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LIVRE DE SADIO CAMARA : CHAPITRE VI : TOURNEE D’INFORMATION DANS LES ZONES D’OPERATIONS MILITAIRES

Notre tournée débuta à Wassadou, village situé à l’embouchure de la rivière Gnériko, sur sa rive gauche, là où la route Dialacoto- Tamba la traverse par un pont métallique. Wassadou est un village tristement célèbre dans la région de tambacounda et peut-être même dans la  sous région ouest-africaine de par le rôle qu’il joua dans les travaux forcés imposés aux populations de l’Afrique Noire sous domination de la France particulièrement à ceux de cette partie du Sénégal.

 

Entre Dialacoto et la rivière Gnériko, du Sud au Nord à partir du fleuve Gambie, s’étendent de vastes terres agricoles bien arrosées. Pendant la seconde guerre mondiale, 1939-1945, le choix de la puissance coloniale se porta sur ces terres pour la culture extensive du sisal, son traitement et la production industrielle de sacs et de cordes pour la métropole française. Celle-ci avait son industrie démantelée par la guerre à quoi s’ajoutait l’occupation de la France par l’Allemagne Nazie. Il lui fallait des industries de substitution dans ses bases arrière que constituaient ses colonies comme l’ex-AOF dont le Sénégal était partie intégrante.

 

La France coloniale implanta donc une industrie de traitement du sisal et de fabrication de sacs et des cordes à wassadou. Elle mobilisa les populations valides masculines par la force pour les contraindre à cultiver des km2 de sisal, c’était ce qu’on appelait « travaux forcés », la forme coloniale de l’esclavage, la pire des formes d'esclavage. Si dans les autres formes d'esclavage, l'esclave était nourri pour ne pas le laisser mourir de faim, tel n’était pas le cas pour l'esclave colonial. Après qu’on l’ait fouetté pour l’obliger à donner le meilleur de lui-même au travail, il était laissé à lui-même pour trouver sa pitance.

 

Tel était le sort de millier d’africains dont des sénégalais, soumis aux travaux forcés dans la sisalerie du wassadou. En plus des coups de fouets qui lacéraient leur peau, la sous- alimentation, leurs entassements dans des paillotes à même le sol, les mauvaises conditions d’hygiène les livraient à des épidémies comme la grippe, le choléra, la fièvre typhoïde, etc.

 

 Ainsi des milliers de compatriotes ouest africains y périrent. Alors, la plantation de sisal apparut aux yeux des populations comme une usine de la mort. Ainsi un parent recruté pour la sisalerie était perçu comme un mort vivant, les siens n’avaient pas espoir de le revoir. Pour cette raison, l’imaginaire populaire baptisa le lieu de Wassadou, signifiant la résignation, sous-entendu la mort.

 

Il serait intéressant de mener des recherches sur Wassadou pour faire connaître son histoire. Il constitue un site historique, un patrimoine national, une page de l’histoire coloniale dans notre pays. Le plus immédiat serait de préserver les quelques ruines de l’usine qui existent et quelques cases en briques de banco qui servaient d’abris aux travailleurs de la plantation.

 

Vue des ruines de la cisaillerie de Wassadou, photos prises en 1985 lors de nos tournées politique

 

 

Nous traversions donc le fleuve Gambie à Wassadou, en pirogue dans une matinée et parcourions le Tanda-Damantang, le pays bassari, le Bandemba, le Gnokholo, le Diakha, une partie du bélédougou et le Tanda Gamon, soit 500km de parcours à pied. Sur le long du parcours, nous évitions tout contact avec les populations. Pour ce faire, nous contournions villages et champs. A l’occasion des rencontres fortuites avec des personnes, nous nous présentions comme des commerçants de bœufs.

