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LIVRE DE SADIO CAMARA : CHAPITRE VI : SUR LES COLLINES DE LANDIENI  

Disparition d’un camarade

 

Nous installâmes notre camp sur la crête de l’une des collines. Là aussi nous dominions de vastes étendues. Rien ne pouvait nous surprendre. Les activités furent les mêmes comme auparavant. Je suis allé à Bantata une seconde fois en compagnie du camarade Fily DIALLO. Lui, il continua jusqu’à Kédougou pour prendre contact et organiser les liaisons et le renseignement avec la capitale départementale, et s’informer éventuellement sur la situation et la position des troupes militaires. Je retournai au camp le lendemain pour continuer le travail avec les camarades. Au petit  soir du troisième jour, je suis allé à la chasse accompagné du camarade Tidiane SY, du côté d’une ancienne piste ouverte par les Pères de la mission catholique de Kédougou, pour nous rendre dans les villages de la zone en voiture tout terrain (jeep). Cette piste passait entre deux collines où poussait une herbe  ayant la caractéristique de sécher la première avant toutes les autres. Le feu de brousse a éclairci cet endroit entre les deux collines de 100à 300m environ. En cette fin d’hivernage, les biches aimaient aller à ces endroits. Pour cette raison nous étions venus y rôder. Malheureusement nous n'avons rencontré aucune biche.

 

Avant de prendre le chemin du camp, nous nous sommes assis aux abords de cette bande de terre éclaircie par le passage du feu de brousse, sous un grand arbre, face à la piste. De là on pouvait voir sur 200m de gauche à droite tout objet qui bougeait. C’était là une mesure de sécurité ou de vigilance pour ne pas être surpris et pour disparaître sans être vu. Je laissai le camarade se reposer pour pénétrer un peu plus loin dans la forêt afin de tenter ma chance. A 50 mètres, j’entendis un bruit de moteur. Je m’arrêtai en me cachant derrière un tronc d’arbre pour observer. J’aperçus une jeep militaire. Un militaire robuste en descendit avec un fusil à la main, marcha dans notre direction. Je ne pouvais siffler pour alerter le camarade SY car le militaire m’aurait entendu. Mais en même temps, j’étais confus et perplexe de voir le camarade SY, qui se trouvait plus prés, ne bougeait pas. Je voyais le militaire arriver jusqu’à lui et ils entamèrent des conversations, puis je vis le militaire le dépasser et s’avancer vers moi. Alors je compris. Je me suis faufilé à travers les arbres pour rejoindre les camarades au camp.

 

Arrivé au camp, je faisais comme si de rien n’était. Mais les camarades me questionnèrent sur le camarade SY. Je répondis qu’il arrivait. Quelques temps après je renforçai la surveillance et l’alerte. J’ordonnai de ranger les bagages pour la levée du camp immédiatement. Quand tout le monde eut fini je les réunis pour leur raconter ce qui s’était passé avec le camarade SY.

Après analyse, j’ai compris que le camarade Sy voulait s’enfuir et qu’il profita de cette rencontre fortuite pour le faire. Sinon rien n’expliquait que se trouvant à 200 m du militaire, il l’ait attendu. Non content de se rendre, il lui indiqua ma présence, c’était bel et bien une trahison, la deuxième après celle du camp de biche. Après explication de la situation aux camarades, nous levâmes le camp la même nuit pour une colline boisée de Bantata. Nous arrivâmes là le matin à l’aube. Ne pouvant  continuer notre route de jour pour ne pas être découverts, nous avons été contraints de passer la journée sur ces hauteurs en évitant tout contact avec les paysans.

 

Dans la matinée, nous avons été survolés par des avions de reconnaissance. Le soir, vers cinq heures, les camarades des postes de surveillance aperçurent des colonnes de militaires transportées par des camions et déposées aux différents endroits du bas de la colline. Nous interprétions ces attroupements, suite au survol d’avions de reconnaissance, comme des signes évidents d’encerclement. Alors nous décidâmes de quitter la zone d’encerclement dès la tombée de la nuit, récupérer en cours de route le camarade FILY DIALLO. A cet effet, au point convenu, nous avons placé des branches de feuilles fraîches sur la route sur une distance de cinquante mètres au moins et nous nous planquâmes dans un buisson, à la distance qui permet d’entendre le signe acoustique conventionnel : à la vue des branches fraîches le camarade Fily DIALLO devait tousser à haute voix trois fois et terminer par oh lala, trois fois.

