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LIVRE DE SADIO CAMARA : CHAPITRE II : Le tract qui m’a conduit en prison

EN 1959, alors que Mady CISSOKHO, Député-maire de Kédougou, était au sommet de sa puissance, nous avons produit un tract sur lui..

 

En effet, nous avions des preuves auprès de nos amis commerçants que Mr le Député-maire faisait payer ses propres dettes par la mairie en établissant de fausses factures. Voilà donc la pratique que nous avions dénoncée. Et tout de suite, comme on dit, la police, la justice sont au service de la classe au pouvoir. Dès le lendemain matin, la police a perquisitionné ma maison, celles des autres camarades pour retrouver la machine ou un exemplaire du tract. Malheureusement pour eux ils n’ont rien trouvé et sont allés arrêter un pauvre innocent du nom de Mamady DANGNOKHO, actuel huissier au tribunal de Kédougou, parce qu’il avait une machine qui était effectivement de même marque que celle avec laquelle nous avions fait le tract.

 

Pendant ce temps, mon neveu Mady CAMARA alors jeune élève de 16 ans environ qui vivait avec moi, était allé planquer ailleurs dans la ville, la machine qui nous avait servi à écrire le fameux tract, Il la transportera le lendemain sur son vélo pour la cacher dans notre village à Bantata.

 

Malgré tout, les adversaires politiques étaient convaincus que j'étais l’auteur ou le chef de ceux qui avaient fait ce papier. Sans preuve, on m’a arrêté. J’ai passé deux jours et deux nuits à la prison de Kédougou. Le troisième jour était celui de la rotation de l’avion de Dakar-Kédougou, et Kédougou-Dakar via Tambacounda, j’y étais embarqué pour Tambacounda. A l’époque le tribunal de Kédougou n’était pas compétent pour juger de pareils délits, ceux-ci relevaient du tribunal régional de Tambacounda plus précisément du procureur de la république. Le juge Sakho était alors procureur de la République de la région de Tambacounda. Embarqué donc dans l’avion, escorté d’un gendarme, nous sommes arrivés à Tambacounda vers 18 heures.

 

Une fois au tribunal, le gendarme est allé présenter le dossier au juge SAKHO et comme il était l’heure, de la descente du tribunal, il a ordonné qu’on me conduise à la prison jusqu’au lendemain matin à 8 heures.

 

L’agent qui devait me conduire n’étant pas là, on a alors attendu et entre temps le juge SAKHO a pu jeter un coup d’œil sur le dossier et s’est dit : mais dites  donc où est le monsieur qu’on vient d’emmener ? Faites le venir. Dans son bureau, il me  posa les questions suivantes : qu’est ce qui se passe ? Est-ce que vous êtes l’auteur de ce tract ? Je répondis par la négative. Il dit : « voilà, d’ailleurs c’est moi qui vous ai fait venir. Ils voulaient vous faire juger là-bas  alors qu’ils n’ont pas le droit. Je sais qu’ils allaient vous condamner ou vous emmener à Dakar. Ce qui est dans ce tract est vrai. Ils ont détourné ici les sommes allouées à la construction de l’Assemblée Régionale. Ce sont les mêmes. J’ai demandé la levée de leur immunité parlementaire pour que je puisse les arrêter et les juger : jusqu’à présent je n’ai pas de réponse. Mais voilà que d’honnêtes citoyens, des patriotes qui dénoncent les voleurs, des détourneurs de biens publics on veut les arrêter. Où va notre pays ? » Il ajouta : « Est-ce que vous connaissez des gens à Tambacounda ? » Je répondis affirmativement. Il me demanda d’aller chez mes amis et de revenir le lendemain matin. Alors, il dit à l’agent de me laisser partir. Ainsi donc je suis allé retrouver les camarades de Tambacounda. C’était vraiment une grande rencontre, une rencontre de joie. La nouvelle s’est vite répandue dans la ville. Nous avons tenu une réunion d’informations. C’était sympathique.

 

Les camarades ont trouvé de l’argent pour que je puisse retourner vite dès le lendemain à Kédougou afin que les camarades sachent que j'étais libéré. Le deuxième jour j’ai pu embarquer dans un camion. C’était au début des vacances de juillet- début Août. La route Kédougou-Tambacounda était très mauvaise. Et nous avons fait trois jours de route. La première nuit passée dans les eaux des rizières des environs du campement de Gnokholo-Koba, la seconde dans les hautes herbes des environs d’un village appelé Gnéménéki, sans pouvoir manger. Ce voyage a été atroce du fait de l’humidité et surtout des moustiques et de la faim. Nous sommes arrivés à Kédougou le troisième jour vers midi au grand étonnement des milieux politiciens UPS qui m’avaient fait arrêter.

 

D’abord, un phénomène à raconter. Quand j’ai quitté le procureur SAKHO, j’ai vu venir dans ma direction le  gendarme qui m’avait emmené, avec lequel d’ailleurs j’avais  eu une altercation dans l’avion et je lui étais entré dedans. A ma vue, il s’arrêta pour me regarder et tout de suite, il a pris le premier angle pour ne pas me rencontrer. Voilà qui confirme que les agents dits des forces de l’ordre ne sont pas aussi courageux ; dix contre un, ils sont fougueux comme des lions mais un contre un, ils deviennent agneaux. Et quand ils sont un contre dix, ils se volatilisent. Majmout DIOP, notre dirigeant de l’époque, figure historique de l’indépendance nationale, aimait dire : «  ils sont lions avec les faibles, agneaux avec les forts ».

 

Mes premières années d’activités militantes dans le PAI m’ont permis d’acquérir une certaine expérience d’organisation, de connaître davantage les hommes, notamment les difficultés ou  la délicatesse de la matière que constitue l’homme. Elles m’ont permis aussi de découvrir  et de connaître les tentacules de la police politique, de quoi est capable cette police. Ces premières années d’activités m’ont convaincu également de la justesse de la théorie marxiste-léniniste selon laquelle les instruments de l’appareil d’Etat sont au service de la classe au pouvoir. Et par conséquent la lutte pour le pouvoir ne peut être que par la violence, c’est –à dire que la conquête du pouvoir ne peut se faire par la voie démocratique mais par la voie révolutionnaire, autrement dit par la voie de la lutte armée. Voilà quelques exemples vécus parmi tant d’autres.

 

Au début de l’année scolaire 1959-1960, j’ai reçu une décision d’affectation à l’école de Bandafassi, cela à ma demande, pour être plus près de mes parents à Bantata, dans le Gnokholo. Quelle a été ma surprise d’apprendre que cette affectation avait été annulée. Renseignement pris, c’était Mady CISSOKHO qui avait fait une intervention au niveau du Ministre de l’éducation nationale à cet effet, car il estimait que ma présence dans le Département constituerait une menace à sa politique. Alors on m’affecta à Bakel en suppléance pour remplacer un collègue qui n’y a pas rejoint son poste. Il était parti en aventure en France comme c’était de mode à l’époque pour une certaine catégorie sociale du pays.

 

 



04/09/2017
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