PROPOS A PROPOS DE LA BOUGEOISIE NATIONALE SENEGALAISE
- Constitution dés 1960 de la Fédération des groupements économiques africains (FGEA) qui regroupait les hommes d’affaires et artisans sénégalais.
- En 1965 se créait un autre groupement connu sous le nom de Chambre syndicale du patronat sénégalais.
- En 1968, fusion des organisations ci-dessus, Congrès constitutif avec la présence de 2600 délégués qui aboutit à la création de l’Union des Groupements Economiques du Sénégal (UNIGES)
Rapport de M. Abdoulaye DIOP, vice-président du comité national de fusion.
Extrait de son rapport au congrès constitutif «En un mot, la situation économique du Sénégal se présente comme suit :
«Les étrangers sont riches et s’enrichissent davantage tandis que les sénégalais sont pauvres et s’appauvrissent.
«Les sénégalais travaillent et consomment en totalité leurs revenus qui sont de 13.728.000.000F CFA ; ce qui est le plus grave, ils s’endettent.
«Les non sénégalais qui ne représentent que 0,5% de la population active du Sénégal, gagnent 57.691.000.000F CFA. Ainsi vivant très aisément, ils peuvent encore économiser et investir à l’extérieur du Sénégal 43.258.000.000F CFA, ce qui représentent les ¾ des sommes gagnées au Sénégal.
«Chaque année donc le Sénégal s’appauvrit de 43.300.000.000F CFA, l’équivalent de son budget national.»
- En 1967, sur les 22 Milliards de crédit, les sénégalais n’en avaient reçu que 3%.
- Prendre des mesures discriminatoires réservant aux nationaux sénégalais certains secteurs.
- Un mois à peine après la constitution de l’UNIGES, une scission éclate, et, en Août 1968, se tient à la Chambre de commerce de Dakar, un congrès qui aboutit à la création d’un nouveau groupement connu sous le nom de COFEGES (Conseil fédéral des groupements Economiques Sénégalais). Les leaders les plus en vue étaient les PDG de la CSSE (Compagnie Sénégalaise du Sud-est) et de la SOCESI (Société Sénégalaise pour le Commerce et l’Industrie) de Ousmane DIAGNE.
- Un an après la création du COFEGES, une autre opération fusion eut lieu sous l’égide du parti au pouvoir. En Juillet 1969, quand le GES (groupement économique du Sénégal) naquit, son bureau fut composé de 15 ex-membres du bureau du COFEGES, de 15 ex-membres du bureau de l’UNIGES et de 5 membres du bureau politique de l’UPS.
- Evolution des regroupements qui a fini par donner naissance aujourd’hui à 4 groupements distincts qui prétendent défendre les intérêts des hommes d’affaires sénégalais.
Il s’agit :
- Du Conseil national du patronat (CNP) ;
- De la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES) ;
- De l’Union Nationale des commerçants et industriels du Sénégal (UNACOIS)
- Et du MEDES (Mouvement des entreprises du Sénégal)
Cette désunion est bien le résultat des manipulations incessantes du pouvoir en place.
- La mise en œuvre continue de cette politique du « diviser pour régner » a donné naissance à un autre mouvement dénommé ROES (Regroupement des operateurs économiques du Sénégal) et à l’éclatement de l’UNACOIS en deux branches distinctes : UNACOIS/ JAPPO et UNACOIS/FC.
Deux constats, dialectiquement liés, résultent de cette évolution, l’un expliquant l’autre.
Le premier constat révèle que la bourgeoisie nationale n’a commencé à se signaler qu’en 1960, après l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale. On ne l’a sentie nulle part dans la période antérieure, période des luttes pour la conquête de l’indépendance nationale.
Ces luttes ont été portées par la classe ouvrière, la jeunesse et la petite bourgeoisie intellectuelle dans leurs différentes organisations qui ont marqué historiquement la période.
La clase ouvrière dans l’UGTAN (Union générale des travailleurs d’Afrique noire), la jeunesse à travers la FEANF ( Fédération des étudiants d’Afrique noire en France), l’UGEAO (Union générale des étudiants d’Afrique occidentale), le RJDA ( Rassemblement de la jeunesse démocratique africaine), le CJA ( Conseil de la jeunesse d’Afrique), le CJS ( Conseil de la jeunesse du Sénégal), et la petite bourgeoisie intellectuelle avec ses armes qu’étaient le PAI (Parti africain de l’indépendance), et le PRA/Sénégal ( Partie du regroupement africain section Sénégal).