 

Pendant que nous étions planqués, un véhicule passa et s’arrêta sur la route à l’endroit où il y avait nos signes conventionnels. Visiblement il venait de Bantata et allait sur Kédougou. Peut être que nos signes avaient intrigué les occupants. Toujours est-il qu’ils restèrent au moins cinq minutes. Pendant ce temps les gens qui parlaient dans leur véhicule se posaient la question de savoir pourquoi on les amenait à Kédougou. J’ai reconnu la voix d’un des villageois, Seyni  CAMARA, dit Sény Ding. Je compris alors que les rafles de personnes soupçonnées d’avoir des liaisons avec nous avaient commencé. En même temps, j’avais à l’idée que si nous avions été armés, nous aurions éliminé ces mercenaires pour nous emparer de leur véhicule et de leurs armes. Avec ce butin nous aurions semé la terreur dans les rangs de ceux qui tentaient de nous encercler. C’était dommage pour nous ! Une heure après le passage de ce véhicule nous entendîmes les bruits d’un vélo, puis des toux accompagnées d’un oh là là, exactement comme convenu. Nous sortîmes de notre cachette pour trouver le camarade FILY DIALLO que nous entraînâmes dans notre marche à travers la brousse. Après un kilomètre de marche, nous nous arrêtâmes pour nous saluer et échanger des informations très rapidement puis  nous retrouvâmes les autres camarades.

 

Une fois tous réunis, nous continuâmes notre marche durant le reste de la nuit jusqu’à la forêt de Bantakokouta, village abandonné il y a plus de trente ans  au moins. Nous passâmes la journée dans le creux d’un baobab dans ladite forêt. Quelques temps avant d’arriver à cette forêt nous avions planqué notre matériel de presse : la machine à taper, la ronéo, pour nous alléger et nous assurer une plus grande mobilité. A la tombée de la nuit nous sortîmes du baobab creux pour nous éloigner davantage de la zone d’insécurité, rejoindre la forêt de Gnokholo-Koba en passant par Bantakokouta, village situé sur la rive gauche du fleuve Gambie. Nous traversâmes la nuit le fleuve Gambie à chassée croisée avec des hippopotames poussant des grognements sourds et respirant bruyamment en soufflant de l’eau. La rencontre avec ces animaux donna des sueurs froides à beaucoup de camarades. Nous forçâmes la marche dans les marécages du Koulikouma où la grande rivière de Gnokholo-Koba prend sa source.

 

Un mois durant nous ne vécûmes que de fruits sauvages. Depuis, nous n’avions pas mangé de repas chauds. Cela me rappela ce que les guérilleros cubains nous disaient  qu’il leur arrivait de rester sans manger pendant un mois ou plus. Nous ne croyions pas à leur propos à l’époque. Nous disions reconnaître leurs mérites révolutionnaires mais qu’ils exagéraient trop leur exploit. Il nous a fallu vivre l’expérience pour les croire. Nous voilà donc quelque part dans les marécages du Koulikouna, loin des vrombissements de moteurs d’avions et de ronronnements de véhicules militaires. Nous nous sentions en sécurité relative. Nous procédions à quelques cueillettes de fruits sauvages et de miel. Comme nous avions un fusil et quelques cartouches, l’idée nous vint de chercher une biche pour nous revigorer de protéines animales. Max Mader SAMB se proposa.

 

Depuis Bamako il était considéré par nous tous comme un élément étranger à surveiller. Personnellement, je nourrissais l’idée, qu’une fois les hostilités seraient ouvertes, de le laisser partir. Pour ne pas attirer son attention sur le fait qu’il était surveillé, j'examinai  son cas avec mon Etat- major dont le Camarade Fily DIALLO était membre. Nous étions convenus de le laisser aller avec Fily DIALLO  à la chasse pour les considérations suivantes : durant notre séjour à Cuba et même à Bamako, le camarade Fily était le seul à avoir de bons rapports avec Max, ils s’accompagnaient le plus souvent, ils s’entendaient bien.

 

- L'assassin du camarade Fily DIALLO, alias Capitaine Larry Gassy, est l'homme sur la photo à gauche portant des lunettes. Son vrai nom : Max Mader SAMB est un traître à la cause du PAI

- A droite, Mamoudou CISSOKHO dit mamoudou Ndébou, Infirmier de son état, ancien Député-maire de Kédougou a été un des grands tortionnaires du PAI. Cela explique surement sa compagnie sur la photo avec le traitre

 

Au cours de notre réunion, il a été fortement recommandé au Capitaine fily de ne jamais lui laisser le fusil. Nous ne pouvions pas faire une telle recommandation à quelqu’un d’autre qui n’était pas dans le coup à savoir que nous surveillions Max de près. C’était pour éviter qu’il y ait des fuites pouvant aller jusqu’aux oreilles de Max lui-même, bien qu’il pût soupçonner que nous ne lui faisions pas confiance. Ceci, en raison du simple fait qu’on ne le chargeait jamais de mission, ni ne l’associait jamais à un groupe en mission. En quelque sorte, il était le permanent du camp.

