bonnet capitaliste Nord américain qui avait pris la fuite. Mais tout était intact à l’intérieur des bâtiments : les objets de grande valeur: tapis, meubles, couvert, literie, ustensiles de cuisine etc. Explication fournie : c’était le cas de toutes les demeures des nord-américains fuyards. Pour eux la révolution était un feu de paille qui allait s’éteindre très rapidement. Ils n’y croyaient pas. Pour cette raison ils avaient tout laissé sur place dans l’espoir certain d’y revenir dans quelques jours.

 

Après un séjour de dix jours nous quittions ce beau domaine des environs de la Havane pour un autre moins vert, sans fruits, dans un bâtiment moins luxueux. Là encore nous continuions à vivre sans rapport avec la population. Comme dans un camp militaire, la cuisine nous était faite sur place (petit déjeuner, déjeuner, dîner). Mais nous faisions nous mêmes notre linge. A cet effet, le savon nous était distribué avec d’autres effets de toilettes : brosse à dents, pâte dentifrice, désodorisant, etc. En outre, des aiguilles et du fil à coudre nous étaient fournis pour de petits rapiècements et les fixations des boutons de nos habits qui se détacheraient.

 

Le repas était servi individuellement sur le plateau en aluminium à plusieurs cages comme dans une caserne ou un internat scolaire : une case pour le plat de résistance, une autre pour l’hors d’œuvre, une pour les fruits, une autre  pour les cuillère, fourchette et couteau.

 

En ce lieu nous avons fait des cours théoriques sur la guérilla ou guerre populaire. Ces cours nous étaient dispensés par des professeurs de différentes spécialités en matière militaire de manière générale et en matière de guérilla de manière particulière. Les professeurs s’exprimaient en espagnol relayés par des traducteurs en français. Voilà quelques éléments du préambule et du programme théorique de cette formation.

 

Cours théoriques et pratiques

Préambule

La lutte politique est la forme fondamentale de la lutte pour le pouvoir. Elle constitue la base de développement de la lutte armée et en même temps un mode d’offensive contre l’ennemi de classe. Elle organise et mobilise le peuple, l’amène au combat en passant par des formes primaires aux formes supérieures.

 

La lutte armée est une autre forme de la lutte pour le pouvoir politique, c’est une continuation de la politique sous une autre forme. Elle joue un rôle décisif, décide directement de l’anéantissement des forces armées ennemies et du coup de la réussite de la lutte. Il s’agit donc d’organiser et de mener une lutte populaire pour assurer la victoire militaire et politique sur l’ennemi de classe. Cela signifie combiner les forces armées avec les forces politiques, la lutte armée avec la lutte politique, l’instruction armée avec la guerre révolutionnaire. Voici quelques éléments ou points de repères de ce programme.

 

- Constitution et vie des unités de guérilla : effectifs réduits de 10 à 20 membres, équipement léger, grande mobilité, différentes unités de guérilla d’une zone sous le commandement d’un seul chef qui a le pouvoir sur cette zone.

 

- Installation du camp de guérilla : tenir le camp loin des habitations, dans une zone d’accès difficile, en forêt et à proximité d’un point dominant où un guetteur peut surveiller tous les alentours.

 

- Existence d’un ou deux itinéraires reconnus pour parvenir à s’échapper en cas de danger. A cet effet des guetteurs sont à placer à distance pour être capables de revenir en courant pour donner l’alerte. Ceci pour gagner le temps nécessaire à une évacuation rapide. Des pièges tendus à travers les sentiers non surveillés pour servir d’alarmes. Les précautions à prendre pour effacer toutes traces de pas ou tout indice de présence de l’homme dans les environs du camp.

Les changements de camps se font de nuit, après avoir effacé soigneusement toutes les traces d’occupation (boîtes de conserves, mégots de cigarettes, feux éteints, résidus de nourriture, etc.). Les départs pour effectuer des missions à faire de nuit et le retour si possible la même nuit, sinon dans la nuit suivante. Profiter du départ d’une ou de plusieurs missions pour lever le camp.