Et le référendum du 28 Septembre 1958 vint pour le confirmer. Seules ces couches de notre peuple appelèrent à voter « NON » à la Constitution proposée par le général de Gaule. C’est l’une des raisons pour lesquelles elles furent les premières cibles à abattre par le pouvoir néocolonial installé suite à l’octroi de l’indépendance intervenue le 04 Avril 1960.
La bourgeoisie nationale était totalement absente de ces luttes. Mais cette absence se justifie historiquement par son inexistence en tant que classe, même à l’état embryonnaire.
Le pouvoir colonial s’est installé en amenant dans ses bagages des forces économiques organisées qui ont occupé intégralement l’espace en ne laissant aucune issue pouvant permettre l’éclosion d’une bourgeoisie d’affaires aux couleurs nationales. Il s’agit des maisons commerciales Bordelaises et Marseillaises telles que Maurel et Prom, Buhan et Teisseire, Chavanel, Devès et Chaumet, Peyrissac, la SCOA, la CFAO, la NOSOCO, V.Q. Petersen, Maurel et Frères, Barère, Boutit, Duprez, etc.
Auxquelles il faut ajouter l’installation des libano-syriens, des guinéens (diallo keriñ) et des mauritaniens (boutigu naar). Tout l’espace était ainsi occupé par des non nationaux dans l’intérêt bien compris de la puissance coloniale.
Tout le commerce de gros, demi-gros et de détail était tenu par des étrangers et l’accumulation du capital qui pourrait en résulter ne pouvait et ne devait servir que pour les pays originaires des détenteurs effectifs de ces affaires.
L’absence d’engagement politique et de lutte active pour la conquête du pouvoir allait marquer durablement la bourgeoisie nationale sénégalaise. Ce qui l’amena à privilégier l’action sur le terrain purement économique où le rapport de forces ne lui est pourtant guère favorable. Toutes ses tentatives sur ce terrain sont l’objet d’une agression permanente qui la voue au sort de Sisyphe.
Cette absence de la bourgeoisie de l’action politique est le second constat fait suite à l’examen de sa conduite face aux grandes batailles du peuple en vue de son émancipation.
Absente des luttes historiques du peuple pour la conquête de l’indépendance nationale, elle l’est restée depuis la proclamation de l’indépendance jusqu’à nos jours.
Sa place est restée vide dans toutes les batailles qui se sont déroulées entre 1960 et 2014. Ce sont les mêmes couches sociales qui étaient sur le terrain de l’action dans la période des luttes pour l’indépendance nationale qui ont continué de jouer le rôle moteur dans les luttes post indépendance qui ont entrainé les changements majeurs enregistrés dans la marche de notre pays vers le progrès.
Les grandes mobilisations que connut notre pays en 1968/69, 1988, 2000, 2011 et 2012 sont là pour le prouver. Elles ont été chacune un grand tournant dans la marche de notre peuple vers plus de liberté et de maitrise de son destin.
- 1968/69 a donné la rencontre tripartite du 18 Juin 1968 entre le gouvernement, le patronat et les syndicats qui a eu pour résultat le relèvement du SMIG à 15%, la suppression des zones régionales des salaires et la sénégalisation des emplois. Rencontre dont on parle peu quand on évoque ces événements.
- 1988 a réuni les conditions de l’adoption du Code électoral dit de consensus de 1992 qui allait enfin donner un sens aux élections qui n’étaient jusque là que des mascarades.
- 2000, couronnement des longues luttes des masses populaires marqué par l’avènement le 19 Mars de la première alternance qui mit fin aux quarante années de régime du Parti socialiste. Ce qui paraissait impossible finit ainsi par se réaliser.
- 2011 renvoie à la journée historique du 23 Mars où le peuple mobilisé comme un seul homme a réussi à contrer victorieusement le projet de dévolution monarchique du pouvoir que murissait le Président de la République d’alors.
- 2012 est l’année de la deuxième alternance intervenue le 25 Mars.