 

Au petit soir, les deux camarades partirent.  A minuit ils n’étaient pas encore de retour. Alors nous  crûmes qu’ils s’étaient égarés et nous mîmes le feu à l’herbe sèche pour les orienter vers nous. Jusqu’au petit matin rien et nous commencions à nous inquiéter. En conséquence nous renforçâmes les mesures de sécurité et invitâmes chacun à préparer ses bagages pour être prêt à décamper. Nous restâmes toute la journée sans voir venir aucun des deux camarades. Alors, nous eûmes la conviction que, d’une manière ou d’une autre, Max Mader SAMB eut dans ses mains le fusil et  tira sur le camarade Fily DIALLO pour s’en fuir. Plus tard nous serons confirmés dans notre conviction à la suite des informations reçues auprès des autorités politiques, administratives et militaires qui avaient participé à la battue pour notre capture. Selon ces sources (qui détenaient leurs informations de Max Mader lui-même) après que le camarade Fily ait tiré sur une biche et l’ait ratée, Max lui avait demandé et obtenu le fusil parce qu’il estimait que c’était son tour…

 

Un peu plus tard, Max feignant de remettre le fusil à Fily par son canon, tira sur la gâchette. Il tomba et mourut sur le coup. Libre, Malick SAMB s’en était allé à Mako, avec le fusil, se rendre aux autorités militaires. Max avait tué le camarade pour s’évader. C’était ce qu’il avait déclaré devant les tribunaux à Dakar.

Au début, les autorités ne le crurent pas. Elles finirent par l’écouter et lui proposèrent de les amener au lieu du drame.

 

Il semblerait que cela avait été très difficile pour les officiers et leurs subalternes, car ils tremblaient comme des feuilles mortes animées par le vent. Malgré tout, ils finirent par arriver au corps du camarade dont une grande partie était déjà mangée par des hyènes et d’autres charognes.

 

Max avait tué le camarade pour s’évader comme il l’avait déclaré devant les tribunaux de Dakar. La peur peut pousser des gens à commettre des actes regrettables, mais, il demeure que c’était un traître, un criminel. S’il y avait eu révolution, il aurait rendu compte de sa forfaiture.

 

Quand (Comme nous étions restés) nous restâmes toute la journée sans voir revenir Fily et Max, nous reprîmes la marche à travers la brousse du Gnokholo jusqu’à la hauteur de l’ancien village de Gnéménéki, à trente kilomètres Nous pensions avoir quitté la zone de dangers, trois camarades, Ameth WONE, Sapir DIOP et Souty TOURE furent désignés pour aller à Gnéménéki chercher des vivres. Nous en avions grand besoin parce que voilà plus d’un mois que nous ne mangions pas de repas chaud. Nous ne nous nourrissions  que de fruits et de tubercules sauvages. Malgré les mesures de vigilance et de sécurité préconisées, les trois camarades ne revinrent pas. Plus tard nous saurons qu’ils avaient été  tous pris par des éléments militaires postés en ce lieu à cet effet et furent conduits et emprisonnés à Kédougou puis à Dakar.

 

Le camarade Sapir DIOP est aujourd’hui gendarme dans la gendarmerie nationale. Quelle signification en donner ? La question reste posée au lecteur.

 

Nous nous étions mépris sur la situation, sur la capacité de prévoyance et de prospective des troupes régulières, ceci d’autant qu’elles étaient encadrées par des militaires français qui avaient une riche expérience de la guérilla dans ses aventures coloniales en Indochine et en Algérie. Dans chaque village limitrophe du parc de Gnokholo-Koba, des colonnes militaires étaient placées et assuraient la surveillance des mouvements des personnes de jour comme de nuit. Dans les conditions que voilà, avec le reste du groupe, je décidai d'observer une semaine d’hibernation dans les profondeurs de la forêt pour éviter tout contact, même fortuit, avec des personnes. Ce délai me paraissait suffisant pour amener l’armée régulière à lever l’ancre.

 

Nous suivions les informations à la radio. Aucune station radio, m&

Au début, les autorités ne le crurent pas. Elles finirent par l’écouter et lui proposèrent de les amener au lieu du drame.

 

Il semblerait que cela avait été très difficile pour les officiers et leurs subalternes, car ils tremblaient comme des feuilles mortes animées par le vent. Malgré tout, ils finirent par arriver au corps du camarade dont une grande partie était déjà mangée par des hyènes et d’autres charognes.

