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LIVRE DE SADIO CAMARA - CHAPITRE I : L’histoire de ma formation à la vie ou les influences reçues pendant mon enfance et mon adolescence. De l’école primaire

De l’école primaire

 

J’ai fait mes études primaires à l’école Régionale de Kédougou, à partir de l’année scolaire 1944-1945. Au cours de ce séjour, trois événements m’avaient particulièrement marqué : la première année scolaire, la vie à la cantine et le premier maître européen de l’école.

 

La première année scolaire

 

La première année scolaire fut pour moi et mes camarades de promotion, une année de calvaire. En effet , j’ai été confronté à  des corvées épuisantes, des incendies volontaires et des maladies graves.

Les corvées consistaient non seulement à nous faire faire des travaux de maraîchage dans

dans le jardin et le verger de l’école, à nettoyer la cour et les locaux de l’école, mais aussi à puiser de l’eau et à piler le mil pour nos cuisinières. Certains étaient envoyés travailler gratuitement dans les champs des notables influents de Kédougou et d’autres employés comme domestiques dans certaines familles de fonctionnaires. Nous étions ainsi taillables et corvéables si bien que nous avions très peu de temps pour nous reposer et apprendre nos leçons. Ces débauches d’énergie n’étaient pas pour autant compensées par une bonne nourriture  ni en quantité, ni en qualité. Intérieurement, cela me chagrinait et je commençais à nourrir davantage la haine contre l’administration coloniale.

 

Les incendies

 

A l’époque, l’école n’était pas du goût ni des élèves, ni de leurs parents. Pour cette raison, le recrutement se faisait par la force. Les familles de chaque village concerné s’organisaient pour donner à tour de rôle le nombre d’enfants demandés par les autorités coloniales.

 

Par hostilité donc à l’école, certaines nouvelles recrues parmi nous, provoquaient des incendies à l’école pensant que cela allait permettre de la fermer et de nous renvoyer dans nos familles. Pour cela, tard dans la nuit, au moyen d’arcs, ces élèves lançaient des flèches enflammées sur les toits des cases et des bâtiments de l’école. Alors, des cris « au feu ! au feu » fusaient de partout, la cloche de l’école sonnait de manière ininterrompue. Toute l’école, tout le village de Kédougou, hommes et femmes valides, se levaient pour éteindre le feu !. Alors, nous élèves de la cantine, étions mobilisés durant le reste de la nuit et même la moitié du jour suivant, pour puiser de l’eau et l’apporter aux adultes qui l’aspergeaient sur les flammes.

 

Ces incendies se répétaient tous les deux ou trois jours jusqu’à ce que tout soit consumé à l’école par le feu. Ainsi, maîtres et élèves se trouvaient sans abri. Les classes se faisaient en plein air, mais à l’ombre de grands fromagers et manguiers. Les élèves de la cantine se couchaient à la belle étoile dans la cour de l’école. Heureusement que c’était en période de saison sèche.

 

Après l’école, le choix des incendiaires se porta sur les bâtiments d’autres services administratifs comme le Coba-Club. Mais dès le premier acte, ils furent pris par un garde cercle.

C’était trois élèves dont deux Bassari (Tama Ngari BINDIA et Kali BOUBANE) et un peulh appelé Mamadou Wouri DIALLLO. Ils furent arrêtés et emprisonnés à Toubacouta dans les environs de Kaolack, sur la route de Nioro. Kali Boubane y mourut. Les deux autres prisonniers furent graciés et libérés quelques années plus tard. Tama Ngari BINDIA fut confié au chef de Canton Diadié BA dans la famille duquel il s’intégra et se convertit à l’islam, fut baptisé Boubacar BA et y fonda une famille. Il mourut en 1993 en laissant une femme et quatre enfants. Mamadou Wouri DIALLO, lui, fut confié au vieux Bakary DANSOKHO. Il intégra la famille de celui-ci tout en conservant son nom ; il fonda aussi une famille et se trouve aujourd’hui dans sa propre maison dans le quartier DANDE-MAYO.

 

Voilà comment ma première année scolaire, durant les trois premiers mois, fut perturbée par des incendies criminels. Nous avions vécu dans la hantise de ces incendies et avions perdu beaucoup de nos forces dans le puisage d’eau pour les éteindre. Mais, en même temps, ils nous initièrent à une vie dure, difficile, somme toute, à l’endurance. En un délai record, les bâtiments et cases de l’école furent entièrement réfectionnés. L’école retrouva sa vie normale.

 

Les maladies

 

Durant la première année scolaire également nous avions connu des épidémies, notamment les maladies de la peau comme la gale. Mais, la plus grave fut l’épidémie de méningite intervenue dans le courant de mars-avril, période de haute chaleur dans la localité.

 

Les élèves atteints furent isolés hors du village dans des huttes en pailles confectionnées à cet effet par les autorités sanitaires. Kédougou fut mis en quarantaine pendant un mois. C’est-à-dire que personne n’en sortait et n’entrait.

 

Parfois, je me trouvais parmi les élèves chargés d’apporter le repas, l’eau et des ustensiles de cuisines aux camarades malades. Pour ce faire, nous déposions les bols de repas, les seaux d’eau, et autres à cent mètres de leurs huttes pour revenir sur nos pas. Cinq à dix minutes après, les malades venaient  les récupérer. C’était là une recommandation du médecin traitant par nos maîtres interposés.