 

En traversant le fleuve Gambie, j’ai retenu dans les conversations du passeur avec les autres passagers qu’ils nous soupçonnaient d’être des gens recherchés par les services de sécurité de l'Etat. Il disait aux autres en  malinké « gning noumou mokho diakho lélouti » signifiant : ces gens là sont des ennemis publics. C’est la caractérisation que les agents de l’administration et de la sécurité nous donnaient dans ces milieux. Nous nous trouvions au milieu du fleuve. J’avais rétorqué en malinké que c’était lui l’ennemi public parce qu’il faisait traverser ici des trafiquants et autres personnes louches contre de l’argent et qu’une fois de retour à Tambacounda je le dénoncerai comme un infidèle collaborateur de la police et de la douane. Surpris que je comprenais et parlais malinké et aussi de ma réponse, il se repentit en excuses et pardons. Tant mieux pour lui, j’étais prêt à lui loger dans la tête une balle de mon pistolet.

 

A Damantang, en contournant le village, nous nous sommes trouvés devant des marécages infranchissables parce que pleins d’eau de plus d’un mètre de hauteur. Nous avons été contraints de traverser un champ gardé par des enfants de huit à douze ans. Dès qu’ils nous aperçurent, ils coururent  avertir les autorités du village de notre présence ; ceci d’autant que nous savions qu’un agent de sécurité y séjournait en permanence. Nous avons vite rejoint, pieds nus, la route menant dans notre direction à  un kilomètre. Nous la quittions en effaçant nos traces pour nous percher sur une colline sous des buissons, surplombant la route. Cinq à dix minutes après, nous vîmes passer un agent armé accompagné de deux jeunes paysans, tous à vélo.

 

Une heure après, nous poursuivîmes notre route. Au bout de deux heures de marche, nous dépassâmes un village à notre droite, à deux cent mètres de la route, un homme bien habillé en grand boubou nous héla. Voyant que nous ne répondions pas, il nous rejoignit à grand pas et nous salua. Puis il nous demanda qui nous étions et où nous allions. Nous répondîmes que nous étions des marchands de bœufs et que nous allions en pays bassari pour chercher des bœufs. Il nous fit remarquer qu’il faisait nuit et nous invita à aller à la maison passer la nuit et poursuivre notre route le lendemain matin. Nous répondîmes que nous étions pressés parce que nos clients nous attendaient à Salémata. Nous partîmes en le laissant nous supplier d’aller dans sa maison. Visiblement, ce monsieur voulait nous attirer dans un piège Par son habillement et la délicatesse de sa peau, il n’avait rien de paysan. Si nous avions répondu à son invitation, il nous aurait fait arrêter. Mais nous étions très confiants en nous-mêmes, car nous avions une carabine qui était dissuasive et mon pistolet que j’avais toujours à la ceinture prêt à crépiter sur qui tenterait de nous toucher.

 

Un autre désagrément nous attendait sur la route, le troisième jour de notre marche. Fortuitement, nous nous trouvâmes nez à nez avec l’agent de Damantang et un de ses hommes à une courbe de la route, dans une rizière avec de hautes et abondantes herbes. Nous nous dispersâmes dans la verdure. J’étais suivi par le camarade Dublinki, tandis que le camarade Madior Bouna NIANG s’était porté de l’autre côté de la route. Quelques temps après, nous entendîmes un coup de fusil. C’était l’agent de Damantang. Le camarade Dublinki et moi, nous eûmes quelques inquiétudes. L’agent avait-il tiré sur Madior Bouna NIANG ou lui avait-il fait  peur ? Mais le temps mis entre le moment où nous nous étions dispersés  et celui de la détonation semblait confirmer la seconde éventualité. Pour avoir le cœur net, je montai sur un arbre à 300 mètres de là aux abords de la route. Je n’arrivais à rien distinguer. Alors, nous nous portâmes plus loin (dans le sens de la marche de l’agent) sur une colline franchie par la route. J’ordonnai à Dublinki de m’attendre à 50 m de la route dans les herbes. Je partis me poster sous un buisson au bord de la route. Au bout de dix minutes, je vis venir l’agent traînant son vélo lourdement chargé suivi de son compère. A dix mètres, je sortis, face à lui, et tire deux coups de pistolet. Ne le voyant pas tomber, j’avance de cinq mètres pour être sûr de l’abattre. Je le voyais trembler comme une feuille morte ainsi que son compagnon. Immédiatement, un sentiment de mansuétude m’envahit et je renonçai pour retrouver le camarade Dublinki.

