L’enjeu du contexte mondial pour l’édification d’une force de gauche au Sénégal
Les années 80 jusqu’au milieu des années 90 ont été une période bruyante de triomphe du capitalisme mondial.
Le «mur de Berlin» était tombé, les idéologues impérialistes sabraient le champagne en proclamant la «fin de l’histoire»
Débarrassé du camp socialiste qui retenait ses velléités agressives, l’impérialisme US suivi de l’UE, se lança dans la politique de la canonnière au Moyen-Orient contre l’Irak en 1991, puis occupa ce pays en 2003 pour s’emparer de son pétrole. En 1999, l’attaque de l’OTAN contre la Yougoslavie pour parachever sa désintégration et encercler la Russie devait précéder les attentats contre les tours jumelles de New York et l’invasion de l’Afghanistan par la coalition occidentale en 2001, sous le prétexte de lutte contre le terrorisme..
Les offensives militaires occidentales des années 90 venaient prolonger l’offensive libérale déclenchée contre les peuples dans les années 80 à travers les plans d’ajustement structurel, les privatisations, la libéralisation des marchés nationaux et les dévaluations des monnaies locales imposés aux pays du Sud par l’OMC, le FMI et la Banque Mondiale.
Ce libéralisme triomphant a enflé la spéculation boursière à un point jamais égalé auparavant par le capitalisme : «Le volume des transactions financières est de l’ordre de deux milles trillions de dollars (un trillion = 1000 milliards] alors que la base productive, le PIB mondial, est de 44 trillions seulement» (Samir Amin Samir Amin, Débâcle financière, crise systémique: réponses illusoires et réponses nécessaires, in Alternatives International, dimanche 23 novembre 2008).
La «toute puissance» proclamée du capitalisme a eu des conséquences sur les partis de la gauche du capital, la social-démocratie, qui a abandonné précipitamment les programmes keynésiens pour épouser les recettes libérales. S’accéléraient aussi l’adaptation au nouveau cours réactionnaire par des dirigeants d’organisations politiques, syndicales, culturelles du mouvement ouvrier, populaire et des nations opprimées par l’impérialisme. Accompagnant le désarroi, le défaitisme devenait l’aune de la « modernité » ; le révisionnisme et le réformisme étaient déclarés le nouvel horizon indépassable, les prouesses incommensurables, héroïques des générations précédentes de Partis communistes, de Partis et militants furent dénoncées comme « des séries de crimes fondés sur une utopie criminelle »
Crise du capitalisme mondialisé et nouveau rapport des forces
Vingt ans après avoir fêté son triomphe, le capitalisme est entré dans un cycle de récession. La contre-révolution mondialisée n’est en fait qu’une redistribution massive des revenus en direction du capital, c’est-à-dire une paupérisation absolue des masses populaires dans tous les pays. Elle conduit les capitaux à la recherche du profit maximum à ne plus se satisfaire du taux de profit moyen qui ne cesse de baisser. La crise est bien une crise de surproduction causée par une disproportion croissante entre les possibilités de production des biens et services et les capacités à consommer en réduction permanente depuis trois décennies.
Le développement à la fois du crédit et des marchés financiers n’a fait que reporter la crise. Le crédit permet de consommer alors qu’on n’a pas l’argent nécessaire et les titres émis sur le marché financier donnent une garantie aux préteurs. Crédit et spéculation vont de pair. Cela fonctionne jusqu’au jour où ceux qui détiennent les créances craignent de ne pas pouvoir être remboursé et qu’ils exigent les paiements : c’est la crise.
Après la seconde guerre mondiale, le camp capitaliste a utilisé la soi-disant « société de consommation » fondée sur l’endettement des ménages et la dette des entreprises et des Etats pour masquer la paupérisation consécutive à la baisse tendancielle du taux de profit. Or, comme le soulignait déjà Engels, « la forme sous laquelle la surproduction se cache, c’est toujours plus ou moins l’extension du crédit » (Lettre d’Engels à Marx du 11 décembre 1857). Engels ajoutait que « dans les crises, la contradiction entre production sociale et appropriation privée capitaliste éclate avec violence. La circulation des marchandises est momentanément détruite ; le moyen de circulation, l’argent, devient obstacle à la circulation ; toutes les lois de la production et de la circulation marchande se renversent en leur contraire. La collision économique atteint son paroxysme : le mode de production se rebelle contre le mode d’échange ; les forces productives s’insurgent contre le mode de production pour lequel elles sont devenues trop grandes » (F. Engels, Monsieur Dühring bouleverse la science,).
Ce n’est donc pas d’aujourd’hui qu’il est connu que la «contradiction entre l’accroissement des possibilités de production et la stabilité relative des marchés (…) fait du problème des marchés le problème fondamental du capitalisme. L’aggravation du problème des débouchés en général, l’aggravation surtout du problème des marchés extérieurs, l’aggravation du problème des marchés pour l’exportation des capitaux en particulier : tel est aujourd’hui encore l’état du capitalisme. C’est ce qui explique proprement que la sous-production des usines et des fabriques devient un phénomène habituel ».
Voilà ce à quoi l’humanité assiste actuellement, ce qui pose peu à peu aux classes opprimées, les travailleurs et les peuples la question décisive : quelle alternative au mode de production capitaliste ? Dans la recherche de la réponse à cette question, force est de constater, pour l’instant, que s’expriment deux expériences objectives :
- celle de la voie empruntée par les gauches anti-libérales et anti-impérialistes Sud Américaines : les nationalisations des secteurs économiques clefs dans les pays membres de l’Alba qui coexistent avec le secteur privé.