 

Un cas grave avait nécessité le parachutage du vaccin et autres médicaments contre la méningite. L’avion devait venir de Dakar. Tout Kédougou, y compris les élèves, en était informé. L’occasion s’offrait ainsi aux populations de voir de plus prés un avion.

 

Dès les échos du vrombissement du moteur, tout le monde accourut vers la piste de largage. Le gros « oiseau  métallique » passa au- dessus de la foule dans la même direction qu’elle. Puis, il revint à très basse altitude, dans le sens inverse du mouvement de la foule pour larguer sa cargaison…. Le comportement de l’avion parut à la foule comme s’il allait s’abattre sur elle. Alors ce fut la débandade, le sauve qui peut général… Mais l’avion ne s’écrasa pas, il prit de l’altitude pour disparaître dans le ciel et dans la direction d’où il était venu.

 

Le parachute ne s’ouvrit pas et le colis tomba au sol comme une pierre en chute libre. Des caisses de médicaments subirent des dommages, mais l’essentiel fut préservé ; le cas grave fut sauvé, avec lui, les autres malades. Au bout du compte, l’épidémie fut jugulée et devint un mauvais souvenir. Le cas grave en question ici concernait Fily SADIAKHOU, un de nos « grands » de l’école. Comme nous le verrons un peu loin. Fily sera instituteur puis Directeur de la même école régionale de Kédougou. Ensuite, il sera député à l'assemblée Nationale de 1984 à 1993.

 

Cinq ans après, nous étudions au cours Moyen (CM), classe terminale de l’école primaire à l’époque, les maladies tropicales dont la méningite, leurs incubations et les traitements qui leur étaient appliqués, nous avaient été enseignées. Ainsi, nous apprenions que la méningite est une maladie grave, foudroyante. Elle tue en moins de vingt quatre heures et parfois en quelques heures. Les personnes qu’elle ne tue pas, elle les laisse atrocement diminuées physiquement ou mentalement. Maladie microbienne, elle provoque l’inflammation des méninges. Deux types de méningite nous ont été enseignés à savoir :

 

  • La méningite cérébro-spinale causée par le méningocoque. La période de l’harmattan (novembre en mars), provoque le dessèchement des muqueuses et crée ainsi un terrain favorable au développement de cette forme de méningite. C’est cette forme que nous avons connue à la première année de l’école, à la même période de l’harmattan.

 

  • La méningite tuberculeuse est donnée par le bacille de coch. Quant au vaccin, nous saurons que c’est une culture microbienne appelée toxine à virulence atténuée que l’on inocule à une personne ou à un animal contre une maladie microbienne comme la méningite cérébro-spinale. De même on nous enseigna que la vaccination fut réalisée pour la première fois au monde en 1796 par un médecin anglais du nom de Jenner. Celui-ci remarqua que le cow-pox des vaches était transmissible à l’homme sous forme d’une maladie bénigne dite la vaccine qui immunisait contre la variole beaucoup plus grave.

Ainsi, nous nous rendîmes compte du danger que nous frôlâmes pendant notre première année scolaire. En même temps, nous découvrîmes un domaine de la science infiniment utile à l’homme, à savoir la recherche et l’expérimentation.

 

La vie à la cantine

 

A l’époque, l’école régionale de Kédougou recevait les enfants recrutés dans le village de Kédougou – même et ceux des villages des cantons Bandemba, Bassari et Gnokholo. Les élèves venus de ces cantons étaient logés et nourris dans l’enceinte de l’école. Le lieu d’hébergement et d’entretien de ces élèves s’appelait la cantine et les locataires les cantiniers. La cantine se trouvait sous la responsabilité du directeur de l’école. A cet effet, des subventions en espèces et en natures étaient mises à sa disposition par l’administration.

 

Pour l’administration de la cantine, le directeur de l’école se faisait seconder par des élèves cantiniers terminant leur cycle scolaire, c’est-à-dire des élèves se trouvant au «cours moyen» deuxième année (C.M.2) préparant le Certificat d'Etudes Primaires Elémentaires (C.E.P.E.)) et l’examen d’entrée en sixième des lycées et collèges, à raison d’un responsable par ethnie. Ils avaient pour appellation « les grands ». Ainsi, donc, dans notre cas, nous avions les dirigeants ou «grands» comme suit (par ordre alphabétique) :

 

  • Alpha BA, pour le groupe des peulh ;
  • Mamadou GNAKASSO, pour le groupe des Diallonké ;
  • Bafa NIKI, pour le groupe des Bassari ;
  • Fily SADIAKHOU, pour le groupe des Malinké

 

Ces « grands » avaient pour rôle d’assurer l’encadrement, l’ordre et la discipline à la cantine, de faire appliquer les ordres du directeur, notamment l’organisation de la vie des cantiniers comme, entre autres exemples : les répartir dans les différents locaux mis à leur disposition, désigner les chefs de chambres chargés de veiller non seulement sur l’ordre et la discipline, mais aussi sur la propreté des chambres et de leurs locataires, assurer la distribution du savon, des nattes, du matériel de nettoyage et d’hygiène comme le grésil, etc.

 

Malgré l’organisation des élèves en groupes ethniques, se constituèrent des sous-groupes sur la base des communautés villageoises ou contrées ou d’affinités tout court. Ces sous-groupes s’organisérent de manière autonome autour de « chefs » acceptés de fait par les composantes et menaient une vie collective harmonieuse.