 

Il nous fallait maintenant retrouver le Camarade Madior Bouna NIANG. Nous  repartîmes au lieu de la rencontre avec l’agent. De là, nous suivîmes ses traces jusqu’à l’endroit fixé par le plan d’urgence communément élaboré à l’avance. Là nous le retrouvâmes mais sans aucun de ses bagages y compris la carabine. Alors je me souvins avoir aperçu quelque chose de ce genre attaché sur le vélo de l’agent. Nous ne fîmes pas de reproches au camarade, mais plutôt nous le félicitâmes et l'encourageâmes.

 

Jusque là nous marchions sur la route. Et cela nous causa quelques mésaventures. Nous décidâmes de laisser la route désormais au profit de la broussaille selon la règle de l’art en la matière…

 

Dans le pays bassari comme dans le Bandemba, le Gnokholo, dont Kédougou commune, je prenais des contacts nuitamment, avec des camarades et amis.

 

Je le fis également avec ma famille dont ma mère que je ne reverrai plus. Elle mourut en avril 1969 à la suite d’une maladie pendant que je me trouvais à Dakar dans la clandestinité. En plus de la maladie, il faut dire aussi qu’elle était âgée et devrait avoir plus de quatre vingt (80) ans.

 

A la suite de ces contacts, je pus mesurer encore mieux l’ampleur de la terreur exercée sur les populations : les méthodes utilisées, les moyens mis en œuvre, les tortionnaires et leurs collaborateurs, les victimes de la répression. Le département en général mais plus particulièrement le Gnokholo, fourmillaient d' espions, d’indicateurs de la sécurité du régime.

 

Ma personne était au centre des préoccupations des forces militaires et policières aiguillonnées par les autorités politiques et administratives de la région de Tambacounda, mais plus particulièrement celles du département de Kédougou avec, comme chef de file, Mady CISSOKHO, alors responsable de la coordination UPS de la région, Député-Maire de kédougou, Ministre de Senghor. Pour elles, il fallait me trouver coûte que coûte vif ou mort. Pour  ce faire tout a été mis en œuvre : intimidation, chantage, corruption, violence physique gratuite sur mes proches et amis.

 

Des volontaires pour me capturer vivant ou mort, auraient été armés de pistolets et équipés de vélos et financés pour parcourir le département à ma recherche pour motivation alléchante avec une prime de deux millions de francs CFA. Des valises remplies de billets de banque auraient, été exhibées devant des parents à Tomboronkoto pour les inciter à me dénoncer, etc.

 

Ma présence aurait été signalée partout dans les villages. Plusieurs fois, on aurait retrouvé mes traces, reconstitué mon itinéraire et repérer le village où je me cachais. Que de fausses pistes ! Je serais signalé partout à la fois comme si j’avais la faculté d’être présent dans plusieurs lieux à la fois. Des militants zélés de Mady CISSOKHO et ou des chasseurs de primes à ma capture et mêmes des unités militaires m’auraient traqué quelque part sans cependant me capturer parce que de manière instantanée, je devenais invisible ou que je me volatilisais comme de l’éther.

 

Des patrouilles militaires auraient été parachutées dans la forêt de Gnokholokoba, au Nord-Est, sans succès. Plutôt, elles auraient perdu un officier d’élite mort de soif avec une arme sophistiquée. L’éventualité de la perte de cette arme ou sa possession par nous, aurait donné des sueurs froides aux autorités militaires plus que la disparition de leur officier. Enfin de compte, le Commandant Alphonse fut déclaré mort ou parti à l’étranger après qu’il ait traversé la frontière avec le Mali. Malgré tout, on assura le quadrillage policier de la zone pendant plus de dix ans.

 

Bantata, mon village, a été encerclé et assiégé pendant un mois durant par des  troupes militaires franco-sénégalaises.