 

Max avait tué le camarade pour s’évader comme il l’avait déclaré devant les tribunaux de Dakar. La peur peut pousser des gens à commettre des actes regrettables, mais, il demeure que c’était un traître, un criminel. S’il y avait eu révolution, il aurait rendu compte de sa forfaiture.

 

Quand (Comme nous étions restés) nous restâmes toute la journée sans voir revenir Fily et Max, nous reprîmes la marche à travers la brousse du Gnokholo jusqu’à la hauteur de l’ancien village de Gnéménéki, à trente kilomètres Nous pensions avoir quitté la zone de dangers, trois camarades, Ameth WONE, Sapir DIOP et Souty TOURE furent désignés pour aller à Gnéménéki chercher des vivres. Nous en avions grand besoin parce que voilà plus d’un mois que nous ne mangions pas de repas chaud. Nous ne nous nourrissions  que de fruits et de tubercules sauvages. Malgré les mesures de vigilance et de sécurité préconisées, les trois camarades ne revinrent pas. Plus tard nous saurons qu’ils avaient été  tous pris par des éléments militaires postés en ce lieu à cet effet et furent conduits et emprisonnés à Kédougou puis à Dakar.

 

Le camarade Sapir DIOP est aujourd’hui gendarme dans la gendarmerie nationale. Quelle signification en donner ? La question reste posée au lecteur.

 

Nous nous étions mépris sur la situation, sur la capacité de prévoyance et de prospective des troupes régulières, ceci d’autant qu’elles étaient encadrées par des militaires français qui avaient une riche expérience de la guérilla dans ses aventures coloniales en Indochine et en Algérie. Dans chaque village limitrophe du parc de Gnokholo-Koba, des colonnes militaires étaient placées et assuraient la surveillance des mouvements des personnes de jour comme de nuit. Dans les conditions que voilà, avec le reste du groupe, je décidai d'observer une semaine d’hibernation dans les profondeurs de la forêt pour éviter tout contact, même fortuit, avec des personnes. Ce délai me paraissait suffisant pour amener l’armée régulière à lever l’ancre.

 

Nous suivions les informations à la radio. Aucune station radio, même pas d’Europe ni d’Amérique, ne s’était fait écho de ces événements. Nous interprétions cela comme une expression de la volonté du régime et de ses alliés occidentaux de les entourer d’un black-out total.

 

A cette date, nous perdîmes huit (8) camarades qui furent :

 

Camarades du groupe initial

- Fily DIALLO, alias capitaine Larry GASSY

- Malick SAMB, alias Max Mader

- Sapir DIOP

- Ameth WONE

 

Du groupe des nouvelles recrues

- Madiéye DIENG

- Thiémokho KEITA

- Tidiane SY

- Souty TOURE

 

Ainsi, sur vingt et un (21) membres que le groupe comptait au premier campement, il ne comprenait plus que treize (13) dont deux en mission fixe. C’est dire que nous étions au nombre de onze (11) présents dans les environs du village de Gnéménéki.

 

Après donc une semaine de repos et de réflexion, sur ma proposition, nous décidâmes de rejoindre  le quartier général à Bamako en vue de faire le point de la situation avec la direction et de dégager les modalités de la poursuite de notre projet de lutte armée, notamment la nécessaire solution du problème des armes. A cet effet et pour des raisons tactiques, le groupe se scinda en deux :

- un dirigé par le camarade Mamour DIOP, alias Capitaine Negus Diankha comprenant les camarades suivants : Dame DIENG, Modou GUEYE, Moussa NIANG dit Mélakh, Ibra GNING, Mamadou  THIAM, avec un itinéraire qui devait les conduire à franchir la frontière du Mali vers Kayes, cinq à dix kilomètres en amont de Kidira.

 

- l’autre groupe, dirigé par moi-même, était composé  des camarades Baba DIOP, Bara HANNE, Bouba LY, Madior Bouna NIANG. Nous avions un itinéraire qui devait nous amener à franchir la frontière du Mali du côté des derniers contre-forts du Fouta Djallon vers Tintiba

 

Ce déplacement exigeait pour chaque groupe quatre jours de marche pour atteindre la frontière du Mali, une distance de 260 km à vol d’oiseau.

 

Auparavant, nous plaquâmes nos manteaux d’Europe pour nous alléger et aussi, pour ne pas nous singulariser et attirer l’attention et les soupçons des paysans que nous rencontrerions.

 

Nous étions au début d’avril 1965.

 

 



14/09/2017
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