Ce fut, par exemple, notre cas, après notre première année scolaire. En effet, durant la première année scolaire, je me trouvais, dans le grand groupe dit « groupe Malinké » avec, comme chef ou « grand » Fily  SADAIKHOU. La vie à la cantine n’était pas du tout rose. C’était une vie de bagne et de misère.

 

  • Une vie de bagne parce que nous étions taillables et corvéables, comme dit plus haut, au profit de personnalités de Kédougou.

En outre, il faut ajouter qu’on nous faisait travailler comme des ânes dans les verger et jardin de l’école, alors que nous étions exclus de la consommation de leurs produits. Ils étaient exclusivement réservés à la consommation de nos seuls maîtres et de leurs amis fonctionnaires et notabilités du village de Kédougou.

 

Le verger et le jardin produisaient des bananes, des citrons, des ananas, des tomates, des salades, des mangues, etc.…

  • Une vie de misère parce que nous mangions très mal et très insuffisamment. Durant toute l’année, à chaque repas, c’était le «coutoucoutou-houro»ou «guiro» en ouolof. Nous recevions mensuellement un petit morceau de savon, très insuffisant pour nous laver le corps et les vêtements.

 

Conséquences de tout cela : nous étions tous maigres comme des clous, poueux et galeux avec des cous de charognards. Dans ces conditions, il n’était pas étonnant que nous ayons connu des épidémies graves. Nous étions sept nouvelles recrues venues du gnokhomo, à savoir :

 

  • De Bantata-Malinké : Sadio CAMARA             
    •                      Moussa SADIAKHOU (décédé)
  • De Bantata-Tanda : Sara CAMARA (décédé)
  •                             Tamba SANDIAKHOU (décédé)
  • De Maroukhoucoto : Sékou CAMARA
  •                             Ansoumani KEITA, actuel Imam de Badian
  • De Kabatékhinda : Diala SADIAKHOU, actuel imam dudit village.

 

La vie à la cantine était très difficile. La survie des cantiniers imposait à leurs parents des villages de leur envoyer régulièrement des vivres, des graines d’arachides, du couscous sous différentes formes, des semoules de céréales, du fonio, des condiments comme le « datou », la poudre de gombo, du piment sec, etc.

 

Les parents s’acquittaient de ces tâches de ravitaillement pour ne pas laisser mourir de faim leurs enfants, cela, une ou deux fois par semaine selon les distances séparant Kédougou des villages des élèves concernés. Mais, les élèves qui avaient leurs villages distants de 9 à 18 km, recevaient des vivres de leurs parents deux ou trois fois par mois. Ils étaient les plus heureux. Nous de Bantata-Malinké et Bantata-Tanda, faisions partie de ces heureux cantiniers. Ainsi, nous recevions des vivres au moins une fois par semaine. De la sorte, nous étions susceptibles de ne pas connaître la faim. Tel n’était malheureusement pas le cas.

 

En effet, l’obligation était faite à chaque nouveau cantinier, par les « grands » de déposer auprès d’eux, les colis de vivres reçus de ses parents. Ceux-ci se servaient non seulement des meilleures parties, mais prenaient l’essentiel des vivres en laissant des miettes aux  destinataires.

 

Ainsi donc, les envois de vivres aux cantiniers servaient à engraisser les « grands » et même leurs parents dans le village de Kédougou. L’atmosphère de l’école en général et de la cantine en particulier, était telle que nous ne savions auprès de qui nous plaindre.

 

De fortes barrières nous tenaient en respect : barrière linguistique (nous ne parlions et ne comprenions pas encore  français) et l’ignorance du milieu et de ses règles.

 

Mais après les cinq premiers mois de l’année scolaire, nous commencions à parler un peu français, à nous connaître, à nouer des amitiés avec des éléments d’autres ethnies et même avec certains « groupes ». Il en était de même avec nos maîtres.

 

Ainsi donc, à la fin de la première année scolaire, les  conditions de notre libération de la tyrannie, de l’exploitation et de l’injustice des « grands » pour une entière liberté de disposer de nos personnes et de nos biens se trouvèrent réunies.

 

A l’ouverture donc de l’année scolaire suivante, nous du Gnokholo avions formé un sous-groupe malinké à mon initiative et autour de moi. A l’occasion, je formulais l’engagement devant mes camarades d’assurer leur défense contre vents et marées. D’un commun accord, nous décidâmes de ne plus remettre nos denrées aux « grands », de les garder entièrement et de les gérer collectivement dans l’intérêt de chacun d’entre nous et de nous tous. Alors nous nous organisâmes pour nous assurer une vie collective harmonieuse, nouer des rapports d’amitié et de coopération avec d’autres groupes et sous-groupes et même avec des individualités. Par ces comportements et relations, nous avions réussi à entraîner d’autres groupes et individualités dans notre résistance à la tyrannie des « grands ».

 

Les « grands », de leur côté, s’organisaient pour tenter de briser notre résistance. Mais déjà, nous avions réussi à les diviser et avoir certains d’entre eux de notre côté comme Alpha BA , chef des peulh, Mamadou GNAKASSO chef des diallonké auxquels s’ajoutaient deux autres « grands » venus de l’école de Saraya à savoir Founéké DANFAKHA et Mahamady CISSOKHO qui étaient des auditeurs libres à l’école.

 

Ainsi donc, il restait en face de nous deux «grands» intraitables :

  • Bafaniki BINDIA, chef du groupe Bassari, fils du chef de canton Bassari appelé Zinguétack BINDIA ;
  • Fily SADIAKHOU, chef du groupe Malinké, neveu d’un grand commis de l’administration coloniale Bakary DANSOKHO.