Les populations rassemblées de force au soleil derrière les maisons au moment le plus chaud de la journée, les cases fouillées, les greniers saccagés à la recherche d’armes et de guérilleros cachés. Ils regardèrent dans les plafonds, dans les arbres. Les personnes soupçonnées d’être des militants PAI ou d’être en rapport avec nous et nos parents étaient embarqués de force dans les camions militaires pour Mako et/ou Kédougou pour y être interrogés, torturés, humiliés puis gardés à vue sans repas ni eau. Les femmes chargées des travaux domestiques, notamment de l’approvisionnement en eau à partir des marigots et en bois mort, étaient bloquées dans le village jusqu’à la fin des opérations de fouille.

 

Les personnes arrêtées torturées et humiliées avant d’être mises en prison à Kédougou étaient entre autres :

- Néning Sara CAMARA de Nétékoto  pour avoir hébergé et dissimilé les activités de Fily Diallo alias Lary Gassy, retrouvé mort

- Dièry CAMARA de Médioucounda reconnu comme représentant de Sadio CAMARA alias Alphonse et de son Parti

- Séniding CAMARA de Santossou pour avoir reconnu la justesse du motif de la lutte de Sadio CAMARA

- Dioncounda CAMARA de Diandiancounda pour avoir nié qu’il connaissait Sadio

- Noro Tamba CAMARA de Barambaki

- Sina SADIAKHOU de Sadiakhoucounda

- Fily CAMARA de Diadiancounda.

 

Ils ont tous été battus avec des ‘’Life’’ et des coups de crosse. Certains ont même reçu des décharges électriques notamment Néning Sara qui a longtemps traîné avec des traces de brûlure. En plus des violences  corporelles, ces personnes arrêtées et mises en prison à Kédougou, ont été privées de nourriture pendant plus de deux jours.

 

Le village de Bantata a été privé de toute assistance économique et médicale par l’Administration locale pendant tout le règne de Mady CISSOKHO sur le Sénégal-oriental. Tout jeune identifié comme étant ressortissant du village de Bantata ne pouvait trouver du travail à Kédougou pendant ce temps-là. C’est dire que Bantata et ses habitants ont payé un lourd tribut pour leur soutien au PAI et même plus tard au PIT. Malgré tout, les populations de Bantata sont restées dignes et solidaires de Sadio CAMARA.

 

Le chef de village de Bantata, Malou NFafy CAMARA, un cousin à moi, avait tenu tête avec courage et lucidité aux forces de répression franco-sénégalaises. En effet, il avait pu résister à leurs intimidations et menaces. Avec fermeté il avait affirmé et soutenu que Sadio CAMARA était bien leur fils et leur frère et le resterait. Il leur avait fait comprendre que Sadio CAMARA était un intellectuel et fonctionnaire qui ne vivait pas en permanence avec eux et par conséquent, il n’y avait pas de raison de tenir pour responsables les villageois de ses activités politiques. Somme toute, Malou Nfaly s’était très bien acquitté de son devoir de Patriarche, mais aussi et surtout il avait fait preuve  d’être un homme digne et courageux au cours de ces douloureux événements.

 

A travers le chef de village, je remercie toute la population de Bantata pour m’avoir soutenu dans ces moments difficiles, lui rend un hommage exceptionnel pour son courage et lui exprime ma profonde reconnaissance.

 

A Kédougou commune, les habitants étaient maintenus dans la crainte permanente : interdiction d’éclairage dans les maisons, dans les chambres et cases, coucher obligatoire à partir de 19 heures et interdiction de sortir jusqu’au lendemain matin à 8 heures. Ici, le cas le plus caractéristique a été celui de mon ami Lamine FOFANA, alors infirmier à Kédougou. Il a été accusé mensongèrement par Mamoudou CISSOKHO (ancien député–maire de Kédougou) d’être en rapport avec moi et devait  savoir où je me trouvais. Dieu sait que Lamine FOFANA était simplement un ami. Jamais je ne lui avais fait part de mes activités politiques et lui aussi de son côté ne s’en était jamais mêlé.