Le ravitaillement s'opère de nuit dans les villages ou dans des champs isolés mais de préférence dans les villages amis, c’est-à-dire dont les habitants sont des sympathisants. Le ravitaillement par parachute n’est envisagé qu’en période avancée du développement de la guérilla. Dans ce cas sur proposition des unités de guérilla, l’heure et le lieu sont donnés par le chef de guérilla.

 

- Constitution de réseaux d’informateurs ayant comme tâche de fournir toutes les informations indispensables. Mais ces informateurs doivent être à l’écart des unités de guérilla. La liaison entre les réseaux d’information et le chef de guérilla doit être assurée par des agents de transmission formés à cet effet et capables d’égarer les soupçons.

 

Les principales missions de la guérilla sont :

- Mission de renseignements : recherche de renseignements sur l’armée ennemie. La machine de guerre exige beaucoup d’yeux et de complicités : radios clandestines, passeurs de frontières, entre les pays neutres ou amis, personnes cachant ou hébergeant les agents de liaison. En outre, la constitution d’équipes pour surveiller les mouvements des colonnes de l’armée régulière sur les routes et dans les arrières.

- Mission de sabotage : le sabotage doit répondre à un principe : causer le dégât le plus difficilement réparable avec le moins de moyen. La technique de sabotage varie selon la nature de l’objectif. Les sabotages concernent entre autres objectifs, les voies ferrées, les ponts, centrales et installations électriques, des usines stratégiques, les immeubles stratégiques, les installations téléphoniques, les tours de contrôle des aérodromes, les soutes à essence, dépôts d’essence, les soutes à munitions, les parcs automobiles, des chars, etc.

- Mission de harcèlement : c’est l’attaque par surprise de cantonnements, de postes de garde, d’assassinat de sentinelles, des poses de pièges, les embuscades, les coups de mains.

 

En outre, nous avons fait la topographie, c’est-à-dire l’orientation, l’étude de la carte d’identification d’un terrain à l’aide d’une carte, l’appréciation des distances sur une carte, des notions sur les transmissions téléphoniques les méthodes de l’ennemi nous ont été aussi enseignées et les contre-méthodes pour leur faire face afin de préserver la guérilla. Ce sont entre autres exemples, la lutte contre les avions et les hélicoptères, la lutte contre la reconnaissance aérienne, la lutte contre les chars, les règles de sécurité dans les arrières, les règles de sécurité dans les déplacements et lors des fusillades, les règles  de la reconnaissance topographique et militaire ; les règles de reconnaissance d’un pont, d’un ravin, d’une forêt, d’une habitation.

 

Ces cours théoriques ont duré trois mois. Il s’agissait ensuite de nous initier à leur mise en œuvre pratique. Ce qui nous emmena à participer avec les miliciens de la révolution durant une semaine à une battue contre les contre-révolutionnaires appelés là-bas, les «bandidos» c’est-à-dire les bandits, dans une région montagneuse de Cuba. A cet effet, nous étions passés à la vie militaire réelle : tenue et équipements militaires avec fusils et cartouches réelles. Nous parcourions des sentiers, des rizières inondées, des collines. Nous nous couchions dans les herbes, à même le sol, dans les ordures, dans l’humidité de nuit comme de jour. C’était comme si nous étions en guerre. C’était une première initiation aux conditions de guerre. Alors j’ai perdu ma maladie de «chair de poule» que je contractais à la vue des ordures derrière les habitations et quand j’étais obligé de m’asseoir sur un sol humide. A cette occasion nous étions mêlés avec les miliciens et nous avions noué des liens d'amitié avec eux. Un milicien ami à un de nos camarades voulut l’inviter chez sa maîtresse où il devait être de tour… Par ce biais nous avons su que dans ce pays avoir une maîtresse était tolérée aussi bien par la société que par sa femme et ses enfants. Par contre le mariage officiellement célébré n’est pas acceptable pour éviter que les enfants nés de ce mariage ne puissent hériter de leur père. Ailleurs dans les pays européens, on l’appelle la maîtresse ou la femme pour aller au cinéma.