 

Se sentant abandonnés par deux autres camarades, ils rallièrent  à leur cause deux autres «grands» non cantiniers, vivant avec leurs parents dans le village. Il s’agissait de : Moussa N’DIONE, neveu de l’agent de la poste de l’époque du nom de Ngala DIENNE et de Djiby DOUCOURE, fils aîné du chauffeur du commandant de cercle appelé Bakary DOUCOURE.

 

Ce dernier fut le premier chauffeur du Département de Kédougou. Du point de vue sociologue et même politique, on peut dire que cette « bande des quatre » se constitua sur « une base de classe » parce que ne comprenant que des enfants et protégés de privilégiés de l’administration coloniale.

 

Par contre, notre camp ne comptait que des fils de paysans. C’était là le reflet, à une petite échelle de la réalité de l’époque à savoir la domination et l’exploitation coloniales.

 

Le premier conflit m’ayant opposé à cette « bande des quatre » était leur non participation à la corvée du bois mort pour la cuisine de la cantine. Chaque dimanche tous les cantiniers, sans exceptions, avaient pour obligation d’aller en brousse apporter un fagot de bois mort pour servir à la cuisson de nos repas. 

 

«Les grands de la bande des quatre » s’étaient octroyés illégalement le droit de ne pas s’acquitter de cette tâche obligatoire pour tous.

 

Dans un premier temps, je les avais interpellés sur les raisons de leur refus d’aller chercher du bois mort comme tout le monde. Ils s’en étaient offusqués et m’interdirent  de ne plus leur tenir un tel propos au risque de me châtier.

 

Alors, je m’en étais ouvert au Directeur de l’école et celui-ci, surpris de cette désobéissance des grands, procéda immédiatement, à l’aide d’un sifflet, à un rassemblement général de tous les cantiniers en exigeant à chacun de présenter son fagot de bois mort.

 

Ainsi, « les grands » furent pris en flagrant délit. Le Directeur les blâma vertement et les menaça d’exclusion de l’école si cela se répétait. Pour l'heure, il leur intima l’ordre de lui présenter leurs fagots de bois du jour avant le coucher du soleil. Ce qu’ils firent.

 

Après quoi, tous les cantiniers furent contents intérieurement parce que ne pouvant pas manifester ouvertement par peur des  représailles  des« grands ».

 

Face à leurs provocations, j’étais rassuré par le soutien des cantiniers et de certains « grands ». Ces derniers finirent par porter l’affaire devant le Directeur et les maîtres. Alors, ceux-ci rassemblèrent tous les élèves pour leur exprimer leur désapprobation.

 

Le Directeur et les Maîtres  mettaient en garde ces soi-disant grands. Par la même occasion, ils demandèrent aux ‘’ petits’’ de ne plus remettre aux ‘’grands’’ les denrées que les parents leur apportaient. Aussi interdirent-ils aux non cantiniers de ne plus rester à la cantine. Et moi, j’ai eu droit aux félicitations et aux encouragements du Directeur et des Maîtres pour mon courage.

 

Ce fut la joie. A notre tour d’organiser la chasse aux « grands ». Ne pouvant résister à nos assauts et craignant nos coups de poings foudroyants, ils désertèrent tous la cantine. Bafaniki alla habiter dans le village chez son parent Mamoudou CISSOKHO, alors interprète en bassari du commandant du cercle et Fily SADIAKHOU chez son oncle Bakary DANSOKHO.

 

C’en était fini avec la « bande des quatre ». Ce fut la victoire des exploités sur les exploiteurs ou des oppressés sur les oppresseurs.

 

Bilan

 

En cette première année de l’école primaire, l’atmosphère d’instabilité, d’insécurité et d’inquiétude permanentes m’initia à braver le danger, à m’habituer à certaines difficultés de la vie collective et individuelle comme l’endurance à la faim, à la soif, aux maladies, la solution des difficultés, notamment de la survie dans la débrouillardise collective et individuelle.

 

La vie à la cantine m’a formé à l’organisation et à m’assumer, elle m’a initié aux privations de toutes sortes, m’a fait découvrir l’injustice sociale, organiser la lutte contre elle et contre l’exploitation et défendre les faibles contre les forts, les petits contre les grands. Somme toute, les deux premières années de l’école primaire et la vie à la cantine constituèrent des épreuves redoutables et redoutées qui contribuèrent à ma formation à la vie.

 

Du premier et dernier européen directeur de l’école régionale de Kédougou : Herault Joseph

 

Mr Hérault Joseph, était un instituteur français en service en Côte d'ivoire. La côte d'ivoire constituait avec le Sénégal, la Mauritanie, la Guinée, le Soudan, La Haute Volta, le Niger, le Dahomey et le Togo l’ex –A.O.F. (Afrique Occidentale Française), une espèce de fédération des colonies françaises ayant une même structure administrative. Pour cette raison, n’importe quel fonctionnaire pouvait être affecté partout dans n’importe quel territoire de la Fédération.

 

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, 39-45, il y eut des soulèvements populaires en Côte d'Ivoire contre les abus et exactions de l’administration coloniale française. Les plus importants eurent lieu le 30 janvier 1950 à DINBOKRO, une ville importante du pays et se soldèrent officiellement par treize (13) morts. Les manifestants protestaient contre l’arrestation et la détention sans jugement de leurs leaders Houphouët BOIGNY du R.D.A. (Rassemblement Démocratique Africain) par les autorités coloniales.