Aucun de ces grands événements qui ont rythmé la marche du peuple sénégalais depuis la proclamation de l’indépendance n’a enregistré une participation quelle qu’elle soit de la bourgeoisie nationale.
Ce n’est qu’en 2008, en s’impliquant dans le mouvement des Assises nationales, avec l’adhésion de la CNES et le l’UNACOIS, qu’elle s’est donnée l’opportunité de rencontrer la classe politique sur un terrain d’action où les problèmes sont envisagés sous l’angle politique. Mais malheureusement elle y est entrée par le pied économique qui rétrécit son champ de vision et continue de retarder sa prise de conscience de classe en soi. Cette tare continue de la poursuivre et l’empêche de jouer le rôle qui lui revient dans le large front politique de lutte des forces progressistes, démocratiques et patriotiques de libération nationale et sociale du peuple sénégalais.
Les victoires qu’elle enregistre sur le terrain économique ne sont d’ailleurs que des victoires à la Pyrrhus.
Comme l’illustrent ces propos lus dans les «Mémoires» de Abdou DIOUF à la page 145, alors premier ministre du président SENGHOR dans les années 70. Je cite :
«Les hommes d’affaires sénégalais étaient généralement acquis à ma cause. La raison est que je les ai beaucoup aidés pour qu’ils occupent la place qui est la leur dans l’espace économique du Sénégal. Cette sénégalisation a suscité l’émoi chez les hommes d’affaires français notamment qui sont allés se plaindre auprès du président SENGHOR, mais je maintins le cap, convaincu que je défendais la bonne cause.
« C’est ainsi que nous avons mis en place la SONAGA et la SONEPI et je recevais régulièrement les gens du GES.
« C’est aussi dans cet esprit que j’ai demandé à Babacar BA, avec le compte K2, d’aider les sénégalais à être des hommes d’affaires quand bien même on sait quelle est la tournure malheureuse que cette initiative a prise puisque certains sont allés dire que c’est Babacar qui aidait alors que lui n’avait que reçu des instructions et lui-même a mal utilisé le compte K2 pour se faire une clientèle et on a vu le résultat que ça a donné. »
En ce qui concerne le compte K2 il est donné l’éclairage suivant, toujours à la page 119 des « Mémoires ». Je cite : « En 1973, le président SENGHOR avait crée au sein de la BNDS le compte K2 charger d’aider à la mise en place d’une bourgeoisie nationale susceptible de prendre les rènes économiques du pays qui se trouvaient jusque là entre les mains des expatriés. Il en avait confié la gestion à Babacar BA.
«On sait, ou ne sait que trop, l’usage abusif qu’il en fit pour s’attirer une clientèle politique à telle enseigne qu’en 1977 le compte lui fut retiré et confié à la primature, ce qui ne contribuera pas à améliorer nos rapports. »
Ces propos sont relatifs à des faits qui se passaient dans les années 70, les années de la deuxième décennie de l’indépendance.
On en était encore à la stratégie d’«aider les sénégalais à être des hommes d’affaires», de «mise en place d’une bourgeoisie nationale,… ». La réaction des hommes d’affaires français est aussi très révélatrice de l’obstacle que constituait leur présence dans l’espace économique du Sénégal quant à l’épanouissement de la bourgeoisie. Il faut aussi relever le fait que le compte K2 n’a jamais fait l’objet d’un bilan.
La bourgeoisie nationale existe-t-elle réellement au Sénégal ? C’est la grande question que suggèrent avec force les développements ci-dessus. La réponse à cette question pose une autre qui est : Le Sénégal est-il réellement indépendant ?
La réalité sur le terrain est que l’économie nationale continue d’être largement sous la coupe réglée des étrangers, notamment français.
Pour conclure, en laissant grandement ouvertes les portes de la réflexion pour l’avenir, rappelons les propos de Amadou Aly DIENG qu’il a tenus à propos de la bourgeoisie nationale, je cite : « Au sein de cette bourgeoisie nationale on ne trouve ni industriels, ni financiers. Elle n’est pas orientée vers la production, l’invention, la construction, le travail. La bourgeoisie nationale a une psychologie d’hommes d’affaires, non de capitaines d’industrie. »
Dakar, le 28 Janvier 2015
Alla KANE
Militant de YOONU ASKAN WI
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