- Celle de la voie Asiatique qui combine dans le cadre du « socialisme de marché », secteur socialiste, capitalisme d’état et privé : Chine, Vietnam, etc.
Camardes et amis,
Force est aussi de remarquer que ce sont ces pays – de l’ex-camp socialiste et de l’Amérique du Sud - qui réalisent des taux de croissance supérieurs et des investissements pour le développement économique et social. Alors que les puissances impérialistes de la Triade (USA, UE, Japon) connaissent un déclin économique, social et culturel.
La crise économique survient donc dans ce contexte de passage d’un monde unipolaire dominé par l’Occident impérialiste, en particulier les USA allié à l’UE, à un monde multipolaire, de l’hégémonie du G7 au G20. La crise actuelle oblige l’occident impérialiste à tenter le marché de dupes qui consiste à associer les « pays émergents » les plus puissants à son club fermé des pays dominants. La crise a forcé l’impérialisme US à faire élire Obama comme le premier président noir de son histoire, même si les minorités nationales noires, amérindiennes, hispaniques et les ouvriers blancs ont objectivement et subjectivement voté contre les désastres sociaux du libéralisme guerrier du parti Républicain incarné par le criminel Bush. Les illustrations les plus importantes de la décadence occidentale sont :
- la fin progressive de l’hégémonie du Dollars et de l’Euro comme monnaie du commerce internationale ; la Chine et la Russie viennent de proposer la réhabilitation des monnaies nationales et la création d’une nouvelle monnaie étalon de référence ;
- la fin du G7 pour le G14, puis le G20 ;
- les nouvelles unions inter-régionales économiques, voire géopolitiques en Asie, en Amérique latine, notamment l’Alba ;
- la décision à laquelle Obama a été obligé de se joindre de l’OEA (organisation des Etats d’Amérique) d’annuler l’exclusion de Cuba qui date de 1962;
- l’échec de la déstabilisation de l’Iran lors des élections récentes ;
- le premier coup d’état militaire de l’ère Obama au Honduras ;
- la possession par la Corée du Nord de la bombe atomique et de moyens technologiques de frapper les USA comme arme de dissuasion face au chantage nucléaire et militaire US et occidental contre les peuples et les États ;
- la croissance économique couplée au développement économique dans certains pays du Sud alors que la crise annihile toute croissance dans le Nord ;
- la résiliation des contrats permettant des bases militaires US en Asie Centrale ;
- la crise systémique durable au centre de l’impérialisme (USA, UE) qui prend la forme, après les ‘subprimes’, de la crise de l’endettement des Etats de l’UE comme l’Espagne, le Portugal et la Grèce, etc.
Cette évolution dessine progressivement de nouveaux rapports de forces géopolitiques et géostratégiques.
Une opportunité pour rebâtir une force de gauche ouvrière et anti-impérialiste
Ce qui arrive aujourd’hui aux USA et à l’UE, qui ont dominé et continue pour un temps encore à dominer le monde, a été diagnostiqué comme une tendance inhérente au capitalisme lui-même par le premier communiste. Il y a cent cinquante ans, vers 1858, dans une allocution pour le jubilé du journal ouvrier The People’s Paper sur la dialectique, Karl Marx faisait cette analyse qui trouve aujourd’hui un écho singulier : « A notre époque, chaque chose semble grosse de son propre contraire. Nous voyons les machines, qui possèdent la force merveilleuse de réduire et de rendre plus fécond le travail humain, en faire une chose rabougrie qu’elles consument jusqu’à épuisement. Par un étrange maléfice, les nouvelles sources de richesse se transforment en autant de sources de misère. On dirait que les conquêtes de la science doivent être payées du renoncement à tout ce qui a du caractère. Même la pure lumière de la science ne peut apparemment briller que sur le sombre fond de l’ignorance. (…) Le progrès de l’industrie ne peut parvenir à son accomplissement sans s’accompagner d’une régression tout aussi spectaculaire en politique ».
Cette régression à laquelle nous assistons, que Lénine a qualifiée de « putréfaction et décadence de l’impérialisme stade suprême du capitalisme», est non seulement politique, mais aussi idéologique, culturelle, et morale. Le capitalisme mondialisé est frappé de plein fouet en son centre : les USA et l’Union Européenne (UE), ces deux lieux de la naissance du capitalisme à travers le génocide des amérindiens, la traite des noirs, puis du colonialisme et du néo-colonialisme.
Nous devons donc saisir cette opportunité de l’affaiblissement en cours des impérialistes qui ont de force maintenu l’Afrique et ses peuples dans les griffes de l’oppression et de l’exploitation pour frayer la voie à l’émergence des classes exploitées, ouvrière et paysanne, sur la scène politique au Sénégal et en Afrique.
Ce travail passe par la construction d’un vaste front populaire anti-libéral et anti-impérialiste dans lequel les éléments et forces de gauche représentants conséquemment les intérêts de classe des ouvriers et paysans constitueront de façon organisée l’aile révolutionnaire pour la transformation socialiste le moment venue.
Avril 2010
par Assane Samb pour le SE-CNP/CNG