 

A la suite de ces événements, Monsieur Hérault Joseph, fut accusé de «meneur»,et de «communiste». Car, à l’époque, seuls les communistes défendaient et se battaient aux côtés des populations africaines contre les exactions de l’administration  coloniale. En guise de punition, il fut affecté à Kédougou comme directeur de l’école régionale de ce lieu.

 

C’était donc le rôle de pénitencier que l’administration coloniale avait assigné à cette partie du Sénégal pour les fonctionnaires non-conformistes ou récalcitrants.

 

Monsieur Hérault Joseph apporta de grands changements non seulement à l’école et à la cantine, mais aussi dans le comportement des fonctionnaires coloniaux à l’égard des populations. Au niveau de l’administration, tout tournait autour de lui : le commandant de cercle, le juge de paix, tous deux blancs, étaient souvent ses invités dans sa maison de fonction à l’école. Cette maison constituait de fait leur siège après les heures de travail, notamment les soirs, les dimanches et jours fériés. Même les promenades, ils les effectuaient ensemble. Auparavant, il n’y avait pas un tel rapport entre chefs de services européens.

 

Parallèlement, les comportements des agents de l’administration coloniale (qui étaient arrogants et méprisants) à l'égard des populations devenaient plus courtois, plus communicatifs, plus agréables. Tous ces changements, nous le sentions au niveau de nos parents qui nous les contaient également.

 

Mais, pour qu’il en soit ainsi, il avait fallu à M. Hérault Joseph de croiser le fer avec certains agents coloniaux. Par exemple, je me rappelle une pratique courante des autorités sanitaires de l’époque qui consistait à faire tomber les toits des cases qu’elles estimaient vieux ou insalubres sans se soucier des conditions de vie des personnes concernées. La première fois que cela s’était passé à Kédougou en présence de Mr Hérault joseph, il l’avait fait arrêter et obligé le médecin chef à financer de sa poche la réfection des cases et à s’excuser auprès des victimes au grand étonnement des villageois et à la grande surprise des victimes. La nouvelle se répandit dans le cercle de savoir que de pareils actes constituaient des abus de pouvoir de la part des agents sanitaires coloniaux à l’égard de simples gens. Plus jamais, cela n’arriva à nos populations.

 

Un autre exemple intéressant à rapporter. Les agents de l’administration ne serraient jamais la main aux populations. A cette époque, un indigène porteur d’une lettre destinée à un blanc, celui-ci est tenu de la fixer au bout d’un bâton qu’il tendait au blanc destinataire.

 

  1. Hérault Joseph s’éleva contre cette méthode, la fustigea et menaça même de poursuites judiciaires contre tout fonctionnaire qui se serait rendu coupable d’une pareille pratique.

 

Ainsi donc, M. Hérault révolutionna les rapports entre agents de l'administration coloniale et les populations.

 

Quant à l’école, il y instaura une atmosphère de confraternité et de travail tant au niveau des maîtres qu’à celui des élèves, assura une bonne organisation de l’école où chacun (maître et élève) savait sa place, ce qu’il avait à faire et quand, s’appliquait à bien le faire.

 

  1. Hérault joseph s’employa surtout à liquider l’insalubrité à l’école. A cet effet, il dota l’école de matériel de nettoiement (pelles, râteaux, coupe-coupe, faucilles etc..). Il dirigeait lui-même, râteau ou pelle à la main, les opérations de nettoiement.

 

Alors j’apprenais ainsi, qu’un blanc est travailleur comme un noir, sinon plus, car je le trouvais plus endurant au travail. Bien entendu, il entraînait les autres maîtres à sa suite alors que jusqu’ici ceux-ci ne s’impliquaient pas dans le travail manuel ; ils nous commandaient, nous donnaient des ordres en ayant les mains dans les poches, le casque colonial sur la tête.

 

Je découvrais alors que tous les blancs n’étaient pas mauvais et que  tous les noirs n’étaient pas bons ; qu’il se trouvait de part et d’autre des mauvais et des bons, des colonialistes et des anticolonialistes.

 

En outre j’apprenais avec lui une grande leçon de pédagogie: « entraîner par l’exemple ». Plus tard, je trouverai cette notion pédagogique dans les manuels du marxisme-léninisme relatifs à l’édification du socialisme.

 

D’autres bonnes conditions de travail virent le jour à l’école : de l’eau potable mise à la disposition de tous les élèves par l’installation de filtres à eau pour chaque classe avec des accessoires nécessaires comme des pots en aluminium pour boire ; des conditions d’hygiène assurées par des installations appropriées.

 

La vie à la cantine connut également des changements notables : en premier lieu par la suppression des corvées en ville et la dotation des cantiniers de savon en quantité suffisante et de manière régulière.

 

- Au niveau des dortoirs : réfection des chambres et leur désinfection régulière au grésil ou au D.D.T, équipement complet en nattes neuves et de qualité, renouvellement à temps des nattes usées.

A dieu les poux, la gale et le pian.

 

- Au niveau de la cuisine : réfection et équipement en ustensiles modernes ; marmites, bassines, seaux, bols, louches, etc.…

 

- Pour la restauration, un emplacement fut aménagé dans la cour de l’école pour servir de réfectoire, avec des tables et bancs de fortunes confectionnés sous la direction de monsieur Hérault Joseph pour servir de tables à manger aux cantiniers. Chaque cantinier reçut un plat, une cuillère, une fourchette et un couteau de table.

