LIVRE DE SADIO CAMARA. CHAPITRE VI : SUR LES RIVES DE LA RIVIERE GNOKHOLOKOBA
Nous avons passé la saison sèche d’octobre 1965 à avril 1966 sur les rives de la GnokholoKoba, dans le triangle Gnokholokoba-Siminti-Ebarack. Nous rencontrions souvent des chasseurs de caïman, sans être vus, dans les profondeurs du parc. C’était l’époque où la peau de caïman était très recherchée sur le marché européen et des réseaux de battue et de commercialisation se développaient dans le pays. Partout, le long de la rivière Gnokholo-Koba et de ses affluents, ces chasseurs avaient mené une véritable extermination de cette espèce aquatique. Nous nous demandions où se trouvaient les garde faunes.
Pour notre part, nous changions de camp au moins une fois tous les quinze jours et nous nous installions sur les crêtes de collines à deux ou trois kilomètres du lit de la rivière. Nous vivions principalement de cueillette (miel, fruits, amende de noix de rônier) et de pêche à l’hameçon. La rivière était très poissonneuse. Nous prenions de grosses carpes, des silures, des tortues et un poisson que nous affectionnions plus particulièrement, appelé en malinké du Gnokholo «Souyékhé», ce qui signifie poisson cheval, en raison de la forme de sa tête et de ses écailles dorsales semblables aux poils du cou du cheval. Un poisson très joli à la vue, succulent sur langue et adoucissant au ventre. Il nous arrivait de fumer du poisson non seulement pour faire des réserves pour les mauvais jours mais aussi et surtout pour éviter d’aller à la rivière tous les jours. C’était aussi une manière d’éviter les garde- faunes.
Les hippopotames, nous en avions vus dans tous leurs états : en troupeaux dans l’eau, entièrement dehors en bordure de l’eau, visibles à l’œil nu dans des endroits non profonds. Des éléphants, nous en rencontrions en troupeaux avec leurs petits et nous les apercevions s’ébattre dans la rivière. Parfois même, ils passaient tout prés de notre camp. A notre vue ou à notre odeur, ils raccourcissaient leurs trompes, dressaient leurs grandes oreilles pour disparaître à grands pas. Des lions, nous en rencontrions également. Une fois, nous en avons surpris autour de leur proie (un cobe onctueux) dans un buisson au bord de la rivière que nous visions pour nous reposer. A notre apparition incognito, ils disparurent. Nous nous sommes emparés du reste de leur proie. Ce jour a été un bon festin pour nous, heureux de manger de la viande à la place du poisson.
Il nous arrivait d’être réveillés par des animaux nocturnes comme les porcs-épics, les hyènes, les lycaons, les panthères, les chacals. Mais dès qu’on bougeait, ils décampaient ; C’était comme s’ils venaient nous taquiner. Des fois, nous leur rendions la monnaie, surtout s’agissant de l’hyène, en leur jetant des bouts de bois de feu. Parfois, c’était des rugissements de lions qui nous venaient de loin. Des singes, nous en avons rencontrés et même nous cohabitions des fois dans des forêts avec des cynocéphales, des patas, des cercopithèques, des chimpanzés, des colombes, des micros mammifères à l’instar des chauves-souris.
Au cours de ce séjour dans le parc de Gnokholo-Koba, nous avons pu voir et observer de près beaucoup d’espèces animales et d’oiseaux du parc :
- les antilopes que sont les buffles, les bubales, les cobes onctueux, les cobes de Buffon, les cobes de roseaux, les guibres, les ourébis, les céphalophes, etc.….
- les carnassiers que sont les lions, les panthères, l’hyène, les servals, les caracals, les chacals, etc.
- les reptiles : il s’agissait des crocodiles divers, des tortues aquatiques, des tortues de pierres. Nous avons rencontré rarement des serpents.
Mais la découverte la plus sensationnelle pour nous a été la rencontre d’un troupeau de la plus grande antilope du monde appelée l’Eland de Derby, en mandinka Djinko. C’était la première fois que je voyais cette espèce animale de mes yeux. Mon père, qui fut un grand chasseur, me la décrivait comme la plus grande antilope avec ses cornes qui peuvent constituer la charge complète d’un homme adulte. Je me rappelais, quand nous étions à l’école primaire de Kédougou, le commandant de cercle avait ramené de Saraya, dans sa voiture des cornes d’une de cette espèce animale et les avait exposées devant la poste contiguë à notre école. Elles faisaient l’objet de curiosité non seulement des élèves, mais aussi de toute la population de Kédougou, ceci en raison de leur longueur et de leurs grosseurs impressionnantes. Ce que mon père m’en avait dit, je le vérifiais : les deux cornes constituaient effectivement la charge d’un homme adulte. Nous les petits, nous ne pouvions pas les soulever. Les adultes essayaient difficilement….