 

C’était un homme tranquille qui ne saurait tuer une mouche. Mais voilà, il a été calomnié par ce monsieur tristement célèbre à Kédougou surnommé par l’imaginaire populaire comme le génie du mal. Il a été arrêté, emprisonné, a fait l’objet de brimades et d’interrogatoires des jours durant par un tribunal spécial à Kédougou sous la présidence alternative de Bélal LY, de Mamoudou CISSOKHO et autres autorités militaires et ou administratives.

Il faut signaler également le cas d’un certain Boundankoro DANGNOKHO, qui aurait été un Agent ‘’ souterrain’’ dans l’accusation mensongère contre Lamine FOFANA. En effet ce Boundakoro était un personnage assez singulier. Je me rappelle encore, quand nous étions jeunes élèves, il avait eu affaire à Amath DANSOKHO. Dans ce conflit, Amath avait failli lui ouvrir le ventre avec un couteau n’eût été l’ intervention de son défunt père le Vieux Bakary DANSOKHO.

 

Dans cette atmosphère de terreur, la délation (dénonciation secrète et mensongère contre de l’argent) se généralisa et entretenue par les autorités, de manière cupide et abjecte. Par exemple, on me rapportera plus tard les propos d’une de ces autorités qui évoquait de manière nostalgique, combien était juteuse « la chasse aux militants et sympathisants du PAI à Kédougou. Elle demandait et obtenait n’importe quelle somme et à tout moment. Ce qui lui aurait permis de faire de bonnes économies et de se construire une belle villa à Dakar. Il faut reconnaître que la délation à l’époque, « de la chasse aux PAI » à Kédougou nourrissait bien son homme. Selon nos sources et même l’opinion publique :

- Une information ordinaire serait payée au délateur : 3000F ;

- Une information vérifiée rapporterait à son auteur 15 000F.

 

Beaucoup de personnes dans  Kédougou commune ont rivalisé dans cette besogne. Les informations rapportées sont unanimes sur les délateurs et les tortionnaires suivants, parmi beaucoup d’autres :

- Mady CISSOKHO : Commis d’administration de profession, à l’époque responsable de la coordination régionale UPS-PS de Tambacounda, ministre des Travaux publics, de l'urbanisme et des Transports. Il était le premier organisateur de la répression. Non seulement il aiguillonnait et orientait les autorités administratives et militaires mais  mobiliserait des militants UPS-PS et les feraient armer pour la chasse à l’homme, la chasse  aux PAI. Ils constitueraient des auxiliaires précieux pour les armées et les polices qui avaient investi la zone. Même après les opérations militaires et policières, Mady CISSOKHO avait continué à jouer son acharnement contre nous, principalement contre ma personne.

Ainsi, entre autres exemples, six  ans après, en 1971, un de ses militants m’avait reconnu dans une maison conspirée où j’habitais à Dakar. Il espérait trouver là une occasion pour avoir de la fortune à partir du budget du ministère de l’intérieur car il venait de perdre son emploi de pompiste à la station d’essence. Il alla donc en informer Monsieur Mady CISSOKHO qui à son tour s’en était ouvert à Jean Collin, alors Ministre de l'intérieur. Ce dernier envoya sur les lieux ses hommes mais sans résultats. Mady CISSOKHO rappelait toujours Jean Collin pour s’enquérir des suites  de la recherche de Sadio.

Ses interventions intempestives finirent par agacer son collègue qui  aurait fini par l’inviter à s’occuper de ses affaires.

 

Je dois préciser que le militant informateur de Mady CISSOKHO cité plus haut était Mamadou SIDIBE fils de feu Bintou Lamine SIDIBE et qui se trouvait être mon beau-père par alliance. Pour la petite histoire, il paraîtrait qu’ après être reconnu comme auteur de l’information donnée à Mady CISSOKHO, Mamadou Sidibé aurait été approché et chambré par un groupe de jeunes ressortissants de Kédougou à Dakar. Ces derniers lui aurait fait une sévère  remontrance, en lui rappelant surtout ses liens avec Sadio. C’est à la suite de cet événement qu’il serait rentré à Kédougou avec sa famille où il mourra quelques années plus tard.

J’exprime ici, mes sincères remerciements et ma reconnaissance à ces jeunes qui avaient pris fait et cause pour moi dans le plus grand anonymat dans cette histoire.