 

Comme j’écrivais bien sur le plan calligraphique, M. Hérault Joseph me chargea de la  tenue de la gestion des vivres et des fournitures scolaires. A ce titre, je détenais les clefs des magasins de vivres et de fournitures. En même temps, je tenais leur comptabilité régulière dans des cahiers remis à cet effet par le Directeur. Egalement, je donnais chaque matin la quantité de céréales et de condiments nécessaires pour les repas du jour et je communiquais aux cuisinières les menus du jour.

 

J’étais chargé également de désigner deux cantiniers chaque jour pour chercher de la viande au marché et la remettre aux cuisinières.

 

Ainsi, nous étions maîtres de notre destin. Nous mangions à notre faim et en qualité. Pour la première fois de notre vie, nous mangions à table, chacun avec son plat, sa cuillère, sa fourchette et son couteau, puisait à volonté dans le bol central. Il y avait six élèves par bol. Nous mangions comme des « toubab » et nous étions comme des « toubab ». Nous n’envions rien à personne dans Kédougou, nous étions plutôt enviés. Nous étions fiers.

 

Avec Mr Hérault Joseph, les produits du jardin et du verger nous revenaient enfin. Tous les deux jours nous avions comme dessert des bananes, des mangues, des ananas selon la période.

Comme le jardin et le verger étaient entretenus aussi par les élèves non cantiniers, Mr Hérault organisait une ou deux fois par mois la distribution générale des fruits à tous les élèves de l’école,  cela se passait en général samedis après-midi.

Il organisait également des repas à base de salade pour tous les élèves. A l’occasion, il initiait nos camarades filles à la préparation des différents plats à base de salade, leur apprenait à faire la table à manger, nous apprenait à manger à table, à manger de la salade.

 

J’affirme que nous, élèves du temps de Mr Hérault Joseph, avions été les premiers, dans le département de Kédougou à faire du maraîchage, à manger de la salade, à manger à table, en somme les premiers « toubab ». Depuis, nous étions devenus des hommes dignes, des hommes prêts à laver tout affront, des hommes du refus des corvées ou diktats injustes d’où qu’ils viennent. Alors il s’était créé à l’école une confraternité totale. Des  amitiés se contractèrent entre élèves  de mêmes  ethnies, entre élèves d’ethnies différentes et même entre groupes ethniques différents. Alors des élèves amis s’invitaient réciproquement à passer des vacances de Noël ou de Pâques et même des grandes vacances chez eux. Personnellement j’eus l’honneur de passer des vacances de Noël chez un ami peulh de Vélingara et de grandes vacances chez un des amis malinké du Bélédougou du nom de Makhan DANFAKHA dans son village Mamakono. A mon tour, ils passèrent des vacances avec moi dans mon village à Bantata. Beaucoup de ces amitiés continuent de nos jours.

 

Je peux dire que la vie à la cantine sous Mr Hérault rapprocha les différentes ethnies qui la composaient et y impulsa des liens très solides et, partant, une meilleure compréhension entre eux, en somme une acceptation réciproque.

 

Mais, en même temps, la vie à la cantine avait créé une espèce « d’esprit de corps », un « esprit cantinier » qui se manifestait par une solidarité automatique entre cantiniers contre toute autre personne ou groupe de personnes, notamment de Kédougou. Heureusement, il n’y a jamais eu de dérapages.

 

Les causeries libres des samedis soirs de M. Hérault Joseph

 

Mr Héraut joseph consacrait les samedis soirs à « des causeries dites libres ». Celles-ci consistaient à lui poser des questions qui nous passaient par la tête, auxquelles il répondait à la grande satisfaction de tous. Bien entendu, comme nous étions des fils de paysans faisant l’objet d’exploitation et d’exactions de la part des agents de l’administration coloniale, les premières questions qui nous arrivaient à l’esprit avaient trait à leurs comportements à l’égard de nos pères. En effet, à l’époque, les fonctionnaires en service ou en tournée dans les villages, rançonnaient les populations : obligation de leur offrir gratuitement du lait frais ou caillé, du beurre de vache, des poulets, du riz, etc.… pour leur nourriture durant leur séjour, réquisition de jeunes pour le portage gratuit de leurs bagages. Mais les cas les plus scandaleux étaient les tournées effectuées en compagnie des chefs de cantons, notamment lors des recensements des populations, du bétail et des armes de chasse. Le maître d’œuvre de ces opérations de recensement était le gestionnaire financier des services publics du Département appelé à l’époque « Agent Spécial ».

 

Il était la deuxième personnalité du Département après le commandant. A ce titre, il organisait et conduisait, en compagnie des chefs de canton, les opérations de recensement dans leurs domaines respectifs. A ces occasions, lui et ses compagnons, non seulement imposaient aux populations la fourniture des denrées précieuses pour leur nourriture, mais aussi leur extorquaient des quotas de chèvres, de bœufs et même des sommes d’argent. Ces pratiques constituaient les sources principales d’enrichissement illicite des fonctionnaires coloniaux, notamment des chefs de cantons et des « agents spéciaux » qui se succédaient dans notre localité.

Alors, nous portions ces informations à la connaissance de M. Hérault et lui demandions si ces pratiques étaient conformes aux lois et règlements en vigueur ? Sinon, que faire ?