 

Alors je me suis dit que la polygamie existe bel et bien en Europe et en Amérique. La différence avec nous en Afrique, c’est que nous la légitimons en la légalisant, ailleurs ils la tolèrent mais officiellement ils ne l’acceptent pas. Depuis, cela a été la base de mon argumentation quand des européens ou américains essayent de se moquer de nous parce que nous pratiquons ou plutôt nous officialisons la polygamie. Depuis, à propos de cette question, je n’ai pas de complexe vis-à-vis d’un européen ou de quelqu‘un d’ailleurs par rapport à la polygamie.

 

Après notre participation à la battue contre les contre-révolutionnaires cubains dans les montagnes du Sud de l'île, nous retrouvions la maison des cours théoriques. Au bout d’une semaine, nous partîmes pour la région la plus accidentée de Cuba appelée «Pinardel Rio». Nous la parcourûmes pendant un mois en nous initiant à la pratique des missions de guérilla comme rapportées plus haut sur différents terrains (plats, accidentés, boisés). Ceci de jour comme de nuit, à traverser des  rivières, à faire la marche en colonnes avec des règles ou signes conventionnels, acoustiques ou visuels indiquant la halte, le bivouac, la reprise. En même temps nous apprîmes à monter la garde, à faire des sonnettes d’alarme. Lors d’une longue opération de manœuvres, nous traversâmes des forêts, des brousses avec des manguiers et des goyaviers à l’état sauvage chargés de fruits. A l’occasion nous traversâmes des espaces de terrains débroussaillés où, entre autres arbres abattus et découpés se trouvaient des manguiers et des goyaviers. C’était là une découverte sensationnelle pour tout le groupe de savoir de visu que des manguiers et des goyaviers existent à l’état naturel ou à l’état sauvage. Personnellement le matérialisme historique m’apparut encore plus clair. C’était l’exemple le plus patent pour moi de savoir que toutes les plantes cultivées par l’homme ont existé ou existent à l’état naturel. Comme quoi le voyage est aussi formateur que l’école  et l’université . Ils sont complémentaires.

 

Puis ce fut le camp des mines et des explosifs. Dans ce camp, les premiers éléments d’initiation et de maîtrise ont concerné les pièges et mines.

 

Voici quelques exemples d’objets piégés et le fonctionnement des pièges correspondants :

- Lits, divans, etc. : pièges à pression avec un allumeur sous un pied, un coussin, etc.

- Tiroirs d’un meuble, portraits politiques, tableaux etc. : pièges à traction par fil piège.

- Livre dans une bibliothèque : grenades dégoupillées

- Chasse d’eau de WC : piège à traction : déclenchement par le cordon de la chasse d’eau

 

Sur des objets oubliés dans une pièces ou un abri comme :

- Casque : piège à traction : pétard dissimulé sous le casque

- Fusils, pistolets, sacoches, boîtes de conserves etc., piège à traction par fil piège

- Poste radio et postes téléphoniques : allumeurs électriques reliés à l’un des boutons de mise en marche ou allumeur à traction fonctionnant en déplaçant l’appareil,

 

Sur les véhicules et canons abandonnés :

- Levier de frein ou de changement de vitesse : piège à traction mine ou pétard dissimulés sous le capot

- Capot du véhicule : contracter à déclenchement maintenu par la paroi rabattu du capot et fonctionnant quand on le soulève

- Coussins de siège : piège à pression : allumeur sous le coussin

- Culasse de canon : contacteur à déclenchement maintenu par le coin de la culasse,

- Bêche des canons ou plaque de base des mortiers : contacteur à déclenchement, etc.