 

Bélal LY : Officier de l’armée sénégalaise, ancien aide de Camp de Senghor  était Préfet à Kédougou. A ce titre, il coordonnait et orientait les opérations militaires et policières, assurait lui-même les interrogatoires et dirigeait les tortures.  Il se levait à cinq heures pour faire le tour de la ville en jeep, une manière de terroriser psychologiquement les populations.

 

Bélal LY s’était juré de me prendre parce qu’imbu de son expérience au Viêt-Nam où il avait été mercenaire du colonialisme français se battre contre les patriotes vietnamiens, contre l’indépendance du peuple vietnamien. Il est intéressant de rapporter ici les propos échangés entre Bélal LY et le camarade Bara HANNE alors tombé entre ses mains.

 

Par servilisme au néocolonialisme français et par ignorance crasse de l’histoire de la colonisation, Bélal LY reprochait à Bara HANNE son appartenance au PAI, son comportement anti-néocolonialiste, son comportement pour la sauvegarde de la patrie et pour la justice sociale. Il l’avait traité de « mauvais toucouleur ». Et le camarade de répliquer : « le mauvais toucouleur c’est bien toi qui t'es mis au service des blancs égorgeurs de nos peuples. Nos ancêtres se sont battus contre les colonialistes européens que tu sers, défends aujourd’hui. Par contre, contrairement à toi, moi je suis sur les traces de nos ancêtres toucouleurs comme El Hadji Oumar  contre les colonialistes français et leurs laquais nationaux comme toi. Le bon toucouleur donc c’est bien moi et non toi ». C’était là une bonne leçon d’histoire et de civisme rappelée à ce serviteur toucouleur du colonialisme français et de ses nègres de service.

 

Chaque peuple compte en son sein bien des héros, des patriotes ardents et intelligents,  capables de hauts faits pour leurs pays et leurs peuples. De même, il compte également des apatrides de tout acabit.

 

Bara HANNE, le "bon toucouleur" parce que patriote ardent, militant exemplaire P.A.I

Un génie militaire d'une grande capacité d'endurance physique et morale, un grand humaniste

 

- Mamoudou CISSOKHO : infirmier de profession, puis Député-Maire. C’est lui qui avait été l’instigateur principal des fausses accusations contre mon ami Lamine FOFANA rapporté plus haut. Il est surnommé par l’imaginaire populaire comme le « dieu du mal » parce que n’ayant jamais voulu du bien à autrui.

- Hassane DIENE : gendarme à l’époque à Kédougou, il menait des interrogatoires accompagnés de sévices physiques exercés sur  ses victimes.

- Ylla SENE : interprète au service des autorités dans le Gnokholo, un des principaux collaborateurs de Bélal LY. Non seulement il accompagnait celui-ci dans ses tournées mais aussi toute autre autorité à travers le Gnokholo pour servir d’interprète et d’agent de basses besognes parmi les populations : corruptions, menaces, chantages, insultes. Il proférait des calomnies contre ma personne et contre le PAI.

- Georges DIARRA : chauffeur de son état à Kédougou, il s’était aussi porté volontaire pour participer à ma capture. A ce titre, il était armé et conduisait les autorités militaires et policières à travers le département. Il proférait des propos violents contre les parents et militants PAI, des calomnies gratuites sur ma personne et sur le PAI.

- Malaw GADIAGA : ancien détenu de droit commun, tailleur puis coxeur à la gare routière de kédougou, assénait des coups aux militants PAI, amis et parents tombés dans les mains des forces de répression. C’est ce qu’on appelle un tortionnaire.

- Baba SAKHO : Commerçant établi à Kédougou, dépossédait de leur argent et autres biens les camarades, amis et parents arrêtés par les forces de la répression.  C’était un aventurier qui nous était venu de la Guinée Conakry, un rescapé de Sékou  Touré, un contre révolutionnaire.

- Lassana DEMBELE dit DEMBELLO : militant violent UPS-PS, employé à la Mairie de Kédougou, volontaire à ma capture vivant ou mort, a été financé, armé et équipé d’un vélo par Mady CISSOKHO et Bélal LY. Il parcourut activement tout le département à ma recherche.