 

La récupération de l’impôt constituait également une occasion d’exaction contre les populations. En effet, le paiement incomplet entraînait pour le coupable la confiscation de ses biens et même de sa fille par les agents recenseurs.

Parmi les premières questions posées à M. Hérault Joseph figurait aussi celle-là.

Alors nous lui demandions pourquoi l’impôt ? Qui doit et ne doit pas payer l’impôt ?

 

S’agissant des agissements des agents coloniaux à l’égard des populations, Mr Hérault Joseph nous répondit qu’ils n’avaient aucune base légale, qu’ils étaient le fait d’agents crapuleux. Il les qualifiait de voleurs, de crapules. Après quoi, Mr Hérault Joseph nous invitait à faire refuser nos parents de se laisser dépouiller de leurs biens, à dénoncer auprès des autorités les agents qui se rendaient coupables de pareils actes, « à prendre notre belle plume » pour les dénoncer.

En ce qui concernait l’impôt, M. Hérault Joseph affirmait qu’il existe dans tous les pays et qu’il est absolument indispensable pour l’existence d’un pays en tant qu'Etat souverain. Il permet d’assurer les dépenses des services publics comme l’armée, la police, l’administration…. Par exemple c’est avec l’impôt en espèces et en nature de vos parents que les cantiniers sont logés, nourris, disait-il. Sans cet impôt, il ne serait pas possible de les entretenir individuellement par leurs parents. C’est avec l’impôt de vos parents également que vos classes, les autres bâtiments servant de logements aux maîtres sont construits. Il en est de même des autres services publics comme la Résidence du commandant de cercle, la Poste, le Tribunal, le Dispensaire, etc.

 

Tous les agents de ces services sont des fonctionnaires, du plus petit commis au commandant, en passant par le juge de paix et le Directeur de l’école qu’il est, sont payés avec les impôts versés par les populations.

 

Ceci pour leur permettre de se loger, de se vêtir et de se nourrir afin de s’acquitter des tâches publiques qui leur sont assignées dans l’intérêt des populations et du pays tout entier. Donc, même en déplacement dans les villages, tout fonctionnaire se doit d’acheter aux paysans, sans contrainte aucune, avec son argent, ou se payer tout ce dont il a besoin pour vivre. Aussi, il doit payer les gens pour porter ses bagages. Vous devez savoir tout ça, disait-il, pour faire refuser à vos parents de se laisser exploiter par des fonctionnaires crapuleux. Vous devez aussi prendre votre belle plume pour les dénoncer auprès des autorités compétentes afin de les châtier.

 

Quant à savoir qui doit payer l’impôt ou non, M. Hérault nous précisait que seuls les élèves, les militaires et les vieillards sont exemptés de l’impôt. Si on vous fait payer l’impôt, allez le réclamer à votre chef de village, ajoutait-il. A bon entendeur salut !

Dés les vacances suivantes, à l’instar de beaucoup de camarades d’école, j’entrais en campagne contre les fonctionnaires spoliateurs de nos parents. A l’occasion des cérémonies et des travaux collectifs dans les villages j’informais les populations que les exigences, à leur égard, des fonctionnaires en tournée dans leurs localités n’avaient aucune base légale, juridique, que c’était du rançonnage et même du vol auxquels ils se livraient et je les invitais à les refuser désormais.

 

Après avoir vérifié auprès de mes parents en tant qu’élève que j’avais payé l’impôt, j’étais allé le réclamer à mon chef de village comme nous l’avait suggéré Mr Hérault Joseph. Il m’exprima son regret de ne pas pouvoir le faire pour l’avoir déjà versé au chef de canton.

Il me suggéra d’aller voir ce dernier. Ce que je fis quand le chef de canton fut de passage à Kédougou à l’ouverture des classes.

Celui-ci également m’exprima l’impossibilité pour lui de satisfaire ma réclamation parce qu'il avait déjà versé tout l’impôt du village à l’Agent Spécial.

Comme notre entretien se passait à la Résidence, il m’entraîna dans le bureau de l’Agent Spécial à qui il expliqua ma doléance et sa réponse. Celui-ci me fixa longuement dans les yeux, pour ensuite me dire qu’il n’était plus possible de me rembourser cet argent parce que déjà comptabilisé. Il me pria, poliment, de dire à mes parents de ne plus me faire enregistrer comme imposable, mais comme élève et en conséquence ne devaient plus verser d’impôt à mon compte. Ce que je fis. Et depuis, je ne payais plus d’impôt comme élève.

 

Pendant les mêmes vacances, l’équipe de recensement me trouva dans mon village, Ban tata. Mais auparavant, nous aimerions relater certaines autres pratiques qui avaient cours dans une telle équipe.

 

Au départ de Kédougou, les agents recenseurs amenaient avec eux des manœuvres, payés par l’administration pour porter leurs bagages durant leur tournée. Ces manœuvres s’appelaient « porteurs ». Une équipe de recenseurs se portait directement du chef lieu du cercle, (Kédougou) au chef lieu de Canton. Pour le retour, elle terminait toujours par le chef lieu du canton d’où elle regagnait Kédougou, capitale du cercle.