 

Ensuite nous nous sommes initiés à la fabrication artisanale de bombes incendiaires appelées couramment dans le langage des révolutionnaires comme dans  celui des contre-révolutionnaires «cocktail Molotov» pour les batailles de rues contre la police et la protection des manifestations de masses. En outre nous avons appris le maniement des explosifs notamment différents types de plastics (jaunes et blanc) et leur utilisation (calculs appliqués selon l’épaisseur du fer ou du bois de l’ouvrage visé) ; dans le sabotage des moyens de transport et de communication (voie ferrées, ponts, poteaux électriques et poteaux téléphoniques, etc.), la fabrication de la poudre à canon. Ici je me suis rendu compte de l’ignorance  crasse de ceux qui ont fréquenté l’école coloniale. Cela m’a rappelé les anciens ateliers de fabrication de la poudre à canon dans le Gnokholo traditionnel : mortier et pilon en bois comme instruments de fabrication, du souffre, du salpêtre et charbon de bois comme matières qui, réduits  séparément en poudre fine dans le mortier (grâce au pilon) entrent, dans des proportions déterminées, dans la composition de la poudre à canon. Cela existait dans le Gnokholo traditionnel, c’était l’administration coloniale qui en avait interdit la fabrication. C’est là une logique des conquérants coloniaux qui pour dominer un peuple, lui interdit de produire les moyens de sa libération.

 

Le deuxième et dernier camp était le camp de tir, là nous nous sommes exercés à tirer avec différentes catégories de pistolets et différents types de fusils de guerre, différents types de mitrailleuses, au tir sur cible fixe, sur cible en mouvement, sur cible en courant. Je me suis rendu compte qu’il est très difficile d’atteindre sa cible en courant. Nous nous sommes entraînés aussi à mettre en œuvre différents types de canons et mortiers ainsi que des bazookas et des lance-roquettes, des lance-grenades. Avec le tir au mortier, j’ai compris l’utilité de la géométrie dans l’espace que je considérais avant comme un bourrage de crâne, une connaissance livresque, inutile.

 

Mais la découverte la plus surprenante pour moi au champ de tir a été de constater la terrible fragilité d’un char. Cette monstrueuse arme est en réalité un mastodonte aveugle. En effet, le blindage du char très efficace à la tourelle et à l’avant, présente, malgré les profils calculés pour faire ricocher les projectiles, des parties moins bien protégées. Le toit du char est traversé facilement par des roquettes tirées par avion. Le plancher qui est très mince s’offre aux coups des pièces antichars quand l’engin est monté. Les chenilles enfin sont fragiles.

 

Autres faiblesses du char étudiées : l'équipage d’un char à une visée très étroite. On ne peut pas voir à moins de 20m, on ne peut concentrer son attention pendant le combat que vers l’avant. Les armes du char sont à courte portée de sorte qu’à 20 m, isolé, ils ne peuvent pas se défendre.

- Un char ne peut pas monter une pente de 30 à 40° ni franchir un fossé de plus de 3 mètres. Une nappe d’eau d’un mètre de profondeur l’arrête.

La présence du moteur, du réservoir d’essence, des casiers à munitions l’expose à des risques d’explosion dès qu’il est perforé par un projectile ou une simple bombe artisanale.

- Au bout de quelques heures la capacité combative de l’équipage est fortement entamée suite à une grosse fatigue causée par l’engin.

- La dotation en obus est assez réduite et ne lui permet pas de combattre plus de 5 heures sans être ravitaillée. En outre la capacité de ses réservoirs (100 litres heure) ne permet pas un combat plus prolongé. Voilà les faiblesses du char qui le rendent fragile.

La connaissance de ces points faibles permet de le combattre. Voici quelques exemples :

 

L’étroitesse de sa visée qui ne dépasse pas 20 m, permet de l’approcher sans être vu et, au moyen d’un lance roquette anti-char comme le bazooka ou de grenade anti-chars à fusils pour le détruire.

- Une grenade incendiaire ou même un cocktail molotov lancé à l’intérieur du char par un portillon laissé ouvert provoque l’explosion de tout le char ;

- Les obstacles passifs naturels ou artificiels (fosses, barricades, abatis champs de rails etc.) mettent la capacité de franchissement du char en défaut

En outre, suivant les moyens de destruction dont on dispose, les sabotages suivants sur un char sont possibles.