 

En plus de ces quelques tortionnaires, nous aimerons citer  ici quelques délateurs en raison de l’importance du rôle qu’ils jouèrent dans l’arrestation de personnes soupçonnées d’appartenir au PAI ou d’avoir des relations avec nous. Ce sont, entre autres exemples :

- Yoro DANSOKHO : chauffeur à la circonscription médicale de kédougou. Outre la délation, il se livrait à des provocations contre mes parents et amis et même à des menaces et chantages à leur endroit.

- Hamady SADIAKHOU : Cultivateur à Bantata, conseiller rural UPS de la communauté rurale de Tomboroncoto. C’était lui qui avait signalé ma présence à Bantata, donné la liste des camarades du village. Son frère de même père et de même mère, Moussa SADIAKHOU, mon promotionnaire d’école, un des responsables du parti à Bantata, avait failli le fusiller à la suite de son comportement qu’il jugeait indigne. Comme on le voit la cupidité ne s’embarrasse pas des idéaux familiaux et parentaux, somme toutes d’idéaux humains.

- André Fodé CAMARA : était moniteur à l’école de la mission catholique de Bagnoun. Lui aussi s’était mis au service des forces de police et militaire. Il accusait à tort des personnalités du village comme Diba Moussa CAMARA, prétendant qu’elles entretenaient des liaisons avec moi. En outre, il assuma la tâche de surveiller ma fiancée, ses parents et sa maison pour signaler mon apparition éventuelle à ses côtés.

- Sadioding DIABY : personnage solitaire habitant la ville de kédougou. Sa maison jouxtait celle de Diadié BA, ancien chef de canton du Gnokholo et faisait face à celle de Bintou Lamine SIDIBE où habitait ma première épouse du nom de Penda KOUATE. Bélal LY se serait lié amitié avec Sadioding DIABY pour lui faire surveiller cette maison car, selon leurs renseignements, j’y  venais voir mon épouse ci-dessus mentionnée.

 

Sadioding aurait donné plusieurs fois de suite des informations sur ma présence qui s’avérèrent fausses. La troisième fois, le commandant Bélal LY aurait assuré lui-même la conduite des opérations et aurait ordonné à ses hommes de le bastonner copieusement au cas où ils ne me trouveraient pas. Cette fois-ci encore je ne serais pas au rendez-vous. Alors, les hommes de Bélal LY auraient corrigé sérieusement  Sadioding DIABY. Ainsi aurait pris fin «l’amitié» du tortionnaire sadique et du délateur zélé.

 

Un autre fait se disait également dans les milieux de la ville de Kédougou relatif à une débandade du général et de ses hommes devant des vaches en furie. De quoi s’agissait-il précisément ?

 

Avec la répression tous azimuts menée dans les rangs du PAI et au-delà contre les parents, amis et de simples connaissances de Sadio CAMARA, la maison de ce dernier dans la commune de Kédougou s’était vidée de ses locataires et était restée abandonnée, hantée. Alors des animaux domestiques, notamment des vaches, en avaient fait leur lieu de prédilection pour s’abriter contre les intempéries de saison comme la pluie, la chaleur et le vent. En outre elles y passaient des nuits après des journées de  divagation dans les pâturages en quête de nourriture.

 

Ce changement d’habitants dans les locaux de la maison n’avait et ne pouvait pas être remarqué par les délateurs parce que attirés uniquement par l’appât de l’argent. Ainsi donc, ils rapportèrent à leurs chefs un rendez-vous que Sadio aurait avec son épouse dans le bâtiment  de ladite maison. En conséquence, le général des forces de capture de Sadio CAMARA aurait pris  des dispositions d’encercler les lieux par ses troupes armées de mitraillettes, de fusils, de grenades, etc. Ensuite, il serait allé quérir de force le vieux Bintou Lamine  SIDIBE (père adoptif de mon ex-épouse Penda, donc mon beau-père) pour s’en servir comme otage ou bouclier afin de les conduire jusqu’à Sadio dans la maison.