Revenons à notre rencontre avec ce troupeau de la plus grande antilope du monde, l’Eland de Derby. Nous étions apparus à leur flanc droit, dans une plaine en bordure de la rivière Gnokholo-Koba alors qu’elles broutaient tranquillement.
Au début, nous les prenions pour des grosses pierres de granit comme on en trouve dans cette partie orientale du pays. Au fur et à mesure que nous nous approchions d’elles, nous avions senti que ces énormités bougeaient.
Ma case à Dialakoto où j'ai séjourné lors de mes passages dans ce village de 1965 à 1966
L'épouse du vieux NThiès DOUMBIA qui m'hébergea lors de mes passages à Dialakoto
Des masses énormes ! Leurs faons larges et pesants traînaient à même le sol. A notre vue, elles prirent la fuite. Au départ, difficilement, car leurs faons les gênaient visiblement. Alors, je me rappelai ce que mon père me disait que c’était le moment propice de l’approcher et l’abattre (au fusil bien entendu). Mais, progressivement, leurs faons se rétrécissaient et finirent par se fondre dans leur cou. Alors, elles prenaient de l’élan, la tête haute, les lourdes cornes formant un arc avec leur cou. La terre tremblait sous nos pieds. L’écho de leurs sabots au choc du sol nous parvenait comme des explosions lointaines. Quel phénomène, la plus grande antilope du monde !
Le temps passait irrésistiblement. Nous étions en avril 1966. La brousse se vêtissait de son plus beau manteau verdoyant. Certains arbres et autres plantes herbacées fleurissaient avec des pétales jaunes. L’eau de la Gnokholo Koba montait chaque jour un peu plus dans son lit, en conséquence des pluies tombées au Fouta Jalon et signes précurseurs de l’approche de l’hivernage dans cette partie du Sénégal.
De plus en plus je pensais entrer en contact avec les camarades de Dakar. Pour ce faire, seuls les camarades de Dialakoto pouvaient nous aider. Il nous fallait donc nous rapprocher de ce village. Pour ces raisons nous quittâmes les rives de la Gnokholo koba pour celles de la Gnériko, une seconde fois. Ceci dans les premiers jours de mai 1966.
Entre temps, le camarade Birane Sall fut affecté à Bakel. Je préparais alors le collaborateur Nthi Doumbia pour lui porter un message. Il revint avec de bonnes informations relatives à la présence et aux adresses des camarades de Saint-Louis. En outre, le camarade Birane répondit à ma lettre confidentielle me donnant des conseils et des mises en garde contre les défauts de mon collaborateur indiscret et bavard. J’en avais tenu compte désormais dans mes rapports avec lui.
Nous avions donc passé l’hivernage sur les rives de la gnériko, une seconde fois, sans aucune activité se rapportant aux préparatifs de la guérilla, mais uniquement pour notre auto conversation. Ainsi nous avions le temps avec notre poste radio, de suivre les informations. Les stations de radio écoutées étaient les suivants : Radio Sénégal, radio Moscou, radio Pékin, la Voix de l’Amérique, radio Cuba, radio Londres (BBC).
Ainsi, nous suivîmes le «premier festival des arts nègres de Dakar» et le colloque organisé à cette occasion sur la «négritude», un thème cher à Léopold Sédar SENGHOR. J’ai encore en mémoire une des conclusions du festival des arts nègres répétée à tour de rôle par les intellectuels participants à savoir : «l’unité culturelle de l’Afrique est le rythme».
Mais, la contribution au colloque qui nous avait le plus marqués était celle du R.P Engelberg MWENG intitulée « Négritude et civilisation gréco-romaine ».
Le contenu de sa contribution nous semblait prendre le contre-pied de la conception de Senghor sur la négritude. Par exemple il affirmait que «le nègre que nous rencontrons dans le monde classique est un homme comme les autres. Il ne fait l’objet d’aucune discrimination particulière. Il n’est en tout cas pas victime d’un racisme anti-nègre». en outre, le R.P Engelbert MVENG rapporte dans sa contribution des problèmes encore plus profonds que soulève la lecture des documents anciens comme entre autres «les nègres sont les plus anciens de l’humanité».