 

- Trois ou quatre mines placées sur une chenille suffisent pour cisailler celle-ci sur une grande longueur et la rendre ainsi irréparable ;

- Une charge explosive sur l’axe d’une poulie soutenant la chenille peut tronçonner cet axe ;

- Une ou deux charges explosives posées entre la tourelle et la caisse du char (amorçage au besoin avec une simple grenade offensive permet de coincer la tourelle ;

- Un collier de plastic autour du canon pour fausser le tube ;

- Un bidon d’essence posé sur les volets d’aération pour asphyxier l’équipage…

 

Les terrains les plus favorables à la lutte contre les chars, plus précisément à l’utilisation des lances-roquettes, des lance-grenades et la pose des charges explosives sont : les bois, les zones couvertes d’une végétation assez haute, les terrains mamelonnés, somme toute, là où les tireurs peuvent se dissimuler et passer aisément d’un emplacement à un autre.

 

Dans les villes la défense est particulièrement facile : les ouvertures de murs sont des emplacements favorables pour frapper les chars de flanc.

 

La reconnaissance aérienne

Nous n’avons pas reçu un enseignement spécifique sur la reconnaissance aérienne, mais des éléments nous permettant d’apprécier son danger et d’autres nous permettant d’avoir quelques idées d’autodéfense.

 

La reconnaissance aérienne est aussi dangereuse que les attaques aériennes (soit à la bombe, soit par des roquettes, soit par canonnage) puisqu’elle dévoile à l’ennemi notre présence et lui permet ensuite de frapper à coup sûr. La reconnaissance aérienne s'opère de la manière suivante :

- En survolant à haute altitude la zone suspectée pour prendre des films photographiques ;

- Ou alors en procédant par piquets brusques ou passages à très basse altitude pour scruter un point particulier de la zone.

Le survol de l’avion de reconnaissance est donc un danger particulièrement grave. Pour s’en prémunir, il faut :

- Appliquer constamment les mesures de dispersion et de camouflage ;

- Signaler par une alerte le moindre survol d’avion de l’armée régulière.

Car nul ne peut affirmer que tel ou tel appareil passant à haute altitude, notamment aux premières heures du jour, n’est pas un avion de reconnaissance ou un avion photographe.

 

A notre époque des avions de reconnaissance sont dotés d’appareils photographiques spéciaux capables de filmer des cantonnements de guérilleros ou de troupes régulières et cela même à travers des forêts touffues.

 

La parade essentielle contre l’aviation réside avant tout dans les mesures de défense dites passives à savoir :

- Se disperser d’une part pour échapper aux tirs aériens et d’autre part pour limiter les effets des coups ; ceci parce qu’un groupe de guérillas ou une troupe d’une armée régulière très dispersée n’offrira aux yeux des équipages qu’une poussière d’objectifs qui déroute la visée ;

- Cesser instantanément tout mouvement en cas  de survol d’un avion

- Utiliser sans cesse les couverts du terrain, les arbres etc., et plus généralement le camouflage.

 

A une étape avancée de la guérilla, les avions d’attaque comme les avions de reconnaissance sont abattus par des mitrailleuses, des fusils mitrailleurs ou des lance-flammes. Il en est de même  des hélicoptères. Le point fragile de ces derniers est constitué par les retors qui même touchés par des balles de fusils sont hors d’usage. Ensuite le champ de tire a bouclé le cycle de notre formation.

 

Nous pouvons donc résumer ce cycle comme suit :

- Formation théorique de trois mois dans la banlieue de la Havane,

- Initiation à la lutte et aux différentes missions de la guérilla pendant un mois,

- Entraînement à la fabrication de bombes incendiaires et au maniement d’ explosifs durant un mois,

- Initiation au tir de différentes armes de guerre durant un mois.

- Fin de la formation intervenant en fin juillet /début août 1964, tout juste le temps prévu, six mois.

 

Le mal du pays nous rongeait et nous étions pressés de rentrer. Fin août/début septembre 1964, nous regagnâmes Bamako, le quartier général du camarade 1er Secrétaire Majmout DIOP.

 



13/09/2017
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