 

A leur approche des lieux, les vaches, indisposées certainement par l’odeur inhabituelle des troupes et leur matériel que le vent leur apportait du dehors, sortirent ameutées, avec un vacarme tel que le Général et ses hommes se débandèrent…Alors, le vieux Bintou Lamine SIDIBE, indigné, aurait lancé au général et à ses hommes ces propos : « Espèces de couards que vous êtes ; Vous n’avez pas honte de vous servir d’un vieux comme moi qui a les mains nues et vous qui êtes armés jusqu’aux dents, détaler comme des lapins au simple bruit de vaches ».

 

Le lendemain, les commentaires autour de cet incident se seraient répandus dans toute la ville et même au-delà. Des conversations, des commérages, de sarcasmes provoquant des railleries, et des plaisanteries à l’endroit du Général et de ses hommes. Alors, le mythe qu’ils avaient créé autour d’eux par la terreur gratuite s’affaissa et ils observèrent désormais un profil bas devant les populations.

 

Cette réaction du Vieux Bintou Lamine SIDIBE n’était pas surprenante pour moi qui le connaissais très bien du fait qu’il avit été mon beau-père. Le vieux Bintou Lamine était bien connu dans la ville de Kédougou et dans tout le Département pour son franc parlé et son esprit indépendant. Il vouait une admiration pour ma personne à raison de ma conduite.  Voilà pourquoi lors de la campagne menée contre le PAI dans le Département de Kédougou, il se faisait écho, publiquement et à haute voix dans les rues de la ville, du courage et de la bravoure de Sadio CAMARA,  tout en insistant sur sa détermination et ses pouvoirs mystiques étendus. Il est probable que ses propos aient créé de la panique dans les rangs des forces de répression. C’est pourquoi, pour faire taire le Vieux et prouver que Sadio n’était pas invincible, Bélal Ly avait monté avec ses hommes cette opération d’encerclement de la maison de Sadio.

 

La tournée s’acheva. Nous envisageâmes de rejoindre les rives de la Gnériko. Sur le chemin du retour nous perdîmes le camarade Dublinki, dit Baba DIOP de Rufisque, dans la circonstance que voilà.

 

Le camarade avait eu mal aux pieds, je crois que c’était la goutte, une fluxion articulaire très douloureuse qui lui faisait atrocement mal aux articulations des deux pieds. Il marchait difficilement. Nous étions en bivouac dans les environs d’un village de culture de Gnéménéki.  C’était en octobre, vers la fin de l’hivernage, mais les herbes étaient encore fraîches, la brousse touffue avec différentes plantes entièrement verdoyantes.

 

Au repos sur le flanc d’une colline, nous entendîmes un coup de fusil dans la plaine de l’autre côté de la même colline. Je me levai pour observer, j’aperçus deux hommes (dont l’un avec un fusil de chasse dans les mains, l’autre le suivant) venir en notre direction, à cent mètres de nous. J’ordonnai le départ par des signaux de la main… le camarade Dublinki, lui ne le put, ses pieds lui faisaient défaut… Les deux hommes l’aperçurent, le rattrapèrent et l’arrêtèrent. Des échos d’échanges de propos avec lui me parvenaient…

 

Il fallait m’assurer que le camarade avait été bel et bien arrêté par les deux hommes. A cet effet, j’avais placé le camarade Madior bouna NIANG et les bagages en un lieu sûr pour me porter sur une colline aux abords de la route menant à Gnéménéki. Effectivement, j’aperçus le camarade les mains ligotées derrière le dos suivi derrière par le monsieur, le fusil au poing braqué sur lui.

 

L’herbe était morte sur cette partie de la route et il n’y avait pas d’arbres pour me permettre d’être à l’affût pour libérer le camarade à l’aide de mon pistolet. La mort dans l’âme, je rejoignis le camarade Madior. Nous n’étions plus que deux rescapés : le camarade Madior Bouna NIANG et moi-même. Nous décidâmes de nous porter sur les rives de la rivière Gnokholo-Koba pour observer un temps de réflexion.

 

 



20/09/2017
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