« Pour les anciens (l’antiquité) la protection de leurs redoutables armées », s’exprime davantage par : la réputation de leurs dieux en faveur des nègres ; c’est-à-dire que les nègres ont constitué les premiers de redoutables armées, invincibles dans l’antiquité, que l’invention de la politique et des lois est le fait des nègres ainsi que les arts et l’écriture, etc. ».
Cinq ans plus tard, le quotidien national « le soleil » publiera l’intégralité de toutes les communications du colloque sur la négritude dans un numéro spécial du 8 mai 1971 n° 305 auquel je renvoie le lecteur.
Ce fut également sur les rives de la Gnériko que nous apprîmes par Radio Sénégal la saisie du matériel de presse du parti et les arrestations massives de militants suivies de tortures à l’électricité. Ce fut la première fois dans l’histoire de la répression politique au Sénégal que la torture à l’électricité a été appliquée à des partisans de l’opposition.
La saisie du matériel du parti lui porta un coup sérieux, le plus grave jusqu’alors. Car jusque là, le parti vivait et se manifestait dans la vie nationale et internationale au moyen de sa presse. A partir de la presse, il se faisait l’écho des luttes politiques et sociales, intervenait sur des problèmes nationaux et dégageait des orientations et des mots d’ordres pour l’opinion publique.
Bien que circulant sous les boubous, la presse du parti était la plus affectionnée et la plus lue. A chaque événement, l’opinion publique attendait l’analyse du parti et ses orientations. C’est dire qu’elle jouait son rôle de propagande, d’agitation et d’orientation.
En outre, au plan interne, la presse du parti constituait un facteur décisif de liaison, d’organisation et d’éducation de ses militants et aussi de liaison avec les masses.
A partir de la saisie de son matériel de presse par le pouvoir, le parti ne put s’acquitter correctement de ces multiples tâches qu’il faisait jouer par ses publications. Alors, il entra dans un silence plus ou moins complet, s’effaça plus ou moins de la vie politique jusqu’à la tenue de son deuxième congrès en 1972 et aussi date de reprise de ses activités de presse.
Peu après le « Festival des Arts Nègres », dans la répression généralisée contre le parti, Senghor lança un appel aux partis d’opposition pour s’unir dans son parti l’UPS-PS. Dans le courant de juin 1966, nous apprîmes par radio Sénégal, sur les bords de la Gnériko, l’existence d’un protocole d’accord UPS-PRA-Sénégal faisant état de l’intégration de celui-ci dans celui-là.
Ci-dessous, voilà ledit protocole.
PROTOCOLE D’ACCORD
U.P.S.-P.R.A.-SENEGAL
Entre l’Union Progressiste Sénégalaise,
Le PRA.-Sénégal,
CONVAINCUS de la nécessité de réaliser l’unité politique pour la sauvegarde et la consolidation de l’indépendance nationale et pour l’accélération du développement économique et social du Sénégal, conformément aux aspirations populaires,
CONSTATANT la convergence de leurs points de vue sur l’orientation générale et l’accord sur la façon réaliste d’aborder la question du programme.
IL A ETE CONVENU CE QUI SUIT :
1°) – l’unification dans le cadre de l’U.P.S. ;
2°) – la participation de DIX membres du PRA Sénégal au Bureau Politique de l’UPS.
3°) – la participation de CINQUANTE QUATRE membres du P.R.A. Sénégal au Conseil National de l’U.P.S. ;
4°) – l’unification à la base, en tenant compte des réalités, l’adjonction de membres du PRA- Sénégal aux directions politiques à tous les échelons étant réalités au cours de réunions des directions U.P.S – P.R.A. SENEGAL du niveau concerné et selon des modalités pratiques qui seront précisés par le nouveau Bureau Politique ;
5°) – la participation au Gouvernement de trois membres du P.R.A – SENEGAL.
En conséquence de l’accord réalisé, le Comité Directeur du P.R.A. –SENEGAL, réuni à Kaolack, le 12 Juin 1966 s’est érigé en congrès extraordinaire qui a décidé la dissolution du P.R.A.-SENEGAL.
Cette dissolution devient affective à partir de la signature du présent PROTOCOLE.
Ce PROTOCOLE D’ACCORD sera largement diffusé par la presse et popularisé par le parti, à tous les échelons, sous formes de tracts et de meetings.
L’UPS et le PRA – Sénégal se félicitent du pas décisif ainsi réalisé dans la voie de l’unité nationale et engagent leurs militants à tout mettre en œuvre pour assurer le plein succès de cette unification.
Dakar, le 13 Juin 1966
Pour l’U.P.S Pour le P.R.A.- SENEGAL
Alioune Badara MBENGUE Abdoulaye GUEYE
Abdoulaye FOFANA Thierno BA
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