 

Une fois qu’une équipe en partance se trouvait dans la capitale du canton, les porteurs venus de Kédougou étaient libérés de leur tâche. En accord avec les chefs de canton, le portage des bagages se faisait par des jeunes des villages  réquisitionnés à cet effet. Ainsi, il prévalait à l’époque qu’une fois l’équipe des recenseurs était dans un village, il incombait aux chefs de famille de celui-ci de fournir des jeunes pour porter gratuitement leurs bagages dans le village suivant. Les manœuvres recrutés à Kédougou devenaient des « Rois fainéants ». Après leur retour à Kédougou, ils étaient payés pour un travail qu’ils n’avaient pas effectué.

 

En outre, ces porteurs, devenus des « rois fainéants », formaient un groupe avec des hommes de la cour du chef de canton pour « terroriser » les villageois afin de leur extorquer de l’argent et du bétail. Pour ce faire, ils se portaient d’avance dans les villages pour annoncer à grands cris l’arrivée du chef de canton et des recenseurs, inviter les populations à rassembler les denrées de luxe pour leur assurer un séjour agréable et des têtes de bétail à leur offrir comme cadeaux pour leur manifester leur sympathie et être dans leur bonne grâce, et patati et patata.

Cette bande de fainéants, de tricheurs, d’escrocs apparaissait aux yeux des villageois comme des fonctionnaires qui leur voulaient du bien et prenaient en considération leurs discours. Ils ne les distinguaient pas des autres de par leur habillement et aussi du fait qu’ils leur semblaient parler français.

 

Donc, pendant ces vacances, l’occasion m’était donnée de commencer la lutte contre les agissements de ces agents crapuleux. Un ou deux jours avant leur arrivée, le chef de village tient une réunion avec les chefs de famille à la place publique pour les informer de l’arrivée du chef de canton et de l’équipe de recensement et, en prévision, faire ce qu’ils avaient l'habitude de faire en pareille circonstance, c’est-à-dire satisfaire les doléances exprimées par la bande des fainéants et d’escrocs.

 

Sur mon instigation, mon frère, notre chef de famille, prit la parole pour rappeler à l’assistance mes propos sur ces questions, à savoir que c’était des sollicitations illégales, injustes, condamnées même par les autorités supérieures. Il suggéra de leur préparer des cases propres avec des canaris d’eau potable et de les laisser commander eux- mêmes la cuisine de leur choix et à leurs frais. Il y eut un lourd silence ! Le chef de village reprit la parole pour dire que l’assistance ne pouvait pas se fier aux déclarations d’un gamin pour remettre en cause ce qu’ils avaient l’habitude de faire, une pratique qui se faisait depuis leurs aïeuls. D’autres de l’assistance l’appuyèrent.  Alors, mon frère reprit la parole pour dire que lui  Sara CAMARA et sa famille ne seraient pas concernés par des emprunts de bétail et ou d’argent à offrir à l’équipe de recensement et que personne ne se présente à lui après pour le remboursement de dettes de cette nature. Le chef de village et le reste de l’assemblée s’engagèrent dans la voie traditionnelle pour faire plaisir au chef de canton et à sa suite.

 

L’équipe arriva un soir dans mon village. Elle fit son travail le lendemain toute la journée, Je tenais compagnie à mon frère durant ce temps sur la place publique. Dans la matinée du jour suivant, c’était le départ. Rassemblement à la place publique pour fournir des jeunes pour le portage des bagages au village suivant. Des déclarations de pères de famille fusèrent pour désigner leurs fils. Sur mes indications, encore mon frère se leva et dit à haute voix que lui Sara CAMARA ne donnait aucun de ses frères parce que cela n’était pas normal. Ceci d’autant que des personnes se trouvaient parmi les recenseurs et qui étaient payés pour cela. Il y eut un lourd silence. Personne n’avait rien dit. L’équipe partit avec ses bagages portés par des jeunes du village désignés par leurs pères…

 

Le temps passa. Rien n’arriva à mon frère. L’année suivante, tous les chefs de famille refusèrent de faire ce qu’ils avaient l’habitude de faire… Pas de dons d’aucune sorte, en nature, en argent, ni en bétail.

 

Le jour de portage des bagages, il n’y eut personne. Alors les « Rois fainéants » retrouvèrent leur boulot. Ils furent contraints, devant les villageois médusés, de porter les bagages sur leur tête et prendre la route. Ce fut la fin de leur règne. Alors, ce fut une traînée de poudre dans tout le Gnokholo. Les années suivantes, toute la contrée suivit l’exemple de Bantata ou plutôt de mon frère Sara CAMARA. Il faut dire que cette même campagne contre ces agissements fut menée par mes camarades d’école du temps de M. Hérault Joseph, dans leurs localités respectives : Dans le Bandemba, le Bassari, le Bélédougou, le Dantila, le Sirimanna. A l'instar de gnokholo, elle eut de grands succès dans tout le département de  Kédougou.

 

Voilà comment, jeunes écoliers que nous étions, nous avions apporté notre modeste contribution à la libération de nos parents de la spoliation et des humiliations des fonctionnaires coloniaux. C’était de la politique que nous faisions sans le savoir. Ceci, grâce aux causeries libres des samedis soirs de M. Hérault Joseph. C’est dire combien a été déterminant l’influence de ces causeries dans notre orientation et choix politiques futurs. En effet, beaucoup d’entre nous ont été parmi les premiers militants de l’indépendance nationale au sein du Parti Africain de l'Indépendance (P.A.I.), des organisations démocratiques, syndicales, de femmes et de jeunesse, etc.…

 

Nous pouvons dire que « les causeries libres des samedis soirs » furent pour nous des chantiers lumineu

 



26/08/2017
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